Entretien avec M. Mouhamed Kounta, 19 décembre 2007
Maria Grosz-Ngaté (MGN):
Bonjour, Monsieur Kounta.
Mouhamed Kounta (M.K.): Bonjour, Maria.
MGN:
Je crois que je n’ai plus besoin de vous expliquer de quoi il s’agit. Vous connaissez déjà le projet, ce qu’on fait, et c’est tout simplement pour avoir votre accord pour enregistrer et éventuellement mettre l’entrevue, ou des parties, sur internet. Comprenez aussi qu’il n’y a aucune contrainte. Si vous voulez arrêter vous pouvez me demander d’arrêter. C’est ça. N’est-ce pas? Est-ce que vous êtes d’accord?
M. K.: Maria, je suis entièrement d’accord. Non seulement je suis d’accord mais je suis vraiment volontaire pour cela et je vous remercie d’avoir porté votre choix sur ma modeste personne. Je connais l’enjeu et l’intérêt de cette étude. Vraiment, c’est nous qui vous encourageons parce que vous venez d’un autre continent pour vous enquérir le pourquoi … de toute l’humanité. Je crois que si chacun faisait cet effort-là, aujourd’hui il y aurait la paix dans ce monde. Parce que comprendre l’autre, aller vers l’autre, voir comment il réagit, pourquoi il dit ceci, comment il perçoit l’autre, pourquoi il y a environnement religieux, pourquoi …, pourquoi il est diffèrent de l’autre, c’est extraordinaire. Je pense que c’est une noble mission que d’être chercheur. Je pense que c’est la bonne voie. Je suis volontaire et je souhaite même être acteur dans cette noble mission.
MGN:
Merci, merci beaucoup. Bon, on vient de parler des rapports entre la confrérie khadriya de Ndiassane et la confrérie tidianiya de Tivaoune et vous disiez qu’il y a des liens de famille entre les deux. Est-ce que vous pouvez nous dire ça sur magnéto.
M.K: Oui, Maria, ça je l’ai dit et les gens vont confirmer. C’est connu … De très bons rapports. D’abord des rapports de proximité. Tivaoune et Ndiassane, c’est la même chose. Aujourd’hui véritablement, l’architecture a fait le reste et il n’a même plus véritablement de frontière. Et si on remonte un peu j’ai dit…Je peux prendre comme référence Serigne Babacar, Serigne Khalifa Ababacar, le vénéré Serigne Babacar qui était Khalife général de la confrérie tidianiya à l’époque où mon grand-père Sidy Lamine était khalife de la Khadriya à Ndiassane. Ils s’entendaient à merveille. D’abord sur le plan spirituel, sur le plan véritablement social, sur tous les plans, ils s’entendaient. Ils ont eu de bons rapports, mais l’alliance a renforcé cette relation. Serigne Babacar avait épousé Mariama Kounta, la sœur de Sidy Lamine et on sait la force de l’alliance en Afrique. Quand vous épousez quelqu’un, vous épousez sa famille. C’est extraordinaire. Ça renforçait. Et notre grande tante Mariama était une très forte personnalité à côté véritablement du grand Cheikh, le grand Khalife Ababacar Sy, qui la respectait beaucoup, beaucoup. Ce qui fait que véritablement cela a facilité les choses. Nous allons en parler parce que quand vous êtes allée à la rue 11, il y a quelqu’un, un témoin vivant, qui vous a dit que eux, quand ils allaient ... ils prenaient le train jusqu’à Tivaoune mais Sidy Lamine leur donnait l’ordre de passer [par] chez Serigne Babacar Sy pour dire « bonjour ». Ça il a dit parce que, véritablement, ils s’entendaient parce qu’ils avaient une œuvre commune. La seule différence c’était le
wird. Et ça les gens ne le comprennent pas. Ce n’est pas une division mais une partition pour mieux gérer les
talibés et les disciples. Mais ils se retrouvent partout : sur le plan des principes, sur le plan de la pratique, sur le plan de la vision du monde, sur le plan même, véritablement, de la sécurité et de la dignité parce qu’ils ne se laissaient pas faire. Le colon la senti et quelque part il a écrit qu’ils étaient des gens qui s’associaient, qui s’entendaient pour faire un peu de la résistance.
MGN:
Pour changer le sujet un peu, pourriez-vous nous parler de votre enfance, de votre jeunesse. Quels sont vos souvenirs, où est-ce que vous avez grandi? Est ce qu’il y avait des évènements ou des personnes qui vous ont vraiment marqué?
