Entretien avec Cheikh Sidi Yakhya Kounta
00:00 : Madame Toba Diagne Haidara (MH): Quelle est votre position au sein de la famille Kounta?
Je m’appelle Sidi Yakhya Kounta et je suis le fils de Mohammed Bécaye Kounta, l’imam
raatib[i] de Ndiassane. Mon pere est le fils de Cheikh Al Bécaye de Cheikh Bou.
00 :43 : MH: Vous êtes un arrière arrière-petit-fils donc?
Effectivement. Ma mère s’appelle Sokhna Khady Kounta. Le khalife actuel, El Hadji Mame Bou Kounta est son demi-frère. Leur père est Elhadji Mamadou qui est le fils de Cheikh Bou, le créateur de Ndiassane.
01:05 : MH : Quelle est votre profession?
Je travaile au port autonome de Dakar.
01:13 : MH : Avez-vous fréquenté l’école laïque?
Oui, j’ai été à l’école française. Il n’y avait pas d’école à Ndiassane quand je suis allé à l’école. Je suis allé à l’école au Saloum, dans le village d’Elhadji Mamadou Kounta, à Kamatane. A la suite de cela, je fis mes études primaires, et après avoir obtenu mon entrée en sixième, je suis venu à Thiès pour rejoindre ma mère. J’ai continué à étudier jusqu’à l’obtention du BFEM et j’ai quitté l’école après cela. Après mon départ de l’école je suis resté deux ans chez moi sans étudier. A la suite de cela mon homonyme, Cheikh Sidi Yakhya, decida de me payer mes études et cela me permit de passer trois autres années à l’école.
02 :12 : MH : Quelle est votre fonction au port autonome de Dakar?
Je travaille comme pointeur au service de pilotage du port. C’est nous qui déterminons le nombre de bateaux et voitures qui arrivent à Dakar.
02 :54 : MH : Quel rôle jouez-vous dans la vie religieuse de la famille Kounta ?
La plupart des activités menées au sein de la famille Kounta sont dirigées par nos aînés. Et s’il arrive que certaines tâches leur soient déléguées par le khalife alors qu’ils ne sont pas disponibles, ils nous responsabilisent à partir de ce moment. S’il arrive aussi qu’il y ait plusieurs manifestations et qu’ils ne soient pas en mesure d’être partout à la fois, ils nous déléguent.
03 :42 : MH : Pouvez-vous partager avec nous les resultats de vos recherches sur votre généalogie?
Quand il y a des faits concernant la famille que je ne comprends pas, je pose des questions pour avoir plus de clarifications. Je pense que quand des érudits parlent de choses que l’on ne comprend pas, il faut en profiter pour poser des questions. C’est pour cela que quand je lui [Pape Malick Béye] posais la question tout à l’heure, il répondit en disant que Cheikh Mohammed a écrit mais que c’est les fils de Cheikh Bou qui ont été les premiers à poser des questions sur la famille. Cheikh Mohammed Bou a écrit mais je pense qu’il fait parti des petit enfants. C’est ce que je lui demandai et il a répondit que Cheikh Mohammed Bou est un petit fils de Cheikh Bou. Si l’on dit que je fais des recherches sur la famille, cela ne veut pas dire que je consacre mon temps qu’à cela. Les temps actuels ne nous permettent pas de faire cela. Par conséquent, nous profitons d’occasions pareilles pour chercher à savoir advantage sur la famille.
05 :25 : MH : Avez-vous frequenté l’école coranique?
Nous avons d’abord été à l’école coranique au Saloum. C’est quand nous étions âgés de trois à quatre ans que nous avons commencé à fréquenter l’école coranique. C’est quand nous avons eu sept ans que nous sommes entrés à l’école française. Les jours fériés on allait à l’école coranique et on allait à l’école française les autres jours.
06 :04 : MH : Quels sont les résultats de vos recherches sur votre arrière grand-père Mame Cheikh Mame Bou?
Je dirais que mes recherches sur mon grand père ne sont pas très significatives. Comme je vous ai dit tout à l’heure, je profite des événements de la famille pour poser des questions et en savoir davantage sur la famille. Et comme la majeure partie de nos questions sont basées sur des faits concrets tels que les « séanes », l’éclatement de la pierre etc.... Quand on pose une question liée à cela, la réponse que l’on recoit, on l’appelle
zahir (c'est-à-dire une information dont on doute de la véracité)
. Ce qu’on raconte d’habitude concernant l’origine des
séanes est qu’il fut des temps où la population de Ndiassane était confrontée à une pénurie d’eau. Et à force d’aller en chercher chez les villages avoisinant Ndiassane, ces populations aussi les rabaissaient et les humiliaient. Et c’est ainsi qu’ils firent appel à l’aide de Cheikh Bou qui alla en dehors du village, pria Dieu, et c’est quand il eut fini d’implorer le Très Puissant et qu’il rentrait dans le village que les gens ont entendu un éclatement. Ils partirent s’enquérir sur la cause de l’explosion pour constater que c’était une pierre qui avait éclatée en fait.
