Séance orale
Omar SARR, fils de l’ancien qadi Ndiaye Sarr Saint-Louis, Sénégal, le 4 juin 1985
Omar Sarr, chez lui, 8 rue Chassagnol, dans le Sud de Saint-Louis, le 4 juin 1985. En français. Au sujet de sa famille, le qadi Ndiaye Sarr, et les rapports entre les Murides et l’administration coloniale. Dans la présence de Papa Seye Charles, notable de la ville, et David Robinson.
La famille Sarr et affaires musulmanes Saint-Louis
Robinson: On va commencer par parler de votre père, le qadi Ndiaye Sarr.
Sarr: Mon père n’est pas né à Saint-Louis, mais à Podor. Mon grand frère Alioune Sarr est né à Podor. Mon père était à Podor comme traitant. Il avait deux bascules. Il disait au vendeur: "J'ai deux bascules. Dans une je pose les produits et je vous donne exactement le poids constaté. L'autre bascule, je vous donne le poids mais je prélève une petite portion; cela me permet de vous faire passer la journée chez moi, je vous ferai des cadeaux, vous donnerai des biscuits, etc. Choisissez entre les deux." Comme les autres traitants avaient constaté son honnêteté (d'autres traitants prenaient leur portion sans le dire) pour le commerce, et lorsque Hamat Ndiaye Anne était décédé, ils ont propose mon père comme qadi.
Mon père a refusé, peut-être pour ne pas faire une erreur judiciaire au detriment des gens. Tout le monde et l'administration l'ont demandé. L'administration et Ia population ont insisté, on l'a menacé, céetait au moment quand l'administration exilait des gens Guadeloupe, etc. Je peux citer un cas, d'un nomm Mouniou Wade qui était exilé ou emprisonné parce qu'il était [classé comme] revolutionnaire. D'ailleurs c'est le premier imam de Saint-Louis, ils'appelait Silla et disait les prières de la petite mosquée qui existait avant la construction de Ia grande mosquée.
Lorsqu'on a construit la grande mosquée en 1848, il [le Gouverneur] a dit la population: "Maintenant votre mosquée est construite, et choisissez bien votre imam." Its ont choisi Hamat Ndiaye Anne.
[Plus tard, et] de ce fait /pression/ il/ Ndiaye Sarr/ a accepté, mais il leur a dit: "Je suis obligé de rendre le jugement tel que m'a dicté le Koran. Si vous l'appreciez, tant mieux, sinon, tant pis. Si je dois frapper, je frappe; si je dois tuer, je tue; si je dois mettre en prison, je mets en prison." Ils /les français/ ont répondu non, tuer non, seulement vous pouvez mettre en prison. Il dit: "Eh bien dans ce cas vous êtes responsables pour l'execution des jugements, je dêgage toute responsabilité." C'est comme ça qu'il a agi. I1 êtait honnête. Le Sous-Secretaire d'Etat de la Marine qui gouvernait la colonie l’époque a dit de le consulter avant de s'immiscer dans les affaires religieuses.
Famille Sarr et les Mourides
C'est pourquoi quand on a amené Amadou Bamba Saint-Louis, on l'a consulté [Sarr]. Il a répondu qu'Amadou Bamba n'est pas un homme faire le jihad. Ils ont dit que c'est un marabout, un fanatique, et nous avons des instructions du Commissaire du ouvernement de la Marine pour le faire sortir du Sénégal, nous sommes obligés de le faire. Il a dit d'accord, puis a dit Amadou Bamba : "Parce que ces gens sont suffisamment puissants pour te faire sortir du S n gal, demandons Dieu pour te faire revenir." Ils se sont separés. Quand il a appris le dêcès de mon père, ila demandé son frère Cheikh Anta d'aller Saint-Louis, épouser la veuve du cadi et lui amener le plus jeune de ses enfants. Cheikh Anta lui a dit d'examiner ce qu'il a dit, qu'un cayorien aille Saint-Louis épouser la veuve d'un tel notable. Le marabout lui a dit d'aller, de l'épouser et de lui amener le plus jeune enfant tout simplement. Cheikh Anta est venu Saint-Louis, ila épouse ma mère Mariame Ndiaye. I1 était avec son fils ainé Amadou Mamoudou. Il est parti en Mauritanie rejoindre son grand frère sans m'amener. Alors, quand il est arrivé Amadou Bamba lui a dit: où est le fils de Ndiaye Sarr. Cheikh Anta dit qu'il ne l'avait pas amene, qu'il le ferait un de ces jours. Le marabout a dit non, aller immédiatement. Alors je suis allê, je suis arrive Ghomar /?/. Quelques jours aprês Bashirou Mbacke est venu, il [le marabout Amadou Bamba] a appele un nomme Mor Mbacke Toure et lui a dit: "Je vous consigne ces deux enfants là pour leur apprendre le Koran." Ainsi j'ai appris le Koran avec Bassirou Mbacke.