M. K : Maria, parfaitement… Comme vous l’avez dit je suis vraiment de la famille Kounta, ce n’est pas par le hasard que je suis né à Kaolack, derrière Kaolack dans un village qui s’appelle Ndiassane Saloum, un répondant de Ndiassane Cayor. J’ai passé ma petite enfance et même mon enfance dans ce village derrière Kaolack, à côté de quelqu’un qui m’a beaucoup aimé, qui m’a beaucoup aidé, mon grand-père paternel qui s’appelait El Hadj Mamadou Kounta. Donc je suis né en 1954. Donc j’ai fait l’école par accident parce que j’étais destiné au
daara [école coranique]. Mais ce grand père avait beaucoup de vision car il a senti que les choses tournaient vers l’Indépendance. Il a demandé à mon père de m’inscrire. Ce n’était pas la tradition. Être dans une famille Kounta, de tradition islamique, de tradition coranique et aller dans une école de type occidentale, ce n’était pas vraiment la tradition. Mais, il avait vraiment une vision. Je pense qu’il était même en avance sur mon père qui était un peu réticent. Et par rapport aussi à la famille, j’étais un peu le premier cowboy et je devais donc quitter le village, Kamatane, pour aller vers Passy, à 50 km, pour aller faire l’école élémentaire. Dieu a fait que j’ai réussi ces études-là, j’ai pris goût. Ça m’a un peu changé. Même par rapport à la famille, j’étais un peu l’enfant éclairé parce que j’étais un peu curieux d’esprit. J’ai commencé d’abord à aider mon grand-père dans les correspondances très tôt. Ça m’a aidé aussi à avoir cette volonté-là de comprendre, cette volonté de rédiger. Et après j’ai dû donc quitter Passy pour aller à Thiès dans ma famille maternelle où également j’ai fait le collège et à la fin du collège; j’ai réussi au concours d’entrée à l’École Normale William Ponty, qui est connue, pour être instituteur. J’ai également enseigné à Tambacounda, dans la région du Sénégal oriental, et après cela j’ai fait Saint Louis. Et par la force des concours et des examens, je suis retourné à l’École Normale. Et après une maitrise, j’ai été à Strasbourg où j’ai fait des études en sciences de l’éducation. C’était le tout début. Et donc je suis là devant vous, aujourd’hui, à l’École Normale Supérieure. Je suis le chef de département de la psychopédagogie ce qui est en phase avec mes études universitaires. Pour revenir aux évènements…sur ce grand-père. C’est cela. Mais à côté d’un père, pratiquement, qui était… Je le trouvais un peu dure vis à vis de moi. Mais je sais que c’était parce que … c’était l’équilibre. Un grand-père qui choyait son petit-fils et un père qui tenait à la rigueur véritablement de l’éducation, qui ne voulait pas être près de son fils qui est un peu chouchouté et gâté. Je voyais en mon grand-père un ami et mon père qui était là et qui était véritablement le gendarme. Mais je pense que ça m’apportait bonheur, ça m’a un peu aidé parce que si je me laissais aller à côté du grand-père, véritablement, je serai un enfant gâté mais, chaque fois on me rappelait à l’ordre. L’arbitre était là, c’était le père. J’ai retenu cette image jusqu’aujourd’hui où, après quelques années, le grand-père devait être Khalife à Ndiassane et c’était presque une obligation de quitter tous ses biens et d’aller se mettre sur un trône, sur le khalifat de son père. C’était un évènement. Notamment quand il arrivait il était malade, après trois ans il est décédé. Ce décès aussi m’a fondamentalement marqué parce que j’étais très lié, nous étions très liés C’était mon complice. Et pendant ce khalifat, il m’a véritablement responsabilisé. Ce qui ne laissait pas indifférente d’ailleurs la Khadriya parce qu’ils disaient « mais toujours il parle de son petit-fils, etc. ». Et là aussi mon père intervenait pour dire : « Arrête. Ça c’est trop pour toi. Tu es trop jeune. » Et là aussi mon père m’a marqué par rapport à ça, parce que quand il a su que j’avais pris goût aux études vraiment il m’a poussé à réussir en me disant « quand tu fais des choses, il faut bien les faire sinon tu arrêtes ». Très tôt j’ai pris conscience de la réussite et Dieu merci, ce n’est pas un mérite mais si j’ai réussi aujourd’hui c’est grâce à ce père qui était là et qui me disait : « En avant ». Et il me demandait toujours aussi de ne pas oublier les origines également, véritablement, de faire des études coraniques, d’étudier ma religion. Aujourd’hui, véritablement, j’ai fait une sorte de synthèse. L’école de type occidentale ne m’a pas poussé au déracinement, j’ai toujours cherché ma racine. J’ai également toujours cherché les valeurs islamiques.
MGN:
Et vous avez jamais été en Mauritanie?
