Interview avec Sokhna Astou Kounta, Ndiassane
00:17-Madame HAIDARA (MH): Bonjour Sokhna Astou Kounta! Comme je l’avais dit, cet entretien rentre dans le cadre d’un travail de recherche sur Cheikh Bou Kounta, le fondateur de Ndiassane. Vous faites partie de la famille. En votre qualité de petite-fille, ou même arrière- petite-fille de Cheikh Bou Kounta, nous voudrions que vous nous parliez de la place de la femme dans votre famille maraboutique. Au préalable veuillez-vous présenter.
Sokhna Astou Kounta : Merci. Je vous salue tous. Madame Haïdara, je vous remercie ainsi que vos collaborateurs. Je pense que cette recherche sur la
tarîqa, vous le faites pour nous car le rôle des Kounta au Sénégal doit être connu. Le rôle de la femme dans la société sénégalaise et dans la
tarîqa Khadriya en particulier doit être connu. Je vous réitère mes remerciements et vous souhaite la bienvenue.
00 :08-MH: Vous vous appelez Sokhna Kounta, fille de Mame Bou, l’actuel khalife. Etes-vous née ici à Ndiassane ou à Kamatane? Dites-nous un peu.
Je suis née à Thiès. Cela est dû au fait que ma mère, la première épouse du Khalife, est une petite-fille de Cheikh Bou Kounta de par sa mère. Cheikh Bou avait fait d’elle une vraie sainte et une brave dame. Elle résidait au quartier Malamine Senghor, ce qui explique ma naissance à Thiès.
01 :50-MH: Avez-vous vécu à Kamatane, la cité fondée par votre père?
Ma mère a été à Kamatane. Tous ses enfants y sont nés à l’exception d’un petit-frère à moi et moi-même.
02 :58-MH: En tant que femme, avez-vous suivi l’enseignement coranique au même titre que les hommes ? Est-ce que les femmes suivent une formation différente?
Oui, nous avons suivi les études coraniques dans les
daara [i] du village et avons été à l’école française.
02 :17-MH: Vous étiez dans quel daara? C’était à Ndiassane ou ailleurs?
J’ai été au
daara de Cheikh Mouhamed Bécaye, l’imam de la mosquée de Ndiassane. Il est le petit-frère du Khalife. C’est à son
daara que j’ai appris le Coran. Je me rendais au
daara le matin et le soir j’allais à l’école française.
02 :43-MH: Et l’école française, vous l’avez débutée ici à Ndiassane ou à Thiès ?
J’ai débuté à Thiès.
02 :47- MH: L’école française?
L’école française, oui. Cheikh Mouhamed Bécaye avait deux
daaras: un dans sa demeure à Thiès et un autre ici.
02 :55-MH: Vous étiez à son domicile à Thiès ?
Oui, j’étais à son domicile pour suivre mes études.
03 :00-MH: Quel est votre niveau d’étude coranique? Si l’on prend l’exemple de la famille Niassene, les femmes font des études très poussées et se distinguent pour cela. Certaines assimilent le Coran. Est-ce le cas pour la famille de Cheikh Bou Kounta ?
Dans la famille de Cheikh Bou Kounta, des femmes assimilent le Coran, d’autres font des études très avancées. Personnellement, je n’ai pas tout assimilé mais je peux lire n’importe quelle partie du Coran. J’ai atteint un niveau très avancé et je me sers du Coran selon les besoins. Certaines de nos dames enseignent le Coran.
03 :37-MH: Pouvez-vous nous donner des noms ?
Il y a Fatimatou Kounta. Elle gère le
daara de Tangore.
03 :45-MH: Ici à Ndiassane ?
Tangore, c’est ce village de Cheikh Bou Kounta sur la route de Thiès.
03 :51-MH: Fatimatou Kounta, est-elle une petite-fille de Cheikh Bou Kounta?
Oui, elle est une petite-fille de Cheikh Bou Kounta. Il y’en a d’autres. Certaines ne sont plus en vie et leurs proches continuent l’enseignement dans ces
daaras.
04 :04-MH: Voulez-vous citez des noms car…
Il y a Sokhna Khady Kounta, une sœur du Khalife qui pratiquement se chargeait du
daara de Sokhna Bécaye de Thiès. Elle est décédée. Sokhna Lala Kounta aussi avait en sa charge un
daara.