Deuxième piste
00 :40 : MH : Quel était le style de vie de Cheikh Bou ?
Je n’ai pas entendu beaucoup de choses sur le mode de vie de Cheikh Bou. Il parait que les anciens étaient riches mais le mode de vie qu’ils menaient en tant que personnes d’une certaine richesse est différent du style de vie que mènent les riches de notre temps. Les anciens mangeaient des bouillies de céréales [
laxx]. Il était difficile de dire qu’il était riche en voyant son régime alimentaire.
01 :33 : MH : Est-ce que Cheikh Bou faisait du commerce?
Non, personne ne m’a dit qu’il faisait du commerce. Je sais que son fils Cheikh Sidi Lamine faisait du commerce mais je n’ai pas entendu dire que Cheikh Bou en faisait. On a dit aussi qu’il ne sortait pas beaucoup de Ndiassane aussi. Les trois endroits où il a fait de courts séjours sont la Gambie, Ndayane et Bargny. Voilà des endroits où il passait, se révélait à une personne alors qu’il était en route pour une autre place. Bargny m’est familier et je peux dire que son influence là-bas se fait sentir jusqu’à présent. C’est les valeurs qu’incarnaient Cheikh Bou lorsqu’il était de passage là-bas que les anciens essaient d’inculquer à leurs enfants jusqu’à présent. Si tu appelais les khadres à Ndiassane aujourd’hui, la délégation provenant de Bargny dépasserait les autres délégations qui viendraient d’ailleurs. Les khadres de Bargny disent qu’ils ont été chanceux parce que ce que Cheikh Bou a laissé à Bargny, il ne l’a pas laissé dans les autres endroits où il s’est rendu.
Cheikh Arona Ndoye et Malé Keita sont à Bargny.
03 :16: MH: On dit d’habitude que les Maliens et autres « lakkat » constituent la partie importante de ces disciples mais on retrouve des lébous, des wolofs etc… parmi ces disciples.
03 :27 : MH : Comment était la vie familiale et sociale de Cheikh Bou?
On ne m’a pas dit grand chose sur cela parce qu’en fait Ndiassane n’était pas un grand village à cette époque. S’il arrivait qu’il rencontre quelqu’un en train de circuler en pleine nuit, il l’accostait et le dissuadait de marcher aux heures tardives de la nuit.
04 :27 : MH : Qu’est-ce qui justifie la prospérité de Ndiassane du temps de Cheikh Bou?
Je pense que la prospérité du village était due aux
séanes. Il parait que personne n’avait besoin d’aller en dehors du village pour acheter quelque chose. Ils poduisaient des légumes et du riz là où se trouvaient les
séanes. C’est les villages voisins qui venaient chercher à Ndjassane mais pas le contraire. Si les populations des villages environnants avaient peur de nous, c’est parce qu’ils venaient s’approvisionner à Ndiassane et avaient peur de perdre ses acquis.
05 :15 : MH : Qu’est-ce qui expliquent les liens d’amitié qui existaient entre Cheikh Bou et les politiciens, en l’occurrence Carpot ? Qu’est ce qui l’a poussé à financer la campagne électorale de Carpot ?
J’ai juste entendu parler de cela mais j’ignore ce qui le liait à Carpot et qui l’ont poussé à le soutenir. Moi-même, je fais de la politique donc je devrais connaitre quelque chose sur cela mais je ne sais vraiment pas.
05 :59 : MH: Pourriez-vous nous parler de la préparation et de l’organisation du gàmmu de Ndiassane (réception des invités, réunions de préparation du gàmmu, etc…).
A l’approche du gàmmu le Khalife convoque une réunion de préparation. Nous avons un mouvement, le Djama. La fédération aussi s’active.
06 :36 : MH : Vous parlez de l’association des jeunes khadres?