M.K: Bonne question, Maria. Moi, je pense que j’ai été un rescapé pare ce que la tradition dans ma famille c’était, à bas âge, d’amener les enfants en Mauritanie voir l’autre branche de la famille en apprenant le coran, mais aussi pour les origines parce qu’il fallait maitriser la langue maure, le hassaniya. C’est une tradition. Et je vous assure, Maria, je me souviens de ces scènes dramatiques où on séparait les enfants de leur mère. Et les pauvres mères étaient là et c’était un devoir de les amener. Et pour combien de temps? On ne savait pas. 7 ans, 5 ans… Quand ils arrivaient là-bas c’était autre chose. C’était le désert, c’était le dépaysement. C’était même le mal traitement et ça il faut le dire. Mais au prix de quoi… parce qu’ils se disaient qu’apprendre, c’est souffrir. Voilà ! On ne peut pas apprendre auprès de sa mère. On ne peut pas apprendre auprès de sa famille. Il faut éloigner les enfants. Et quand il revenait c’était également la fête. On retrouvait des êtres connaissant le coran, c’est vrai, persévérant, parce qu’ils ont enduré beaucoup de choses, mais complètement dépaysés …parce qu’il fallait un peu de temps pour qu’ils se socialisent et pour qu’ils puissent redevenir eux-mêmes, et ça je vous assure... Et pratiquement j’ai échappé à cela grâce à mon grand-père. Je pense que c’est pourquoi il a demandé à ce qu’on m’inscrive à l’école française parce qu’il ne voulait pas se séparer de moi. Donc c’est cela. Et après un moment il y a eu un vide. On n’amenait plus et je vous assure, Maria, c’est redevenu comme une tradition parce qu’ils l’ont senti comme une perte. Mon père qui est le khalife général de la Khadriya a envoyé mes jeunes frères en Mauritanie, à bas âge et récemment j’ai tapé sur la table pour demander à ce qu’ils reviennent parce que … pour mieux les humaniser parce qu’en disant qu’au Sénégal on a des écoles franco-arabes pourquoi ne pas mettre [là-bas]. Ils ont déjà appris le Coran, ils ont vu les parents de l’autre foyer, ils ne vont pas oublier le hassaniya. Il y a d’autres méthodes d’apprendre que de les laisser vraiment dans le désert entre les mains des gens qui ont d’autres traditions, qui ont une autre vision du monde. Et Dieu merci mon père m’a suivi. On les a ramenés, je suis en train de voir si je peux les mettre dans des écoles pour qu’ils apprennent d’autres matières, voilà, à côté du coran, parce qu’il faut penser au métier. Il faut penser à l’avenir, il faut penser à la promotion sociale, etc.
MNG: Oui, oui.
Et votre grand-père, est ce que, lui, il a envoyé ses fils en Mauritanie ou quelques de ses…
M.K: Justement ! Là aussi, ironie du sort, il a pratiquement envoyé la totalité de ses enfants en Mauritanie sauf mon père qui est son [fils] ainé. Je pense que c’est la réplique. Je pense que c’était pour un souci de dire «c’est mon ainé, je vais l’éduquer moi-même.» Mais mon père a eu la chance aussi, maintenant, de faire ce qu’il devait faire en Mauritanie, de le faire au Sénégal. Il a voyagé, il a visité toutes les familles, ce qui lui a donné beaucoup de relations et beaucoup d’ouvertures. De la même manière que je parlais de Tivaoune, je peux parler de Touba parce qu’actuellement une de ses épouses est une des petites filles de Serigne Touba. C’est la fille de Serigne Modou Moustapha, qui est le fils ainé de Serigne Touba. Vous voyez là encore, les alliances encore réapparaissent et d’autres traditions resurgissent.
MGN:
Oui! Oui! Quand vous étiez au village, auprès de votre grand-père, où vivait votre père en ce moment?
M.K: Mon père vivait … Justement, parfois même-il dit, «j’ai eu tort de ne pas me séparer de mon père très tôt» parce que jusqu’à 50 ans mon père était sous la coupole de son père. Evidemment c’était le fils ainé, c’était comme je l’ai dit …. Il l’aidait véritablement à organiser la famille et surtout à faire la police de la famille. Mon père était plus craint que son père parce que les gens le voyaient arriver, c’était le jeune homme fort, prêt à sanctionner. L’autre c’était l’homme ouvert, généreux, à l’écoute de tout le monde. Vous voyez ? Il créait toujours l’équilibre en disant « si on le laisse faire il y aura des problèmes ». Mais il vit à son côté. Mais ma mère était là et je me rappelle, en termes d’évènements, c’était le grand repas. Il y avait une cinquantaine de talibés, sa famille ça fait une vingtaine de membres, mais mon père dans un coin. Et maintenant, tout ça c’est véritablement des souvenirs…et le repas de midi ou en tout cas de quatorze heures, les talibés d’un côté et la famille de mon grand-père [de l’autre] et moi, mon père dans son coin. Quand il y avait des hôtes, on les envoyait forcement chez mon père qui était, il faut le dire… j’allais dire un homme moderne oui, mais ouvert parce qu’il cherchait le mobilier, il cherchait à avoir le minimum pour accueillir les gens mais de façon vraiment moderne. Voilà. Vraiment de façon moderne. Il s’était même arrangé pour avoir tout le couvert. Ma mère, venant de Thiès aussi, a beaucoup contribuer à cet accueil-là, ce qui fait d’ailleurs que nos parents qui venaient de Ndiassane, c’est à dire du village natal et qui venaient nous rendre visite, mais quand ils repartaient, ils disaient que véritablement c’était le paradis. C’était adorable. Les gens de Ndiassane Saloum sont sympathiques et chaque année, les gens s’évertuaient à faire leur tournée, à venir nous voir.