Quelque temps après nous avons quitté la Mauritanie pour aller dans le Jolof, à Theyène près de Louga. Un jour ma mère est venu là-bas, pour demander le divorce. Elle a dit au marabout: "Votre frère ne m'entretient pas comme il devait le faire, je lui ai demandé le divorce, il a refusé. Il paraît que vous êtes le seul qui peut l'obliger faire quelque chose. Je suis venu vous demander d'intervenir." Il a répondu: "Eh bien on lui a donné l'ordre de vous épouser, on va lui donner l'ordre de vous divorcer." Alors ma mère allait rejoindre Saint-Louis. Je pleurais. Le marabout dit: "Je ne veux pas voir tes larmes, va t'accompagner ta mère jusqu' à Louga, puis tu reviendras." Je suis rentré Saint-Louis, je refusais de retourner.
En 1913 il [Cheikh Anta] a demandé á ma mère de ne pas rompre les liens d'amitié qui existaient avec les Mbacke Mbacke. Alors chaque fois que Cheikh Anta venait á Saint-Louis il nous envoyait de l'argent pour lui préparer des mets. Un jour il est arrivé á Saint-Louis me dire qu'il allait m'amener á Gawane. J'ai accepté et il m'a amené á Gawane. Il y avait á Gawane son fils Ibra Yaba /?/, Serigne Takko, mon frère Iba Mbacke. Il nous a confié Mamadou Kebe pour nous enseigner le Koran. Je suis resté. Quelque temps après on a envoyé mon cousin de Saint-Louis. A Banda il y avait un nommé Sarba, un traitant, un parent. Mon cousin lui a dit: "Je suis envoyé par ma tante Mariame Ndiaye de lui amener ses deux enfants." Ce dernier lui a donné un cheval, et ilest venu á Gawane á minuit, il nous a ramené á Saint-Louis.
[Ndiaye Sarr et Cheikh Anta Mbacke]
Nous sommes restés á Saint-Louis jusqu'en 1923. Alors Cheikh Anta est á venu á Saint-Louis me demander ce que je faisais. Je lui ai dit: "Je suis dans le commerce, je travaille pour la maison Oldani. Avant /?/ je travaillais pour Devès et Chaumet, j'ai donné ma démission avant hier." Il m'a demandé de partir avec lui á Diourbel, j'ai refusé. Le lendemain il est parti á Thiès, il m'a dépêché un de ses talibés, un nommé Amadou Umar, pour me dire de le rejoindre á Thiès. J'ai refusé. Il a dit: "Je ne quitterai pas Saint-Louis tant que tu n'acceptes pas de m'accompagner chez le marabout á Thiès." Mes parents m'ont conseillé de l’accompagner, je suis parti á Thiès, j'ai passé la nuit. Le lendemain de bonne heure, je suis parti á Gawane où il m'a chargé de ses affaires. Je faisais la navette entre Gawane, Dakar, Diourbel et ainsi la suite. J'avais toutes ses affaires. C’était un marabout mais un grand commerçant aussi, il faisait de grandes affaires, et un peu la politique. Je suis resté avec lui plusieurs années.