04 :22-MH: Lala Kounta senior?
Oui, elle enseignait dans un
daara. A l’intérieur de cette maison nous avons un
daara mais c’est un homme qui s’en charge. C’est Mouhamed qui l’a créé et y enseigne.
04 :39-MH: Quel niveau d’étude à l’école française avez-vous atteint?
J’ai été jusqu’en classe de première. C’est le mariage qui a constitué un frein car dans notre famille on se marie très tôt.
04 :50-MH: J’ai remarqué que dans votre famille élargie, les filles de votre grand-frère sont parties étudier en France. Ya-t-il des femmes qui ont été à l’université ou qui occupent des postes de responsabilités dans le gouvernement ou d’activités dans les secteurs économiques et qui sont issues de votre famille?
Je peux dire que mon père est le premier des Kounta à envoyer ses enfants à l’école française. Mouhamed est un docteur et ma petite-sœur est institutrice. Certains de ses petits-enfants sont à l’université. C’est l’exemple de Mintou, la fille de ma grande-sœur, et de ma fille qui fait une licence en sociologie. Elles se débrouillent bien. Certaines n’ont pas atteint un niveau d’étude avancé; d’autres sont des institutrices, d’autres des secrétaires de direction. Le Khalife a une fille qui a son BTS. Elle est ici à la maison. Elle a travaillé comme secrétaire de direction et a presque fini ses études.
06 :19 -MH: Depuis que votre père est Khalife, d’après mes informations, vous jouez un rôle important auprès de lui. En votre qualité de fille du Khalife, vous qui avez appris le Coran, fait l’école française et êtes un membre imprégné des mœurs des Kounta, en quoi consiste ce rôle ?
En quelque sorte, je joue le rôle d’une assistante sociale auprès de mon père. Je m’occupe de son état de santé, des liens avec son entourage et de tous ceux qui portent un espoir en notre famille. Je fais de mon mieux pour que cet espoir ne soit pas déçu. Mon grand frère Mouhamed et moi veillons à cela. Nous trouvons un docteur ou une ambulance pour les malades et assistons ceux qui ont des difficultés (avec la justice) - s’ils n’ont pas tort. Voilà ce que nous faisons, moi et mes frères et sœurs. Les démunis fondent un espoir en nous et donc viennent chez nous chaque matin. Nous faisons de notre mieux pour satisfaire leurs besoins.
07 :35-MH: Vous êtes une sorte de secrétaire ?
Oui.
07 :38-MH: Les démunis viennent vous voir, vous leur offrez la dépense quotidienne…
Et Mouhamed aussi.
07 :42-MH: Mais Mouhamed enseigne. Il est à Dakar la plupart du temps. Vous, vous êtes à la maison et tous ces gens viennent vers vous. Comment gérez-vous tout cela?
Quand des gens viennent, je fais tout pour satisfaire leurs besoins et leur tenir un discours rassurant. Il arrive parfois que je ne puisse pas satisfaire la demande dans l’immédiat, je réconforte la personne concernée et lui demande de repasser ou d’envoyer quelqu’un après. Tout à l’heure, vous avez vu quelqu’un frapper à la porte. C’est un cas que j’ai dû différer le temps que je puisse le régler, par la grâce de Dieu. J’essaie d’être rassurante. L’assistant du Khalife fait de son mieux en ce qui le concerne. Certains s’adressent à lui quand ils ont besoin de riz ou autre. Nous tâchons d’être accueillants envers ceux qui viennent vers nous.
08 :36-MH: Est-ce à dire que le Khalife met à votre disposition un stock de denrées alimentaires pour les démunis ?
Oui, c’est cela. Le Khalife dit que la nourriture doit être à la portée de tout le monde. Il ne souhaite pas voir des gens démunis sans qu’on les aide ou que leurs espoirs soient déçus. C’est cela le fondement de l’éducation qu’il nous a inculquée et c’est la base de notre démarche. Le Khalife nous recommande aussi de ne jamais répondre par la négative aux requêtes des nécessiteux. S’il faut donner de quoi subsister pour une journée et prier à la personne concernée de repasser en attendant de trouver plus, nous le faisons. Nous trouvons toujours une solution par la suite.