MGN:
Votre mère, elle est de quelle famille de Thiès?
M.K: Et voilà, de la famille Kounta. J’ai eu cette chance donc …mon père, comme on peut le dire en termes d’alliances, est le cousin germain de ma mère. En termes de parenté si on reprend les choses, mon père c’est mon oncle, ma mère c’est ma tante. Donc ça aussi c’est une particularité. Ce qui fait que j’appartiens donc à ces deux branches de la famille Kounta de Ndiassane et ma mère était originaire de Ndankh mais sa mère, elle, originaire encore de Ndiassane. Voilà ! Donc c’est cela, ce qui fait que… ce qui se passe c’est que le côté maternel est très respecté. J’appartiens donc à cela, je fais donc une forme de synthèse au niveau de la famille, parce que chacun tirant de son côté, je fais l’effort de connaitre mes oncles, mes oncles paternels mais aussi mes oncles maternels. J’appartiens des deux côtés, mes parents sont des Kounta.
MGN:
Et que faisait votre père avant de devenir Khalife?
M. K: Vraiment, il faut le dire….c’était un agriculteur au sens moderne du terme parce que ce n’est pas pour rien qu’ils sont allés à Kaolack. Ce n’était pas une tradition que le Khalife vive avec ses frères. Tout ça pour éviter le conflit. C’était aussi une tradition d’être autonome sur le plan économique. Ce qui fait que tous ceux qui étaient
khalifables, qui pouvaient devenir khalifes, délibérément, ils ont quitté Ndiassane, le Cayor, parce que d’abord le Cayor ne permettait pas de gagner la vie, parce que les sols étaient déjà pauvres. Il y avait de petits problèmes, la ville etc. Ils ont donc opté pour se retirer vers où? Ce n’était pas le hasard, le bassin arachidier. Qui connait Kaolack, l’essentiel de l’arachide y était cultivé dans le bassin arachidier. Donc comme son père, quand ils arrivaient, la première chose c’était surtout de construire la maison, de construire une mosquée, d’ouvrir une école coranique mais aussi de cultiver la terre. Je me rappelle comme évènement aussi, Maria, que c’était bien choisi, Kamatane, parce qu’à côté il y avait une forêt classée. L’eau ça ne posait pas de problème. Vous creusez un mètre, vous avez de l’eau. L’eau aussi… la bonne eau. Je me rappelle bien de çà, fraiche et à la fois limpide. A côté il y avait un petit fleuve, c’était un bras de mer et on n’était pas obligé d’avoir de l’argent. Moi-même j’ai vécu cela. C’était le troc, l’échange: le poisson contre le mil, le riz contre la viande parce qu’aussi il y avait le bétail. Et mon père vivait donc de la terre. Je vous assure, c’était la belle époque et on pouvait vraiment vivre de l’agriculture, ce qu’ils appellent la traite. Et il y avait même des français qui étaient là, à côté. Il y avait les grandes maisons coloniales : Périsaque, Vésia, etc. Je me rappelle un peu de ces noms-là qui faisaient vraiment la commercialisation agricole. Et il vivait très bien de l’agriculture. Même ses enfants avaient chacun son lopin de terre, mais il y avait également le grand champ, et par devoir chacun devait aller également cultiver sa part. Ce qui fait que je dis que mon grand-père n’était pas riche mais il n’était pas pauvre, il s’en sortait très bien. Ceci lui permettait d’ailleurs de redistribuer cette richesse-là. Mon père était donc à son côté supervisant un peu tout ça mais aussi s’occupant de ses affaires personnelles, mais aussi faisant du commerce parce que ça allait de pair, hein, surtout le commerce. Il lui arrivait aussi, ça je peux le dire, qu’il aille au Mali et c’était de longues absences. Donc mon père a beaucoup fait le Mali. Il a beaucoup fait le Mali. Il voyageait beaucoup.
MGN:
Ah han? De quel côté?