Alors un jour le grand marabout avait l’intention d’aller á la Mecque, mais il n'a pas pu aller parce qu'il était en résidence surveillée. Deuxièmement il avait l’intention de construire la grande mosque de Touba. Alors il /CA/ avait prevenu Ibra Fati de son intention d'aller la Mecque pour accomplir l'intention de son grand frère. Falilou a fait la même proposition. Ibra Fati a dit: "Je ne peux pas aller, mais je vous donnerai suffisamment d'argent pour aller á la Mecque." Il est parti avec 12 personnes, Cheikh Anta, á bord la Liberté II /?/. Avant son depart il a été faire une visite á l'administration. L'administration lui a dit: “C'est très bien, mais ne faites pas la politique. I1 paraîtrait que vous avez financé les élections de Galandou Diouf. Je vous conseille de rompre votre amitié avec Galandou et d'être avec moi l'ami de Blaise Diagne." Il a répondu: "C'est bien, j'ai l'intention de partir á la Mecque." L'administration a dit: "Bien, vous avec assez d'argent." II est parti 3 mois á l'avance pour pouvoir visiter les lieux saints de l'Islam. On lui a demande tout simplement des photos pour qu'on lui établisse toutes ses pièces, avec une recommandation du gouvernement pour les pays arabes, pour qu'il soit bien reçu et considéré comme un marabout. Il est allé avec ça.
Il est parti. Par malheur, l'après-midi de son retour, on lui a dépêché un interprète du gouvernement géneral pour lui dire qu'il a trahi l'administration, parce qu'il paraissait que c'était lui qui avait financé les élections de Galandou. De ce fait je lui ai conseillé de dire á l'administration: "J'ai laissê á Diourbel mon fils adoptif Umar Sarr, c'est lui qui a donné sans mon autorisation 100,000 francs á Galandou. Alors je rentrerai á Saint-Louis et vous leur direz que vous m'avez foutu á la porte." Aprês je suis rentré á Saint-Louis mais nos relations ont continué. S'il avait quelque chose á faire faire á Saint-Louis il téléphonait, on lui faisait les démarches au niveau de l'administration et du commerce.
Le pelêrinage était après la mort de son grand frère.
C'était moi qui avais donne l'argent à Galandou. Galandou était venu demander 100,000 francs. Et un commerçant qui s'appelait Ogo Seck, 50,000. Ginndou /?/, avait demandé 100,000. En partant il [Cheikh Anta] m'a demandé de donner rien. J'ai dit: "D'accord, les autres je ne leur donnerai rien, mais Galandou /?/, qui est mon cousin, je lui donnerai 100,000." Alors je reçois un coup de téléphone de Dakar où Galandou me demande de le rejoindre à Dakar. J'ai refusé. Je savais pourquoi il me demandait ça. Une ou 2 heures après ce coup de téléphone le frère d'Ogo Seck est venu me dire: "Mon frère a une échéance et il comptait sur le marabout pour régler cette échéance. I1 faut aller a Dakar me rendre service pour ces 50,000 francs." J'ai refusé. Mais enfin il y avait une telle exigeance que j'étais obligé de me rendre à Dakar. A Dakar il y avait un avocat qui réglait nos affaires. Galandou lui avait dit: "Je voudrais bien avoir le secrétaire au marabout, mais je ne peux pas l'avoir au téléphone." Cet homme d'affaires là lui a dit: "Je suis très bien avec lui, il a déposé chez moi un chèque tiré sur le compte pour 100,000 francs, je vous donnerai 100,000 francs et quand tu seras là je réglerai ton affaire."