Oui. Il y a une autre association gérée par les anciens : Elhadji Mamadou Diop qui a été à la Mecque, Cheikh Moussa Diakhaté qui vit à Rufisque et Cheikh Moussa Cissokho
. C’est eux qui gérent la préparation du gàmmu, c’est eux qui convoquent les réunions, organisent et après cela ils nous informent et informent le Khalife, qui à son tour, se réeunit avec les membres de sa famille pour discuter avec eux des décisions prises par les associations. C’est eux aussi qui accueillent et installent les invités au gàmmu. Par ailleurs, ils enregistrent le nombre d’invités qui viennent participer au gàmmu et s’occupent d’eux aussi. La seule chose qui nous revient durant le gàmmu est la tente.
07 :42 : MH: Vous installez la tente?
Non, non. Je voudrais dire que notre rôle dans le déroulement du gàmmu ne commence véritablement qu’après l’installation de la tente et precisément la nuit, au moment où les Maures, les marabouts et les savants sortent pour discuter avec les pélerins. C’est les disciples qui gérent pratiquement tout ce qui concerne le gàmmu.
07 :53 : MH : Quelle est la contribution de la famille Kounta au financement du gàmmu
?
C’est le khalife qui s’occupe de toute dépense liée à la tenue du gàmmu. Elhadji Mamadou n’a pas encore tenu de gàmmu mais celui qui l’a précédé prenait en charge toutes les dépenses liées au gàmmu. C’est lui qui achetait le bétail que l’on tue dans les maisons. Quand les disciples, politiciens, amis et sympathisants lui aménent du bétail, il le distribute dans les maisons. Il donne aux Maures leur part et aux disciples la leur aussi, ainsi personne ne se fatigue durant l’organisation du gàmmu. On ne cotise pas pour donner au Khalife concernant le gàmmu.
08 :48 : MH : Il paraît que vous gardez des documents et photos des membres de la famille.
Je garde quelques photos des anciens. Je n’ai jamais vu de photo de Cheikh Bou. Je n’ai pas encore rencontré une personne qui ai vu une photo de Cheikh Bou. Personne ne m’a encore décrit Cheikh Bou aussi. Il paraît qu’il était de petite taille et de teint clair. Il nous est difficile, nous jeunes Kountas, de dire beaucoup de choses sur Cheikh Bou. Ce dont nous pouvons parler avec plus de confiance et d’autorite est la période qui va de la vie de son fils aîné jusqu’à celle des khalifes contemporains. Il y a une photo de Cheikh Al Bécaye qui se trouve à la maison où il est accompagné d’une foule. Il était de petite taille aussi.
10 :32 : MH : Qu’est-ce qui justifie l’intérêt que les politiciens actuels ont pour Ndiassane?
Ndiassane n’a pas de poids électoral. Il n’y a même pas assez de personnes pour constituer une longue liste électorale. Je vais prendre l’exemple du président Abdoulaye Wade. Vous savez qu’il a mené un combat politique pendant 26 ans pour devenir président du Sénégal. D’après les anciens, il ne s’était jamais rendu à Ndiassane pendant toute cette période qu’il cherchait à accéder à la législature suprême. En 2000 il est venu voir le Khalife et ce dernier lui a fait cette remarque. Je suis témoin de cela parce que j’étais présent quand il est allé voir le Khalife. Ce dernier lui dit: “tu n’es jamais venu à Ndjassane pendant les 26 ans de combat politique que tu as mené pour accéder au pouvoir. Cette année Dieu t’a amené ici et je vais dire que si ton souci principal est de subvenir aux besoins des démunis, Dieu fera de toi le président.” Je pense que cette prière a été exaucée. Je pense que les prières et la connaissance mystique des khalifes de Ndiassane font courir les politiciens.
11 :58 : MH: J’ai remarqué qu’il y a un CRD à Ndiassane maintenant et aussi beaucoup d’effervescence et d’activité autour de la préparation du gàmmu. Tel n’était pas le cas dans le passé et cela m’a conduit à me dire une fois que c’est peut être la famille qui ne s’intéressait pas à la politique.
Vous avez raison. Cela n’existait pas dans le passé mais les temps ont changé. Maintenant, la ville a un porte-parole auprès de l’état etc…C’est eux qui ont introduit cela à Ndiassane mais ils te montrent en même temps que la tradition et les valeurs auxquelles tenaient les anciens demeurent et que cette ouverture à la politique et autres ne sont rien d’autres qu’une manière de rendre les choses un peu plus facile pour le Khalife. Ce que nous faisions du temps de Cheikh Sidi Lamine concernant l’organisation du gàmmu est toujours en vigueur mais il est bien de s’ouvrir un peu tout de même.