09 :28-MH : Vous vous occupez des malades. Il y a un dispensaire avec un infirmier et une sage-femme, n’est-ce pas ?
C’est exact. Nous avons un infirmier et une matrone. Cependant, il arrive que des malades nécessitent une évacuation. S’ils n’ont pas les moyens, ils viennent chez nous et s’adressent au premier disponible. Le plus souvent on vient me voir. Pas plus qu’hier nuit, il y a un jeune qui est venu. Nous étions déjà au lit quand il a frappé pour dire à Mouhamed qu’il y avait le mari d’une de ses proches qui avait le ventre ballonné. Il est arrivé très inquiet. Les voitures étaient disponibles mais les chauffeurs étaient absents. Ahmet se décida alors de lui donner de l’argent pour louer une voiture. Quand ils ont frappé à ma porte pour m’expliquer la situation, je leur ai dit que ce genre de malade nécessitait une ambulance et la supervision d’un médecin. C’est ainsi que j’ai appelé les sapeurs-pompiers. Ces derniers nous ont toujours été d’un grand soutien.
10 :43-MH: Les sapeurs sont –ils venus de Tivaoune?
Les pompiers sont venus de Tivaoune. J’ai appelé l’adjudant qui a immédiatement envoyé l’ambulance pour qu’on achemine le malade à Tivaoune. Ils m’ont appelé tout à l’heure pour me signifier qu’on allait transférer le malade à Dakar. Je leur ai conseillé de tout laisser entre les mains du médecin.
11 :04- MH: Reparlons des études! Elles sont importantes- qu’elles soient les études coraniques ou à l’école française- pour la Tarîqa. Nous savons que Cheikh Bou Kounta envoyait ses enfants en Mauritanie pour qu’ils y étudient. Ses enfants en font autant aujourd’hui. Certains de vos frères sont en Mauritanie actuellement. Parmi tous ces gens, y a-t-il des femmes ?
Je ne connais pas de femme qui est partie étudier en Mauritanie. Je sais qu’on respecte les études en Mauritanie au sein de la famille. Mon oncle, le petit-frère de mon père, bien qu’il soit directeur d’école, dit qu’il est même tenté d’envoyer des femmes en Mauritanie pour qu’elles étudient. A ma connaissance, il n y a que Lala Aicha qui a été en Mauritanie.
12 :01-MH: Lala Aicha ?
Oui
12 :03-MH: Qui sont ses parents?
Elle est la sœur de Cheikh Bou Kounta. Son père est Cheikh Al Bounama.
19:09-MH: Ah, Lala Aicha Junior!
Oui, c’est elle.
12:14:-MH: Parlez-vous l’arabe hassanya ?
Non, je ne parle pas l’arabe. (Rires)
12 :19-MH: Cela se comprend. Vous êtes une Kounta de père et de mère. (Rires)
Tout à fait. (Rires)
12 :25 :-MH: Au sein de la famille, y a-t-il des femmes qui ont bénéficié de bourses d’études étrangères que ce soit pour des études en arabe ou en français ?
Mouhamed s’y attèle…
12 :47-MH: Je pose cette question parce qu’il y a beaucoup de gens qui partent étudier en Tunisie, en Egypte, partout. Parmi ces gens-là on trouve des femmes. Cela me permettra d’avoir une idée sur la portée de votre famille.
Pour le moment, nous n’avons pas de femme qui est partie étudier à l’étranger car le problème des bourses se pose. Mouhamed fait de son mieux pour que les femmes bénéficient de bourses étrangères et à défaut de cela, qu’elles puissent obtenir de l’aide pour étudier ou travailler ici.
13 :28 :-MH: Selon vous, quel doit être le rôle de la femme dans une tarîqa ? Etes-vous satisfaite de l’état actuel des choses ou pensez-vous que le rôle de la femme doit être davantage soutenu ?