M.K : Il parlait beaucoup de Ségou. Il allait vers le Macina. Il nous parlait de Bandiagara. C’était donc comme ça… Bon, je n’ai pas les éléments pour situer cela sur la carte mais après j’ai vu qu’il avait beaucoup… Il parle beaucoup du Mali « mes voyages au Mali… »… une dizaine de fois. Vraiment. Et quand il venait, il revenait avec beaucoup de cadeaux, il venait avec… c’était vraiment une zone commune, c’était la même monnaie. Il revenait avec même des talibés. On lui confiait des enfants dont il se chargeait de l’éducation. Ça aussi, ce sont des éléments. Je connais des noms de talibés comme ça qui venaient et qui portaient le nom de Bougouni, etc. Et eux-mêmes, ils formaient de petits groupes en fonction de leur affinité : des Diarra, des Keita. Ce qui fait que d’ailleurs ce qui ne comprennent pas pensent même que les Kounta sont des bambaras parce qu’ils venaient avec leur langue et ils nous imposaient leur langue. Mais je pense aussi que c’est pour qu’il n’y ait pas cette perte-là que les vrais Kounta aillent en Mauritanie s’imprégner de la langue maure et du hassaniya. Donc, une des valeurs c’était de parler Bambara pour parler aux talibés et aux autres mais aussi d’adhérer à ses propres valeurs, de parler sa propre langue. Si j’ai un regret, c’est ça. Je n’ai pas été en Mauritanie, je ne parle pas hassaniya. Je ne parle pas non plus bambara. Mais je comprends les deux langues. Je n’ai pas suffisamment de temps pour les assimiler ce qui fait que je parle wolof et français.
MGN:
Oui! Je comprends bien que votre père est parti avant qu’il ne devienne khalife général, mais est-ce qu’il y a des prédécesseurs, d’autres khalifes, qui ont fait des voyages au Mali aussi? Parce que ce qui m’a surtout frappé c’est que, Bou Kounta et ses successeurs, vous avez pu attirer beaucoup de talibés qui sont d’origine malienne. Avant c’était le Soudan, le Burkina et la Côte d’Ivoire, la Guinée; et c’est vraiment très particulier à la Khadriya de Ndiassane parce qu’on ne trouve pas ça dans la Tidianiya ou la Mouridiya.
M.K : Justement! D’ailleurs si on reste au niveau des schémas, les gens disent que nos disciples sont plutôt des bambaras, des « làkkat » [ceux qui parlent une langue étrangère]. Quand on dit bambara, c’est mossi, bambara, socé, malinké, tout ça. Ça c’est vrai. Et au début, on ne peut pas s’expliquer cela. Comment? Parfois, vraiment c’est mystique. Cheikh Bou Kounta n’est jamais allé au Mali. On vous le répète dans tous les discours. Il est resté au Cayor. Il est allé en Mauritanie mais pas au Mali. Et par grappes et par groupes, les gens sont venus vers lui. Voilà ! Souvent ils vous disent « j’ai rêvé », d’autres sont retournés en disant «le grand Cheikh est là-bas. Ah, il a ses secrets. C’est un éducateur. Il forme les hommes, etc.» Donc les gens venaient même à pied. Ce n’était pas facile. Mais entre Cheikh Bou Kounta le grand et aujourd’hui, parce que mon père, il s’appelle Cheikh Bou Kounta, je dis bon il y a pratiquement, disons…. parce que Cheikh Bou Kounta, il est né en 1840, il est décédé en 1914. Mon père n’a pas connu son grand-père donc. Ces gens-là, les premiers khalifes, les premiers fils, ne sont jamais allés au Mali. Je pense que ceux qui sont allés au Mali, c’est la génération des petits-fils. Oui, la génération des petits fils. Mon père et ses cousins pensent que c’était une mode d’aller au Mali. Voilà ! C’était une mode d’aller au Mali. Qui n’allait pas au Mali, il lui restait quelque chose. Il fallait donc faire ses tournées, avoir ses relations, avoir ses repères, avoir le grand Cheikh là-bas. C’est eux qui ont fait ça véritablement mais les autres, quand ils sont venus, ils avaient envie d’aller au Mali, mais de façon moderne. Parce qu’aussi il y a nos deux khalifes-là, ceux qui ont précédé mon père sont allés au Mali, mais en avion. Ils sont restés à Bamako. Or nous, quand il parle du Mali, c’est prendre la bicyclette. A l’époque, mon père m’a dit « j’ai beaucoup pédalé ». Aller au fin fond pour trouver les gens, faire des
daaras [écoles coraniques], faire des
daaira [associations des disciples]. Vraiment, c’était une mission. Eux ils l’ont fait. Avec ses cousins, un peu ses autres frères. J’en connais une vingtaine, hein. Ils allaient au Mali. Il y en même qui est resté.
MGN:
Ah ha ?
M. K. : Il y en même qui est resté. Je connais un de mes oncles qui est Khalife de Ndankh, parce que ça se passe comme ça. Aujourd’hui c’est même le plus âgé des petits-fils. Lui, il a fait soixante ans au Mali. D’abord dans les villages, puis il s’est rapproché petit à petit de Bamako. Aujourd’hui, il a quatre-vingt-six ans mais il vous dit : « je suis étranger au Sénégal. » Parce qu’il ne connait que le Mali. Au lieu de retourner, il est resté là-bas. Il a épousé ses femmes au Mali, il a eu des enfants et il ne pouvait plus revenir. Mais quand il est devenu khalife par la force des choses, il était obligé…On est allé le cueillir. Il ne voulait même pas venir. Voilà ! On est allé le cueillir pour lui dire « mais c’est à votre tour. C’est des obligations, vous ne pouvez pas vous soustraire de ces obligations.» Mais je vous assure, il passe malien. C’est pratiquement un malien qui est là.