Un jour, lorsqu'il est revenu de la Mecque, son talibé de Bathurst lui a dit de venir lui rendre visite. Á ce moment-là j'étais à Saint-Louis. Á son retour de Bathurst on la inculpé d'avoir tenu des propos malveillants à l'égard de l'autorité française en pressant une puissance étrangère. Alors mon grand frère Amadou Sarr est décédé la veille. Le lendemain M. Gueye, Abou /?/ Diakhate, Hamet Sow, et les Mar /?/, et Salzmann sont venus me rejoindre à la cérémonie mortuaire de mon frère. Its m'ont demande de venir avec eux pour intervenir, qu’il paraissait que le marabout Cheikh Anta avait été amené à Saint-Louis vers une heure du matin à la prison. J'ai refusé de les rejoindre, je ne pouvais pas laisser les gens qui venaient faire leur condoléances pour aller faire la politique. Le même jour, vers huit heures du matin Clédor est venu me presenter ses condoléances, il me demande si je n'avais rien entendu de [Cheikh Anta]. J'ai dit non. /Il dit/: "Voilà je vous donne 250 francs pour ma quote-part pour les repas que vous preparez. Mais dans le journal vous entendrez quelque chose concernant Cheikh Anta." Alors, lorsque j'ai appris qu'il était en prison je n'ai rien fait. J'étais à la cérémonie jusqu’à 6 heures. Au retour j'ai dit à ma mère: "Nous allons voir Clédor, il paraîtrait que mon père Cheikh Anta est en prison." Lorsqu'il /Clédor/ m'a vu rentrer il a dit: "Je savais que tu allais venir me voir." J'ai dit: "Cheikh Anta étant en prison, il n'a aucune famille ici pour s'occuper de lui, je suis bien obligé de m'occuper de lui, pour sa cuisine, son linge, et tout ce qui s'en suit." Il a téléphone le gouverneur pour lui dire que la famille de Cheikh Anta était à Saint-Louis et demander l'autorisation de pouvoir le voir et de s'occuper de lui. C’était le Gouverneur Beurnier. Le Gouverneur nous a conseillé d'aller le matin voir l'administrateur Némans /?/, qui nous a autorisé de nous occuper de lui. Nous étions là. Moi j’étais malade, hospitalisé. Un talibe est venu me montrer un télégramme du Gouverneur Général comme quoi le Capitaine Mervel /?/ viendrait à Saint-Louis pour l'amener [Cheikh Anta] à Segou comme exilé. Après ces 8 mois de prison qu’il avait purgé à Saint-Louis. Capitaine Mervel est venu et l'a amené. Comme c'est un homme autoritaire /?/, quand les talibés sont arrivés à Diourbel ils ont essayé de faire un mouvement, mais rien ne bouge. Il [Cheikh Anta] a dit: "Laissez-moi partir." Il est parti /en exil/. Un jour j'ai reçu un télégramme de son fils aîné Mamadou, il est venu à Saint-Louis, je l'ai reçu, on a causé jusqu’à vers 11 heures du soir. Á 2 heures du matin il m’a réveillé pour me montrer la lettre de son père à Segou comme quoi je devais le rejoindre à Segou, parce ce ne [sous estimait] pas me facultés, mes moyens d'intervention. J'ai accepté, je suis allé à Segou, je suis revenu. Un jour j'ai croisé dans la rue Jean Renaud de Saint-Louis, le chef du bureau des douanes à Rufisque. Il a dit: "Qu'est-ce que vous êtes venu faire ici?" J'ai dit: "Je suis venu m'occuper de l’affaire de mon père Cheikh Anta. Il devait à M. Langlemer /?/, Président de la Chambre de Commerce et Maire de Rufisque, 300,000 francs. Il hypothéquait sur le terrain de Gawane. Alors ce dernier demande à être payé par ses enfants. Alors Ma Yero Fall, qui était son beau-frêre en même temps que secrétaire, m'a vu à Dakar et m'a demandé de venir avec lui voir Langlemer à Rufisque, qui menaçait de saisir le terrain." D'ailleurs il l'a saisi et l'a vendu. Je suis allé voir Langlemer avec Ma Yero, alors il menaçait de saisir et vendre le terrain. Il a trouvé les moyens d'engueuler Ma Yero. Je lui ai dit: "Cela m'étonne. Cet homme qui n'en est rien, qui ne vous doit rien, vous l'engueulez?" I1 dit: "Oui, parce que j'avais donné toutes mes économies à cet homme et maintenant je veux rentrer." J'ai dit: "Je prends l'express de jeudi, je descend sur Soudan. Dès que je suis là [Cheikh Anta], je conseillerai au marabout de ne pas vous donner un sou, parce que cet homme [Cheikh Anta] est un des piliers de l'êconomie du pays, on l'a vu cultiver, tracer les routes, pourquoi la Chambre de Commerce n'a pas pu intervenir en sa faveur?" Il ma repondu: "C'est une affaire politique, nous ne pouvons pas nous immiscer là dedans." Alors j'ai quitté, je suis allé au Soudan et j'ai causé avec le marabout, on a constaté les choses. Puis je suis revenu.
Sur les conseils de Renaud je suis arrivé à constituer un comité de défense pour Cheikh Anta, composé de deputés et sénateurs. Entre temps Galandou était élu député du Sénégal. Un jour il m'a envoyé un télégramme disant: "Prévenez parents et amis de Cheikh Anta qu'il viendra par l'express." Alors il est revenu.
