Bou Khalifa Kounta – premier entretien
MH :
Dans le cadre de l’enquête que nous menons sur la famille Kounta de Njassane tout en sachant que vous êtes un membre de la famille, nous aimerions que vous vous présentiez et vous nous indiquer votre rôle.
Je suis Bou Mouhamed Kounta connu sous le nom de Bou Khalifa, fils de Serigne Mouhamed Bouna de Ndankh et de Sokhna Astou Kounta, fille de Cheikh Kounta de Njassane. J’ai étudié l’arabe. J’ai, par ailleurs, poursuivi des études supérieures au Maroc où j’ai obtenu une licence. De retour au Sénégal, j’ai suivi une formation professionnelle à l’Ecole Normale Supérieure de Dakar. Actuellement, je suis professeur d’arabe dans un CEM à Guédiawaye. Mon rôle dans la famille est celui de tout membre et de tout talibé, et consiste à veiller sur tout ce qui peut faire progresser l’islam, le redynamiser, l’éclairer et en purifier la pratique. Il consiste aussi à faire connaître la famille Kountiyou, la tarikha khadrya al-Békaya Moukhtaria. C’est dans ce cadre que je participe et anime des rencontres religieuses (gamou, conférence) sur le territoire national et ailleurs.
MH :
Nous savons que vous faites des recherches et conférences sur les Kountas, nous aimerions savoir si vous savez la manière dont ils se sont installés au Sénégal ?
Les Kountas sont présents au Sénégal un peu plus de deux siècles. Le premier Kounta à arriver au Sénégal est Sidi Ahmed connu sous le nom de Cheikh Bounama, fils d’Ahmed al-Békaye et de Mouna chérif. Il est né à Akhabit en Algérie, de là il se rendit en Mauritanie auprès de son frère de même père.
Cheikh Sidi Mokhtar est le marabout qui l’a enseigné, et sa maîtrise du
tassawouf était très connue. Après l’avoir formé (
tarbiya), et jugé capable de participer à l’expansion de l’Islam et de la tarikha khadriya, il l’envoya au Sénégal en compagnie de deux talibés, Bilal et Martalla, dont j’ignore les descendants.
Il est passé par le Fouta Toro où il fait la connaissance d’un Toucouleur Malal Demba Diabaye qui appréciait la compagnie des saints hommes et qui décida de l’accompagner. C’est ce qui explique aujourd’hui la présence de la famille Diabaye parmi les Akhloul Kountiyou de Ndankh et à Njassane. Bounama est arrivé au Kajor sous le règne d’Amary Ngoné Ndella qui mourut peu de temps après. Les circonstances de sa disparition sont racontées par mon père Mouhamed Bouna qui voulait expliquer et éclairer cet évènement tragique. Pendant le règne d’Amary Ngoné, Birima Fatma Thioub qui convoitait aussi le trône du Kajor était exilé au Baol. Il fût appelé par sa sœur Diodio Penda Fall qui était informée des circonstances bizarres du décès d’Amary Ngoné, soupçonnant ainsi une intervention mystique du marabout maure. Elle propose à son frère de rendre visite au marabout pour obtenir sa bénédiction et sa protection. Birima fait part au marabout de son désir de conquérir le trône du Kajor, Bounama le lui promet pour le lendemain. Ebahit, il est rassuré par ce dernier, qui lui indique quatre faits qui sont la preuve de l’exécution de sa promesse :
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En pleine nuit une de ses femmes accouchera d’un garçon qui portera mon prénom.
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Cette nuit un violent orage se déclenchera
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Cette nuit Amary Ngoné Ndella mourra
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Demain, le matin de bonne heure un cavalier viendra t’informer de sa disparition et te dira que le Kajor t’attend.
Birima a rencontré Bounama dans la localité de Khata dans le Kajor selon les écrits de Mouhamed Bouna. Les quatre faits se sont révélés exacts. Une fois au Kajor, sur la demande du Cheikh, Birima se fait raconter les circonstances de la mort d’Amary Ngoné par la femme de ce dernier. Le mystère qui entoure la mort du Damel est imputé à Cheikh Bounama qui ne pouvait tuer quelqu’un que dans les conditions de jihad. Birima dit au marabout que ce qui s’est passé ne pouvait être que l’œuvre de deux personnes car d’après sa femme, qui a tout vu mais qui ne pouvait réagir, au moment de mourir le Damel eut affaire à deux créatures qui avaient l’aspect d’un oiseau et munie de couteaux. Ils intimèrent à Amary Ngoné trois fois de prononcer la Shahada, profession de foi dans l’Islam, mais en vain. Alors ils l’exécutèrent. Birima qui pense que l’un des deux êtres était Bounama lui demande l’identité de l’autre. Le Cheikh lui répond que la deuxième créature était Cheikh Soulah, un ami qu’il a connu en Mauritanie et à qui il fait appel quand il a besoin d’aide. Jusqu'à présent nous avons conservé des relations avec les descendants de ce dernier qui viennent à Ndankh et à Njassane.