MGN:
Est-ce que vous, c’est-à-dire la famille, gardez aussi des relations avec la famille ou les familles Kounta du Mali?
M.K. : Oui, justement ! Mais moi je le déplore, hein. On aurait pu mieux systématiser ces relations-là. Mais je vous assure qu’avant, il parait que c’était presque la même famille. Maintenant avec les divisions coloniales, les pays, franchir les frontières c’était un peu difficile. Et ça a donné ce que ça a donné mais je vous assure, ils arrivent souvent par de grands messagers, par des correspondances qui sont restés historiques, à communiquer. Parfois par des jeux de déplacements… Chaque fois qu’un Kounta vient à Ndiassane ou dans un village Kounta du Sénégal, il est accueilli à bras ouverts. Je vous assure. Les gens sont très contents. C’est une tradition. Chaque fois qu’un Kounta de la Mauritanie vient au Sénégal aussi voir la famille, mais je vous assure, c’est une fête. Ils sont bien et très bien traités. Mais je pense maintenant que c’est le contraire qui se fait, de moins en moins que des Kounta du Sénégal aillent vers d’autres. Il est arrivé même à plusieurs reprises qu’ils échangent des documents parce que parler des Kounta, c’est également parler d’une littérature Kounta, d’œuvres Kounta. Et ils sont très jaloux de cela. C’est des manuscrits qu’ils ont gardé et souvent quand vous leur demandez, ils vous disent qu’ils ne l’ont pas. Mais ils le gardent comme du diamant, comme de l’or. Et ça se transmet comme ça. Les seules fois où j’ai vu des conflits ouverts entre les Kounta, c’était à propos de documents. Vous voyez, c’était un livre, etc. Et je vous assure, je le déplore, ils pouvaient vraiment l’exploiter. Je les comprends parfaitement parce qu’aussi, parfois, il y a un côté mystique. Ce n’est pas seulement du côté de la connaissance, c’est dire que c’est du côté de notre famille, c’est un secret, on ne peut pas divulguer ça. Et ils sont très jaloux. Ils mettent ça dans des malles, ils prennent ces malles et mettent ça dans d’autres malles. Ils mettent des cadenas. Et je vous assure, c’est un trésor pour eux. Il est temps maintenant qu’on puisse sortir cela, voir ce qu’on peut rendre public et ce qui est strictement du domaine vraiment privé. Ça, je le déplore.
MGN:
Oui, oui ! Et puis avec la technologie maintenant on peut numériser les documents…
M. K. : Justement. Je vous dis, à plusieurs fois …. J’ai un ami, Ibrahima Thioub, qui est le chef du département d’histoire, il a toujours envoyé des missions en disant « si vous avez des manuscrits, on peut vous faire des micro-films pour mieux les garder parce que, il faut le dire, il y a le dépérissement. Le papier ne se conserve pas très bien et ça pose des problèmes. Et je vous assure, Maria, chaque fois que je suis en voyage, mon premier souci c’est de voir qu’est ce qui est écrit sur les Kounta. Je suis revenu avec un livre très rare. Celui qui me l’a donné ; il ne me l’a pas donné, il l’a envoyé à quelqu’un… j’ai fait vite d’aller le photocopier parce que j’ai dit « si ça entre dans leurs mains, ils en font un trésor, ils vont le garder; ils vont jamais remettre ça.» J’ai photocopié en me disant qu’on peut l’exploiter. De la même manière, il y a des documents qui circulent, ils les gardent. Même la généalogie qui est faite pour être connue et reconnue, les gens gardent ça en disant «ah, je suis le seul à détenir ce document, etc. » Et ça fait plaisir. Et souvent ils vous disent «oui, c’est différent. Moi je le tiens d’un tel. C’est plus authentique.» Ça fait aussi plaisir, mais je pense que ce sont des choses que nous pouvons rendre public. Voilà ! Et puis partager cela avec d’autres.
MGN:
Oui ! Oui ! Je suis d’accord. Maintenant, quels sont vos responsabilités en tant que fils ainé du khalife général?