Le dernier service que je lui ai rendu. I1 m'a téléphoné, j'étais chef comptable ici pour [Oldani?]. Il me disait qu'il avait épousé la fille de Balla Sarr, mais il paraît que sa mère n'accepte pas. Qu'il avait fait quelque chose à Saint-Louis sans me consulter, mais il voulait maintenant me demander d'intervenir. Je lui ai dit: "Il est midi moins le quart, je rentre. Mais à deux heures vous n'avez qu'à m'appeler, je vais régler l'affaire." Á 2 heures j'ai fait venir la mère de la fille et j'ai réglé l’affaire.
Le marabout m'a demandé de venir auprés de lui. J'ai refusé, en disant que j'avait beaucoup d'enfants de bas âge, que je ne pouvais pas quitter Saint-Louis.
La mort d’Amadou Bamba
Robinson: Vous avez parlé l'autre jour de la mort de Serigne Bamba. Vous voulez bien raconter cela?
Sarr: J'êtais à Gawane, à 27 km de Diourbel. Le concierge […] nous a téléphone de venir, que son grand frère /Amadou Bamba / avait besoin de lui à Diourbel. Une heure après on a téléphone que le marabout avait demandê qu'on le rejoigne immediatement à Diourbel. I1 était déjà onze heures, trop tard pour aller, on allait le lendemain matin. Le lendemain matin au petit déjeuner sa soeur, Fati Anta Mbacke, est venu dire qu'il y quelque chose qui se passe à Diourbel. J'ai téléphoné au concierge dire que la fille m'avait dit que le marabout est rentré définitivement à Touba, je lui ai demandé comment cela a pu se faire parce qu'il était en résidence surveillée à Diourbel, est-ce que l’on l'a relaxé. Le concièrge dit non, il est décédé. Alors les talibés du marabout ont dit que j’etais le seul habilité de donner l'ordre qu’ils aillent directement à Touba. Alors j'ai appelé les chauffeurs pour faire le plein d'essence; ily avait ma petite Fiat qui me permettait de faire mes courses, je l’ai prise avec son neveu. Á la hauteur de chez Balla Mbacke quelqu’un[m’a hélé] m'a appelé. Le marabout Balla Mbacke avait demandé a son talibé de lui procurer une voiture. Je me suis rendu chez Balla, lui ai expliqué que j'allais précipitamment chez l'administrateur, que je connais même pas. "Je suis dans la voiture de votre frère Cheikh Anta, je suis votre disposition." Il a demandé le temps de prendre un petit déjeuner pour ensuite partir à trois. Comme sa femme était la cousine à ma femme, elle m’a appelé venir voir. J'ai accepté, j'ai vu tout le confort du
marabout. Elle a dit: "Vous pouvez maintenant expliquer à votre mère, qui a toujours pensé que Diourbel était la brousse, que nous vivons très bien, en toute prospérité ici."
Je suis parti avec Balla Mbacke. Á Touba j’ai demandé de voir Cheikh Anta. Its ont tenu un conseil de famille, il n'y avait personne d'autre que la famille. Je suis parti à Diourbel avec mon chauffeur, parce que je savais /qu'à Touba/ on n'allait pas manger à midi. J'ai passé la journée à Diourbel chez Oumar Diop /?/ au dispensaire. Le marabout [Cheikh Anta] est rentré à 2 heures du matin. Il m'a dit qu'on avait enlevé les malles qui étaient dans la grande concession du marabout. Le lendemain on a constaté que toutes les malles avaient été transferées à la résidence. On a formé une commission. Abdoulaye Ndiaye, Samba Loci /?/, Al- Hadji Ma Yero Fall. Dans les malles il y avait de l'argent. La commission a trouvé 3 millions en monnaie, en billets, et 800,000 francs en or et argent, c'est ce qu’on a declare, mais ce n’était pas tout. On l'a confié au marabout Cheikh Anta, au profit des heritiers. I1 [l'administrateur] dit qu'il devait poursuivre l'affare. Je lui ai dit: "Vous n'avez aucune [qualité] (raison) pour vous immiscer là-dedans. Le marabout a laissé, [il y a] des enfants majeurs et mineurs, il faut absolument constituer un conseil de famille et faire la procuration /?/." Il a dit d'appeler Boubacar Sy /?/, un agent de Diourbel, qui disait que j'avais raison, étant donné qu'il y avait des enfants majeurs. On a tenu un conseil de famille. Falilou a remarqué l'ordre d'âge /?/, ils leur ont donné leur procuration.