MH :
Qu’est-ce-qui est à l’origine de ce conflit qui opposait Bounama à Amary Ngoné ?
Bounama est arrivé au Kajor avec quatre chevaux que le Damel Amary Ngoné avait achetés à crédit et les avait offerts à différentes personnes. Les chevaux furent dispersés : un est allé à Mboul, un à Dakar, cadeau à Serigne Ndakaru, un autre à Lambaye et le quatrième fut offert à Dial Ngoné Ndoye. A la date convenue Cheikh Bounama n’a pu récupérer son argent, et lors d’une ultime tentative il demande au Damel Amary Ngoné qu’il trouva entrain de jouer au wouré de casser la vente. Il voulait ainsi se conformer à la sharia pour pouvoir agir. Une fois chez lui il fît planter des piquets et il fît des prières. Juste avant le coucher du soleil tous les quatre chevaux se présentèrent dans l’enclos. C’est à la suite de ces événements que le roi Amary Ngoné est devenu ennemi du marabout et fût mystérieusement exécuté puisqu’il ne voulait pas embrasser l’islam. C’est un débat qui fait couler encore beaucoup d’encre.
Nommé Damel, Birima Fatma Thioub voulait régner sur le Baol et être Damel Teigne en même temps, et c’est dans cette optique qu’il demanda à Bounama de prier pour lui une nouvelle fois.
La première attaque menée contre le Baol fût un échec car il n’avait pas respecté les consignes du Cheikh. La deuxième attaque fût la bonne et il devient Damel Teigne. Les deux hommes collaborèrent étroitement, le roi voulait étendre son pouvoir et le marabout voulait exécuter sa mission, celle d’enseigner. Il lui demande de lui octroyer des terres où il peut s’installer et s’adonner à la pratique de l’islam et à l’enseignement. Ils sillonnèrent ensemble le pays et à six kilomètres de Ngaye Mekhé le marabout prélève de la terre et la renifle, il dit à Birima « voici une terre bénie sur laquelle règne un bon roi ». Constatant le désir de Bounama, le roi lui offrit ces terres où se trouvait une maison abandonnée par un exilé du Baol, les terres de Keur DAF et quarante esclaves. Bounama fonde ainsi en 1800 le village de Ndankh Narr pour le différencier de celui du Baol plus ancien. C’est ainsi que les Kountas se sont installés au Sénégal mais il se peut qu’ils soient présents dans le pays depuis 1790 ou 1792.
MH :
D’après les informations recueillies, Bounama est venu d’abord vendre des chevaux. Ensuite il est retourné à Bou Lanouar après la mort de son marabout en 1811. A quel moment s’est-il installé définitivement au Sénégal ?
Il a d’abord créé son village en 1800, et est retourné à Bou Lanouar au Mali pour les condoléances de Cheikh Sidi Mokhtar. Il a écrit des poèmes à cette occasion. Il est revenu s’installer définitivement.
MH :
Comment Bou Kounta, fils posthume de Bounama, a vécu à Ndankh jusqu’à la création de son village à Njassane?
En effet, Cheikh Bounama a fondé une famille. Il épousa des femmes du terroir sauf une, Rokhaya Coumba Chérif, qui est une Toucouleur. De ce côté il semblerait qu’il ait des liens avec la famille d’El Hadj Omar Tall. Son fils Cheikh Bou Mouhamed est né six mois après sa mort mais il avait laissé des directives dont le prénom, qui est celui de son défunt grand frère Bou Mouhamed venu d’Algérie ou de la Mauritanie pour le ramener chez lui. Il est enterré à Ndankh. Il a été élevé et éduqué par son frère aîné Békaye jusqu’à l’âge de 16 ans. Il quitte Ndankh selon la tradition de la famille pour répandre la foi islamique et la tarikha. Il est passé dans plusieurs localités dont Keur Yoro, avant d’arriver sur les terres de Njassane où il fonde son village Keur Bou Kounta en 1883 en compagnie de quelques talibés. Il était quelqu’un de très éveillé et avait un sens de la responsabilité. On l’a chassé et humilié plusieurs fois avant qu’il n’obtienne les terres de Njassane, qui était une zone très peu accueillante où l’eau manquait sévèrement.