M. K. : Maria, oui ! Une bonne question parce que… Récemment, je discutais avec une autorité en disant « moi je suis un universitaire. Je veux changer un peu les choses parce que l’image du fils ainé dans le khalifat est une image très forte. » C’est pratiquement le premier ministre. Et quand ça ne marche pas on dit « mais c’est le petit-fils ». Et il devient
ipso facto un carrefour. Ceux qui ne comprennent pas, ils en font une sorte de fonction, ils balisent les territoires mais je pense que, pour le bon usage de cela, il faut avoir un tableau de bord et comprendre un peu le khalifat parce que, souvent, quand on devient khalife on est vieux. Il n’y a pas de jeune khalife parce que souvent c’est le plus âgé de la famille. Mon père, il a quatre-vingt-trois ans. Moi, j’en ai cinquante-trois. Nous n’avons pas la même vision. Je suis un universitaire, je vois comment ça se passe ailleurs. J’ai fait une sorte de synthèse de ce qui se passe ailleurs. J’ai vu les défauts, les problèmes. J’ai entendu les reproches, j’ai lu les critiques. J’ai lu de grands auteurs - des sociologues, des anthropologues - parler des khalifats mais parfois dans des termes vraiment très critiques. Et quand je lis, je dis qu’ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent pas pare qu’ils ont schématisé, ils caricaturent, etc. Ils voient le côté, véritablement, exploitation… Ce n’est pas ça. C’est très complexe comme réalité. Donc moi, ma mission… Je suis le fils ainé, ça ne veut rien dire. Je suis comme les autres fils parce que dans la famille, il y’en a qui sont plus âgé que moi. Mais aujourd’hui quand les problèmes se posent, ils vont s’adresser au fils ainé. Quand les autorités aussi veulent aller vers le khalife, ils commencent par le fils ainé. C’est assez délicat. Quand on n’a pas une vision, on peut tout bloquer. Et, on doit rendre compte parce que quand ça ne marche pas on dit « où est-il?». Surtout l’espoir qu’ils placent en moi. Je vous assure qu’ils ont dit que c’est un intellectuel qui est à côté, ça va changer. Mais en réalité, un seul homme ne peut pas impulser le changement. Ça je le sais, je suis même impuissant devant cela. Et, Maria, je vous assure, parfois je suis stressé parce que diriger une communauté c’est extrêmement dur. Le khalife n’est qu’un symbole. Mais je pense qu’il doit y avoir une équipe soudée avec une vision sans oublier les missions essentielles, celles des familles religieuses: l’islam, l’éducation religieuse, la paix, la tolérance, l’ouverture, l’acceptation de l’autre. Mais souvent ça ne se passe pas comme ça parce qu’il y a des intérêts, Maria. Il y a beaucoup d’intérêts. Et quand il y a des intérêts, les gens se bousculent. Je vous assure quand mon père n’était pas khalife, j’étais un homme ordinaire. Je vivais comme tout le monde avec mes défauts, mes qualités. Maintenant, je vous dis, cette position que je n’ai pas demandé, que je n’ai pas cherché, qui s’est imposée à moi, me vaut aujourd’hui des adversaires. Je ne veux pas dire ennemis, mais des adversaires. Des gens qui vont autrement en disant...etc. Et je renonce à beaucoup de principes parce que je suis obligé de vraiment, véritablement, d’écouter tout le monde. Je vous assure, quand je suis à Ndiassane toute la journée, je ne fais qu’écouter. Et souvent quelles sont les demandes ? C’est des demandes très personnalisées. Or on aurait dû faire plus de demandes au niveau de la communauté visant l’intérêt général. Souvent c’est des demandes très particulières, véritablement, pour des intérêts aussi très particuliers. Et chaque fois que ce n’est pas réglé, ils vous en veulent. Et chaque fois qu’il y a une erreur, ils disent que c’est le fils parce que je suis le premier conseiller de mon père. Et je peux vous dire que je ne suis pas aussi, peut- être, le plus écouté parce que, aussi, il fait très attention, parce que maintenant c’est, comme on le dit, le père de tout le monde. Il n’a pas à s’approprier ses propres fils. Ça je le sais et je mets la distance nécessaire. De temps en temps maintenant je suis avec lui et je sens un peu, véritablement, que c’est le fils qui est à côté qui doit donner le bon exemple. Qui doit écouter tout le monde mais aussi qui est un contre-pouvoir, comme il l’a fait d’ailleurs avec son père. Je suis en train de lui rendre ça en disant «écoutez, vous ne comprenez pas ». Et parfois je réponds pour lui « papa, ou le khalife, quel nom ...» (rires) Suivant les territoires, souvent je peux insister en disant comment se passe, « vous n’êtes pas au courant, vous êtes mal informé, donc il faut réagir de cette manière-là ». Voilà !
MGN:
Est-ce qu’il y a aussi des talibés qui sont plus écoutés que les autres, qui font partie d’un conseil, si on peut le dire ainsi?