Famille Sarr et Saint-Louis
Robinson: Vous-même vous êtes né vers quelle date?
Sarr: 1897. J'avais 10 ans au moment de partir en Mauritanie. Je suis revenu à Saint-Louis, après cette période en Mauritanie et au Jolof en 1912. Mon père connaissait Shaikh Sidiyya mais moi non. J'ai trouvê un livre de lui dans ma bibliothèque, j'ai fait faire une copie et donné l'original à la famille Sidiyya. Mon père etait l'ami de Sidiyya al-Kabir, mon frère était l'ami d'Abdoulaye ould Cheikh. La première maison ou j'ai travaillé, et oú j'ai appris la comptabilité, c'était Oldani. Ensuite je me suis occupé des affaires de Cheikh Anta. Aprês Oldani j'ai fait Devès et Chaumet. Puis le marabout. Ensuite j'ai fait la banque, la BFA. Puis j'ai fait Lacoste, 20 ans comme comptable, rue Andre Le Bon. Cette maison là appartenait à ma femme, on l'a construite en 1904. Mon beau-père avait emprunté de l'argent pour la finition. Il y avait un bail, 3-6-9. Lorsqu'il est mort, il n'avait pas laissé un enfant mâle. Il y avait des tractations. Nous n'avions pas un centime, Lacoste l'a achetée. Ma femme s'appelait Fa Ndiaye, fille d'Alexandre Ndiaye, agent des PTT du quartier général. Il passait son congé en France. Les papiers étaient là, deux feuilles comme ça, deux coupons. Cela aurait fait des millions, ils nous ont volé, j'ai tout fait. On nous a volé cette maison. Maintenant cela fait des loyers de 50,000 francs, 200,000 francs. Ma femme Mariame Ndiaye était de la famille de Njanor Ndiaye, une ancienne famille de Saint-Louis.
Cette maison, mon père l'a achetée en 1886, février prochain on aura 100 ans ici. Sans compter les autres maisons. Là où il y a Cheikh Mbacke, c'est moi qui a propose à Mamadou Moustapha qui l'achete. Chez Samba Lô, cela nous appartenait aussi. C'est pourquoi mon frère /?/ a dit le 24 février 1920, avec sa solde alignée sur celle du Président de la Cour d'Appel, ma solde, plus les deux immeubles, on n'avait pas besoin de garder de l'argent à part /?/.
Je suis submergé dans la masse et passé inaperçgu. Il y avait le temps de Lamine, le temps de Diagne. Au temps de Diagne les Khayar [Mbengue] et autres m'ont proposée comme membre du Conseil Colonial, lors de sa création. On voulait me mettre sur les listes pour les élections municipales. Le gouverneur une fois a téléphoné chez mon
patron, lui a demandé pourquoi je refusais d'être sur les listes. Le patron a dit que j'étais serieux, mais je ne voulais pas faire la politique.
Service militarie
On m'a traduit devant un conseil de guerre pendant la grande guerre, un nommê Dubis /?/ m'a accusé d'être insoumis. C'êtait l'accusation la plus grave de ma vie. J'ai rêpondu non, un insoumis se câche. C'êtait au moment de la mobilisation. Le patron m'appelle pour me dire que la gendarmerie me cherche. J'ai dit qu'est-ce qu'il y a? Il a dit que cela ne se dit pas au téléphone. Le soir je suis descendu, suis allé directement la gendarmerie. Le chef, un adjutant, m'a êcouté, me disait qu'il m'arrêtrait pas, qu'il me mettrait en contact avec le conseil de guerre à Dakar pour m'expliquer. Je suis parti. J'ai pris la parole devant ces avocats militaires. Le président me dit: "Et Sarr Omar, qu'est-ce qu'il y a?" J'ai dit: "On m'accuse d'avoir faussé mon bulletin de naissance. Mais ce n'était pas moi, c'êtait en janvier, le préposé a confondu l’année avec l'année précédente. Je suis allé à la police et ils l’ont rectifié. Bulletin de naissance et carte d'identité." Le président m'a dit: "Donne-moi cela." Puis il dit au commissaire du gouvernement: "Il a parfaitement raison." Je suis allé dans la salle des déliberations, je suis revenu, j'étais acquitté. La presse en a parlé. C'êtait en 1916.