13 :12 : MH : Quelles sont les préoccupations actuelles des jeunes de Ndiassane?
Je dirais en toute honnêteté que nous avons plusieures préoccupations. Nous manquons de plusieures infrastructures. Vous pouvez voir que nous avons entamé la construction d’une grande mosquée mais jusqu’à présent nous ne parvenons pas à l’achever. Nous avons fait le fondement mais c’est à ce niveau que nous nous sommes arrêtés. Vous pouvez voir aussi que nous n’avons même pas pu clôturer l’école. Nos avons des problèmes d’eau, d’électricité, d’emploi. Vous savez si la personne étudie, et est obligée de trainer parce qu’elle ne trouve pas d’emploi cela ne vaut plus la peine. C’est en vue d’aider à trouver des solutions à ces problèmes que moi et d’autres s’impliquent davantage dans la politique et autres. C’est grâce à mes activités que j’ai pu trouver du travail au port autonome de Dakar. Nous encourageons tous les jeunes à se débrouiller, et certains jeunes ont pu trouver de l’emploi à l’accession d’Abdoulaye Wade au pouvoir. Notre souci majeur reste la construction de la mosquée.
14 :57 : MH : Parlant du volet administratif maintenant. J’ai cherché à savoir si Ndiassane était une communauté rurale, et la réponse que j’ai recue était que Ndiassane était un village, et cela m’étonne vu que cette localité regroupe plus de 3000 habitants.
Moi, je suis conseiller à la communauté rurale et nous nous sommes battus pour que le président de la communauté rurale reste dans la ville. Nous avons, par ailleurs, essayé de pousser le Khalife à faire des démarches auprès de l’état pour que la communauté rurale soit déplacée ici parce que Ndiassane est plus grand que Keur Chérif Lô où se trouve la communauté rurale. Keur Chérif Lô n’a pas aussi les quelques infrastructures que nous retrouvons à Ndiassane mais le Khalife n’est pas favorable à cette initiative. Ceux qui l’ont précédé ne le voulaient pas, lui non plus n’en veut pas. Sa position est que la communauté rurale nous donnera ce dont nous aurons besoin. Au cas contraire nous chercherons d’autres moyens car il y a des choses qui viennent à Ndiassane sans que la communauté rurale ne soit au courant ou impliquée.
16 :02 : MH : Et qu’en pensent les jeunes? Vous savez les temps changent. Est-ce que la situation qui prevaut à Ndiassane actuellement vous arrange ou désirez-vous la changer et améliorer les choses?
Nous aurions préféré changer la situation mais nous ne pouvons pas nous opposer aux anciens. La tradition reste plus forte que la modernisation ici. Le Khalife actuel permet une certaine ouverture mais il tient aussi à maintenir la tradition.
17 :00 : MH : Quelles doléances poseriez-vous à Bush [Président George Bush] si vous aviez l’occasion de le rencontrer?
(Rires). Je ne partage pas la même foi avec lui mais une personne avec qui l’on ne partage pas la même vision du monde peut nous être utile aussi. Je lui parlerai à coup sûr de la mosquée. Je lui parlerai aussi des jeunes en chômage pour voir s’il pourrait leur trouver les moyens de travailler et d’investir chez eux.
17 :48 : MH : Malgré le fait qu’il soit vu par beaucoup de gens comme un ennemi de l’Islam?
Oui, on dit aussi quand Dieu donne les moyens à des ennemis de l’Islam et que ces derniers investissent leur argent dans des projets qui servent les musulmans, il faut en profiter. Il faut voir cela comme une manière pour Dieu de venir en aide de manière indirecte à ses fidèles. Le Président Houphouet Boigny a construit une grande mosquée à Yamoussoukrou. J’en ai parlé quand cela est arrivé. Il m’a fait comprendre que cela constituait une manifestation de la force divine. Il me dit que ceux qui ne sont pas musulmans mais sont riches, Dieu les amènent à faire de bonnes choses pour les musulmans. Selon ces bons actes faits à l’encontre des musulmans par les non-musulmans renforcent les musulmans et condamnent les non-musulmans.
19 :01 : MH: Pourrions-nous voir les photos?
Je vais vous donner les photos que je garde mais Ndiaga Koné en garde plus que moi. D’ailleurs c’est de lui que je prends les miennes. C’est Ndiaga et les autres qui gardent la plupart des photos parce qu’ils les utilisent dans leurs expositions. Il y a une grande photo qui se trouve à la maison et je vous l’amenerai demain.
[i] L’imam
raatib est l’imam principal d’une mosquée