MH :
Existe-t-il des documents écrits retraçant l’histoire de la famille Kounta du Sénégal, des poèmes ou des essais qui montrent leurs préoccupations?
La tarikha khadriya est très ancienne chez les Kountas. Au Soudan on l’appelle la tarikha Békaya, en Mauritanie Moukhtariya. L’appellation Békaya est liée à un Kounta qui s’est distingué dans la voie, et celle de Moukhtariya porte le nom de Cheikh Sidi Mokhtar al-Kabir. Donc il y a forcément beaucoup d’écrits. Mais s’agissant de la famille de Bounama, ils sont rares. Récemment, mon père Mouhamed Bouna à produit des documents sur les Kountas qui pourraient satisfaire un chercheur. Son livre
kachifoulan wal hamamati wal hayati cheikh Abou Naama sur la vie de Cheikh Bounama. Il y parle de l’itinéraire de Cheikh Bou Kounta, de son installation à Ndankh, de son enseignement, de la création de Njassane et des liens qui unissent Ndankh à Santhiou Bouna, Gouyette et N’der qui sont des localités ou vivent des neveux et petits enfants des Kountas.
Contrairement à ce que faisaient Cheikh Amadou Bamba et El Hadj Malick Sy, qui écrivaient des poèmes ou
khassaïdes sur le prophète ou sur le
zikroulahi, Cheikh Bounama et ses descendants ne l’ont pas fait. Ce n’était pas chez eux une préoccupation, ce qui explique aussi la rareté de leurs écrits dans ce domaine. Cependant il existe un texte du Cheikh Bounama dans lequel il dit que le croyant doit accepter la volonté de Dieu et un autre de Cheikh Bou Kounta dans lequel il montre son
makhama (son pouvoir, sa puissance divine), la
wilaya que Dieu lui a donnée. Il annonce qu’il a eu le même itinéraire que Cheikh Abd al-Qadir Djeylani. Il a suivi les traces du grand Cheikh, « il a mis les pieds partout où celui-ci à posé les siens », la preuve est que ce genre de phénomènes n’est pas nouveau dans l’islam.
Quand Dieu choisit de faire de quelqu’un un élu, Il l’instruit comme Il souhaite le faire. Il peut être savant sans pouvoir ni lire ni écrire à l’instar du prophète Muhammad. Il est dit que tout ce qu’un prophète a déjà fait est accepté de la part d’un
waliyu, on le nomme alors
karaman.
Ce court
khassaïde qu’on lui attribue, ou qu’il ait fait, est le seul connu de lui. Malgré tout, Bou Kounta était un homme qui avait des dons cachés ou évident (
zahir et
bâtîmes). La preuve de son génie se manifeste à travers la création d’un village de l’envergure de Njassane, et d’avoir su placer des hommes à lui à Saint Louis, Rufisque et Dakar qui entretenaient des relations avec leurs contemporains; c'est-à-dire les pouvoirs traditionnels et l’administration coloniale dans le cadre du commerce et de l’éducation. Tout ceci démontre son esprit d’entreprise et d’ouverture. En ce qui concerne toujours l’absence d’écrits, qui est un handicape pour les Kountas du Sénégal, on peut donner une autre explication en rapport avec l’abondance des écrits de Cheikh Sidi Mokhtar sur le
tassawouf ou soufisme, des poèmes sur le prophète et dans différents domaines de connaissance. Son fils Sidi Muhammad à aussi beaucoup produit et avant eux d’autres Kountas l’avaient fait. Il se pourrait que cette riche bibliothèque leurs suffisait et ils s’en contentèrent. Contrairement au Wolof dans le domaine de l’instruction ou de
karaman, très peu de chose peut émerveiller les Maures car ils sont en contacte avec l’islam depuis des siècles.
MH :
Dans tout le village de Njassane il n’y avait du temps de Bou Kounta qu’une seule daara. Actuellement il en a au moins quatre daara d’une centaine d’enfants en moyenne et qui ont déjà formés des dizaines d’autres. On constate alors une certaine évolution dans la prise en charge de l’instruction coranique qui semble être maintenant une préoccupation majeure pour Njassane.
Qu’est ce qui a été à l’origine de cette prise de conscience sur l’importance de l’éducation des talibés?