C'etait la mobilisation des originaires, pas la mobilisation générale. Parce que nous ici, nous étions d'accord avec Faidherbe, pour la pacification. Mais de ne jamais porter le costume européen. Aller à la guerre dans nos boubous. Lorsque la guerre a éclaté le service militaire n'etait pas obligatoire pour nous. On voulait être mobilisé, les militaires nous disaient qu'ils ne pouvaient pas nous mobiliser comme tirailleurs, nous étions des electeurs. Nous ne pouvons pas vous recruter comme des indigènes. On a cable à Diagne. C'est Diagne qui a pu avoir le Decret de 1916 /sic; 1915/.
Robinson: L'habillement, pourquoi était-il si important?
Sarr: C'est parce qu'on ne voulait pas porter le costume européen. Pendant la guerre, quand les prussiens poussaient l'armée française en 1870, Faidherbe a demandé des volontaires de Saint-Louis, pour l'Armée du Nord. Plusieurs sont parti, les Chimère et d'autres. C'était le seul contingent qui a pu repousser les prussiens dans le nord. C'est pourquoi on a érigé un monument. Les jeunes gens n'essayent même pas de connaître l'histoire de leur pays.
Encore la famille Sarr
Robinson: Pour revenir à Ndiaye Sar. Son père a lui était dans le commerce?
Sarr: Non, c'était un marabout. Ici, on l'appelle Suyouti, le nom d'un grand savant arabe, Muhammad al-Suyuti. Il habitait dans le Sud il paraît. Quand les vendeurs passaient dans la rue le matin, il se retirait dans sa chambre /?/. II est enterré dans le cimetière ici [dans le Sud] mais on ne sait pas exactement oú.
Robinson: Est-ce que Suyuti et son fils Ndiaye Sarr ont fait leurs études en dehors de Saint-Louis?
Sarr: Oui. Je sais que dans leurs écoles ici ils avaient des enfants de partout, [qu’ils hébergeaient] (hébergés et) entretenus et tout. Ils connaissaient les Sidiyya [etc.] parce qu'ils venaient ici, en Mauritanie il n'y avait rien. C'est moi-même qui a dirigé la construction de la mosquée à la pointe Sud. Après je me suis [dégoûté] (dévoilé /?/). Alors il y a là l'emplacement oú a prié al-hajj Omar.
Robinson: On dit souvent qu'Omar a tracé la mosquée, la grande mosquée.
Sarr: C'est vrai. La famille dit qu'il est venu, il avait une pierre ou quelque chose. On devait mettre la mosquée à la pointe du Sud, Faidherbe avait même écrit que seul le Sud était qualifié de choisir un imam. Il y'avait un marasme entre 1825 et 1830, pendant 3 ans, les traitants n'avaient plus de quoi construire. On a demandé une subvention à un gouverneur, il a donné 10,500 francs. 2e subvention, il a donné encore 10,000. Les mille briques coûtaient 500, un sac de chaux 2,500. C'est Faidherbe qui a fait ses subventions. Faidherbe s'est entendu très bien avec mon père. Il était lieutenant de génie là-bas, à Podor. C'est là que Hilaire Prom, le fondateur de Maurel & Prom en 1822, constatait que Faidherbe s'entendait très bien avec les Saint Louisiens de Podor. Il a essayé de le faire nommer gouverneur, mais on a objecté que seuls les marins devenaient gouverneur. En plus il était lieutenant. II fallait le grade de capitaine. Il se mettait en boubou le soir. D'ailleurs son fils est enterré ici.
Robinson: Et votre père était déjà à Podor?
Sarr: Oui, il était né Podor. Son père était un marabout, mais peut-être il faisait un peu de commerce. C'est que mon grand frère Hamadou, un des plus grands astronomes.
Robinson: Vous avez fait votre service militaire après la grande guerre?