Son rôle doit être accentué. Il est vrai que la femme occupe une place importante mais elle doit être responsabilisée davantage. Les femmes peuvent jouer tous les rôles que jouent les hommes dans une tarîqa. Les femmes dirigent des
daaira[ii] au même titre que les hommes. La participation d’un cheikh est plus ou moins égale à celle d’une cheikh dans les
daaira ou la
tarîqa. Toutefois, il faut que les femmes redoublent d’efforts dans la tarîqa car c’est une chose fondamentale, surtout dans la
tarîqa Khadriya. C’est une grande
tarîqa et les femmes y occupent une place de choix.
14 : 19-MH: Et vous, souhaitez-vous voir vos responsabilités au sein de la famille augmentées?
Je vais endosser toutes les charges qui me seront affectées. Je m’occuperai correctement de tout car je souhaite faire plus pour la
tarîqa. Dans ce sens, rien n’est assez à mes yeux surtout que mon père est le Khalife. Je souhaite que les moyens soient augmentés ainsi que les prérogatives. S’il plait à Dieu, je m’occuperai de tout comme il se doit.
14 :15-MH: Avez-vous un projet qui vous tient à cœur aujourd’hui.
Oui, j’ai des projets. Toute la jeunesse de Ndiassane est derrière moi. Ils ont des projets et ont besoin de financement. Les chômeurs parmi eux ont besoin d’emplois. J’ai besoin d’aide dans ce sens.
15 :24-MH: Concrètement, citez un projet qui vous tient à cœur.
Nous sommes en période d’hivernage et les jeunes se sont constitués en ASC.
[iii] Leurs activités dépendent des saisons. Ils ont besoin de financement et un champ pour le maraîchage pendant la saison sèche. Cela leur permettra d’avoir leurs propres fonds. Nous avons deux associations: «
And Defar Njàsaan »[iv] et «
And Taaral Njàsaan. »
[v] Elles ont besoin d’aide.
16 :07-MH: Vous dirigez ces deux associations ?
Oui, je les dirige.
16 :09-MH: Et ces deux associations regroupent des hommes et des femmes, n’est-ce pas ?
Oui ! En ce mois de ramadan, elles organisent trois conférences religieuses. Certaines activités telles que les
Navétanes[vi] dépendent de la saison.
14 :30-MH: Les Navétanes sont le domaine des garçons, non?
C’est vrai. Les jeunes de l’association
«And Taaral Njàsaan» sont très dynamiques mais ils ne sont que des élèves. Il y a l’association des étudiants qui vient de voir le jour. Ces jeunes se regroupent afin qu’on puisse les aider à prendre en charge le logement de certains bacheliers issus de familles modestes. Ils essaient tant bien que mal de solutionner cela ainsi que le cas des élèves qui ont des difficultés au niveau du lycée. Certains jeunes garçons interviennent dans la vente des produits dérivés de la teinture. Des fois ça ne marche pas et ils sollicitent de l’aide. Si vraiment on pouvait aider la jeunesse à trouver du travail ou à défaut leur trouver des champs pour qu’ils puissent cultiver, ce serait bien. Les femmes aussi ont besoin d’aide pour avoir un centre (de formation). Il y a l’association Macodou Diop qu’Ahmet dirige mais je pense que je vais intervenir car elle n’est presque plus opérationnelle.
18 :03 :-MH: L’association Macodou Diop.
Oui ! Ahmet vous a parlé d’elle, je pense.
18 :08:-MH: Elle porte le nom de la grand-mère, … la mère…
La mère de Cheikh Bou Kounta. Cette association était presque inactive. J’ai convoqué une réunion cette semaine pour remettre les choses sur les rails.
18 :20–MH: Qui sont les membres d’association? Des femmes?
Oui, des femmes de Ndiassane. Des femmes nées ici.
18 :23-MH: L’association regroupent donc des Kounta et des disciples.
Tout à fait! Dans la vie associative, qu’on soit un Kounta ou un disciple, on doit diriger et servir les autres si on en a la capacité. C’est ce que nous essayons de faire.
18 :43–MH: Sokhna Astou Kounta, je vous remercie.
[i] Ecoles coraniques sénégalaises
[ii] Une association de fidèles de la même confrérie et qui a une vocation religieuse et sociale
[iii] Association Sportive et Culturelle
[iv] S’unir pour un Ndiassane meilleur
[v] S’unir pour embellir Ndiassane
[vi] Championnats populaires de football