Il n’y avait pas de négligence en ce qui concerne l’éducation car à l’âge de cinq à six ans les enfants de Bou Kounta sont envoyés en Mauritanie à quelque rares exceptions. A leur retour beaucoup d’entre eux vont compléter leur formation dans les pays arabes tandis que d’autres restent au Sénégal. Il faut noter aussi qu’il y avait d’autres
daara: Abdourahmane Kounta en avait confié un à Békaye Samaké dont les descendants sont toujours à Njassane, et Sidi Lamine en a confié un autre à Birane Diop. Ils privilégiaient l’éducation en Mauritanie car l’enfant Kounta peut recevoir l’éducation et apprendre la langue Maure. Quelques enfants des talibés venus du Mali étaient, eux aussi, envoyés en Mauritanie. Kadiali Dabo a accompagné Békaye, fils ainé du Cheikh; N’diogou Fall et ses frères installés à Grand Dakar ont aussi été formé en Mauritanie. Après leur formation les talibés ont été placé dans différentes localités pour disperser la tarikha.
Voici quelques exemples:
Keur Thiam à quelque 2 kilométres du campement N’guékhokh, où s’était installé Ansou Thiam sur ordre de Cheikh Bou Kounta, est devenu un grand centre de l’islam.
Malikounda Sérère où se trouvait Moustapha Thiandoum, disciple d’Abdourahmane, qui est décédé en 2006.
En Casamance il y a des villages où se sont installé des talibés Kounta formés à Njassane. A l’instar de Njassane, Ndankh faisait aussi la même chose. Des talibés venus du Mali et même du Saloum ont été formés soit à Njassane ou à Ndankh.
MH :
Quelles sont les relations que les Kountas entretiennent aujourd’hui avec les khadres de la Mauritanie, particulièrement les Fadeliya, quand on sait que Cheikh Sidiya al-Kabir et Cheikh Mouhamed Fadel ont été des talibés de Cheikh Sidi Mokhtar al-Kabir et de son fils Sidi Mouhamed ?
Les khadres de Boutilimit reconnaissent sans ambiguïté l’autorité spirituelle des Kountas. Cheikh Sidi à vécu 15 ans auprès de Cheikh Sidi Mohamed. En ce que concerne la Fadeliya, les relations sont plus tendues. Parmi eux quelques uns tiennent des propos désagréables parce qu’ils rejettent cette autorité spirituelle. Toujours est-il que tous les centres religieux de la région ont profité directement ou indirectement de l’enseignement de Cheikh Sidi Mokhtar al-Kabir. Je souhaite que les relations soient meilleures. Malheureusement c’est loin d’être le cas. Un jour j’ai entendu un des leurs, que je ne veux pas nommer, dire à Saint Louis lors d’un
gamou des insanités à l’égard de ceux qui soutiennent qu’ils sont des talibés de Cheikh Sidi Mokhtar. Ce sentiment constitue certainement une entrave. Je pense que les querelles sont inutiles. Un talibé peut dépasser son marabout ; il y a des exemples. La tarikha Qadriya est si vaste que c’est normal qu’il ait des ramifications. Ce qui est sure est que la
silsila du
wird que les Akhloul Kountiyou tiennent d’Abd al-Qadir Djeylani est claire et que Bou Kounta, d’après son arbre généalogique, se rattache directement au Prophète Muhammad. La preuve est que Cheikh Amadou Bamba a écrit un
khasssaïde qui parle successivement de Cheikh Sidiya Baba, Cheikh Sidi Mohammed, Cheikh Sidi Mokhtar al-Kabir, ainsi de suite. Il ne cherchait à faire plaisir à personne, même pas aux Kountas. Il est sûr et certain que tous ceux qui ont ce
wird en Afrique occidental le tiennent directement ou indirectement des Kountas.
MH :
Y a-t-il d’autres khadres au Sénégal qui ne soient pas disciples des Kountas, Fadeliya ou Sidiya ?
Il en existe chez les Diahanké à Makakoulibantan et à Touba en Guinée qui ne sont de la tarikha Qadriya Kountiyou. Ils tiennent leur
wird de Cheikh Sidi Khouya, qui a été enterré à N’der Narr, et entretenait des relations assez poussées avec Serigne Touba (
zahir et
bâtïme). D’ailleurs, il semblerait que c’est lui qui a indiqué Boutilimit à Bamba.
MH :
Quelles sont vos relations avec la famille de chérif Younouss Haïdara de Banguère car Paul Marty disait que Bou Kounta était un modèle pour ce dernier ?