Sarr: Oui, en 1930.
Robinson: La généalogie des Sarr?
Sarr: Ndiaye Sarr a laissé comme enfants Amadou Sarr, Saliou, Abdoulaye, Omar, Ismaila, Sangone. Oumou Kantoum, Fatou. Je suis le seul survivant. Ma mère Ma Ndiaye était la seule survivante dans sa famille /?/. Il n'y a qu'un qui n'a pas d'enfants, c'est Abdoulaye, mort in 1914 à Dakar.
Robinson: Les filles, où se sont-elles mariées?
Sarr: Fatou Sarr chez Bakary Silla. Et puis Sangone Sarr chez Racine Kane /?/. Oumou Kantoum a épousé Oumar Awa Sarr. Mame Diana /?/, je connais pas le nom de son mari.
Robinson: Est- ce que vous avez arrangé des mariages avec les families Seck et Anne?
Sarr: Je sais que nous avons un dégré de parenté avec les Bou El Mogdad, mais je ne peux pas le préciser. Pour les Mourides, nous avons une parenté avec Cheikh Anta. Quant à al-hajj Malik, la mère de Serigne Babacar est ma cousine, Rokhaya Ndiaye. Elle a eu Amadou, Babacar, Astou. Astou a été mariée par mon frère Amadou Ndiaye Sarr, ils ont 6 gosses. Saliou, Abdoulkarim, Abdourrahman, et comme filles Seynabou, Assiatou et Hadi. Rokhaya ètait cousine de mon père, et non pas du côté de ma mère. Mais la génealogie ne m’intéresse pas.
Robinson: Que savez-vous de la résidence d'al hajj Malik à Saint-Louis?
Sarr: Il avait une maison à Saint-Louis oú on allait passer la journée, à cause de ma nièce. C'est mon père qui l'a conseillé de sortir de Saint-Louis, aller à Louga, parce qu'on le calomniait, connaissait l’école de Diakha Sy /?/. Tous les marabouts qui avaient du monde autour d'eux, l'administration les craignait. Le cas de Serigne Bamba est encore plus grave, parce que l’état-major de Damel et de Lat Dior, les Ibrahim Fatim Sarr, Cheikh Ibra Fall, etc. Its se sont rallies à lui.
Robinson: Les gens qui suivaient al-hajj Malik, d'oú venaient-ils?
Sarr: De partout. Il n'y avait pas beaucoup de toucouleurs chez Serigne Bamba. En général les toucouleurs sont plus instruits et moins fanatiques.
Robinson: Pourquoi Malik Sy, s’il quitte Saint-Louis pour s'isoler des européens, va par la suite à Tivaouane sur le chemin de fer?
Mosquées de Saint-Louis
Robinson: Est-ce que vous pouvez décrire les mosquées de Saint-Louis?
Sarr et Papa Seye Charles: Par quartier. Au Sud, pointe Sud; la mosquée des aveugles; la mosquée de Minbar, 3 dans le Sud. Les premières sont dans le Sud. La grande mosquèe qui date de 1848, mais qui a été commencée en 1825. La grande zawiya d'al hajj Malik, ce qui vient bien après. Puis il y a la mosquèe d'Oumar Dia, et celle d'Oumar, celle de Kebe là. Dans le Sud il y a aussi la mosquèe de Ma Dior. Á Guet Ndar il y a la mosquée d'Abram, cella de la Batterie /?/, cella de Fondekholle /?/, et plusieurs autres, 3 ou 4 dont je connais pas le nom. Á Ndar Toute il y a la mosquée Mamadou Sile, celle de Sidi Tal, et celle de Diop. Puis à Sor il y a la mosque wolof, la mosquée toucouleur, celle d'Abbasse, celle de Baramkoos /?/, celle de Haydayre /?/, celle de Ceerno Ousmane, et Samba Keye. Puis il y'en a à Pikine. Certains quittent leur quartiers pour prier ailleurs, mais la plupart font la prière dans la mosquée du quartier.
Robinson: Est-ce qu’il y a toujours une mosquée Khadriyya dans le Nord?
Sarr: Avant oui. Pas maintenant. Au début il y avait beaucoup de Khadriyya, à cause de Shaikh Sidiyya et Sadibou.