J’ignore toute relation entre les deux hommes. Bou Kounta n’est jamais allé en Casamance. Mais nous y avons beaucoup des talibés, non loin de Bignona. Dans le village Diola de Koulaye se trouve une grande mosquée dont l’emplacement aurait été indiqué par Cheikh Bou Kounta. Par contre ses petits fils, dont moi-même, sommes en contacte avec les familles chérifiénnes de Banguère, de Mahmouda, Darou Khayri, etc…
MH :
Comment le village est-il organise et géré sur le plan interne?
Au début on parlait plutôt de Keur Bou Kounta qui fonctionnait comme une seule concession. C’est le marabout qui entretenait tout le monde; à son mort son fils ainé Békaye a perpétué la tradition. Tous les talibés dépendaient de lui. La rivalité entre Sidi Lamine et Abdourahmane est à l’ origine d’un changement car les familles se positionnent par rapport aux deux frères. Les partisans de Abdourahmane se prennent en charge, Sidi Lamine reste la seule autorité et sera succédé par son frère Mamadou Kounta, 73-76, suivi de Sidi Yakhiya, 10ans, et Cheikh Bou Mouhamed, décédé en 2006. La vie à Njassane était très simple et malgré qu’il soit encore un village, les besoins et les problèmes sont de plus en plus accrus. Le village est dirigé par le Khalife et le chef de village qui sont membres de la famille. L’actuel khalife était le chef de village. Il a été remplacé par son cousin El Hadji Mouhamed Békaye qui est aussi l’iman ratibe. Mais en réalité le véritable chef reste le Khalife. La vie au village se caractérise par une certaine unité entre les membres de la famille de Bou Kounta et les descendants de ses talibés, de quelque ethnie qu’ils soient. Il n’y a pas des classes sociales. Il est difficile de distinguer un Kounta par l’habillement ou par ses propos et ses gestes. Très souvent c’est le talibé par humilité qui déclare sont état. L’intégration est telle que ses talibés ont épousé des femmes Kounta, créant ainsi des liens matrimoniaux qui font qu’ils ne sont pas considérés comme inférieurs aux Kountas. C’est un être qui doit jouir de sa dignité, c’est ce que recommande l’islam.
(Ceci reflète la pensé de l’actuel khalife.
)
MH :
La tarikha kountiyou de Njassane est très peu connue malgré le rôle joué par Bou Kounta dans la vie économique et politique du Sénégal colonial. Pourriez-vous nous dire ce qui justifie le recul «hégémonique» de Njassane vu que Cheikh Bou Kounta avait de bons rapports avec les hommes politiques de son époque ?
C’est vrai que Njassane est resté longtemps méconnu et ceci s’explique principalement par trois raisons :
La première est l’éducation Maure. Le Maure est flegmatique et simple ; il était difficile de reconnaitre le Khalife parmi ses talibés, il se fond dans la masse. Il s’habille de manière sommaire.
La deuxième raison est que nos talibés Bambara, Socé, et autres sont différents des Wolofs. Le Bambara n’est pas très ouvert, il est très fier et orgueilleux. C’est pour cela que toute personne suivie et vénéré par les Bambaras doit en être très fière. Il se contente de peu de chose qu’il possède. La simplicité des Maures et le peu d’ambition des Bambaras crée ainsi une certaine symbiose qui fait croire à certains que les Kountas sont des Bambaras. La question m’a été posée lors d’une émission radio que j’animais. Je leur ai répondu «oui» parce que les Kountas ont vécu très longtemps avec les Bambaras même si leur généalogie les rattache au Qoreïch. Les Kountas sont des descendants d’Oqba Ben Nafi. La troisième raison est liée à la succession de Bou Kounta, particulièrement à la personnalité de son deuxième Khalife Cheikh Sidi Lamine qui est resté sur le
qilifat plus de 40 ans. Pendant cette période le Sénégal a acquis son indépendance, des relations séculaires se développent entre le pouvoir politique et les grandes familles maraboutiques. Le premier président du Sénégal Senghor avait cherché à avoir avec Njassane les mêmes relations qui l’unissaient aux autres tarikha de Touba ou de Tivaouane. Il est venu plusieurs fois à Njassane voir le Khalife, en vain. Le Khalife et le président n’avaient pas les mêmes visions des choses. Sidi Lamine pensait que leurs missions étaient différentes, Senghor œuvrait pour le monde matériel alors que lui voulait œuvrer pour le spirituel, en gros la religion. Sidi Lamine préféra ne pas développer des relations avec l’autorité politique et refusait même de se laisser prendre en photo. Il a voulu son indépendance, il assurait lui même l’éclairage du village et de Ndankh. Ce manque de collaboration avec l’état peut être considéré comme un facteur de retard.