M. K.: Maria, oui parce qu’il y a d’abord le rôle du vice-khalife. C’est le plus âgé mais il a des frères et des demi-frères qui sont là et qui sont
khalifables et qui deviendront, un jour l’autre, khalifes. Il doit les écouter parce que, sinon, c’est pratiquement un blasphème de ne pas écouter ses frères, surtout ses frères cadets. Ça peut poser problèmes. C’est un devoir. Souvent même ils s’enferment, et ils me renvoient dehors, parce qu’ils me disent que c’est une affaire d’oncles, pour prendre les décisions. Je vous assure aussi qu’il y a un côté mystique parce que pour gérer cette communauté-là, du côté spirituel, de temps en temps, il faut avoir une impulsion spirituelle. Demander de prier, de penser à ça, d’organiser telle chose, etc. Ça ils peuvent le faire en conclave. Mais aussi il y a le système des Cheikh. Vous avez vu? A un certain moment, un talibé il est nommé Cheikh en fonction de son implication, de son sérieux, de ce qu’il peut faire pour la communauté et on a des comptes. Ces Cheikh-là, avant ils avaient une influence. Quand ils devenaient Cheikh aussi, c’est une sorte d’autonomie qu’on leur donne pour recruter, pour avoir un peu un groupe de proximité et de gestion. Là aussi ils rendent compte et souvent ils peuvent user de tout leur poids pour orienter les décisions parce que ce sont des hommes de terrain. Et il les écoute. Il évite vraiment de les frustrer. Il évite toujours de les frustrer. Il préfère frustrer son fils, un de ses enfants, que de frustrer un Cheikh. Voilà! … qui peuvent l’accepter, hein. Et je pense ce qui est nouveau dans son khalifat, dans son magistère, c’est qu’il dit que c’est la concertation. « J’écoute tout le monde. » D’ailleurs, j’étais très flatté par le concept de délai de grâce. Il dit « j’ai fait un an, j’ai écouté. Je n’ai pas pris de décisions. Maintenant, il est temps que je prenne des décisions. J’ai écouté tout le monde pendant un an, je n’ai pas pris de décisions. Maintenant, je pense que je comprends, maintenant au travail.» Ça il l’a dit au premier anniversaire de son khalifat. Et de temps en temps, lors du grand
Gamou, parce que ça aussi il faut le dire, Maria, le
Gamou nous marque beaucoup. C’est un
Gamou sous-régional. C’est un
Gamou africain parce que c’est l’occasion aussi de faire revenir les petits-enfants des talibés de Cheikh Bou Kounta. Maintenant ils viennent de façon plus moderne. Ils viennent en avion, en train et maintenant, depuis qu’il y a la route, ils viennent en autobus climatisés. Et là, c’est le grand
Gamou annuel qui est connu, et vraiment il faut le dire, et c’est depuis le petit Cheikh Bou Kounta, on a perpétué l’évènement. Il y a un deuxième événement que je considère, moi, plus important, c’est l’anniversaire du décès du fondateur, Cheikh Bou Kounta. C’est un mois, Shaabaane, assez particulier. Et les gens viennent. Et là, il y a moins de monde mais il y a plus de famille et ça c’est très important. Les grandes bousculades, les grandes foules, non. Et là les gens peuvent s’approcher, causer, échanger. Parfois c’est même l’occasion de prendre des décisions, etc. Là aussi, c’est l’autre évènement. Maintenant il y a de petits évènements, des
ziyaras, des talibés qui viennent le voir. Ce qui fait que tous les weekends, il le sent, il y a du monde. Il y a du monde.
MGN:
Oui ! J’ai constaté qu’il y a des femmes Cheikh aussi. On a même interviewé Cheikh Bintou Sidibé à Guédiawaye et Cheikh Bintou Diarra. Depuis quand est-ce qu’il y a des femmes Cheikh? Ou est-ce que ça existe depuis le temps de [Bou Kounta] ?
M. K.: Ça existe depuis ! Ça existe depuis et je pense que c’est un tort qu’on doit réparer. C’est une injustice. Il y a eu de braves femmes. Quand on dit « talibés », c’est hommes et femmes. Je vous assure, il y a eu des mamans, des braves mamans, des braves femmes qui se sont donné corps et âmes à la confrérie mais on ne doit pas les oublier. Donc, depuis Cheikh Bou Kounta, des femmes ont porté le titre de Cheikh; mais c’est peut-être le nombre. Vraiment il faut être une battante, il faut que les gens puisse vous remarquer pour votre piété, votre engagement, l’amour que vous avez pour l’islam, l’amour que vous avez pour la confrérie. Mais je vous assure qu’il devait y avoir autant de Cheikh hommes que de Cheikh femmes.
[i] Ça je le pense très sincèrement. Je vous assure, l’animation qu’il y a, les grandes décisions, même au point de vue cadeaux, implication, legs, les femmes ont beaucoup fait pour la tarîqa. Beaucoup! Beaucoup! Et on en cite beaucoup. De mémoire, ma mère me donne des noms de femmes qui ont beaucoup contribué. Parce que, comme on le dit, une femme Cheikh, mais c’est toute une famille, tous ses enfants. Un papa Cheikh, il peut être seul, hein! Il peut ne pas être suivi par ses enfants. Voilà! Ça c’est important!
MGN:
Bon… Une dernière question, parce que j’ai remarqué qu’on a déjà parlé des autres questions que j’avais notées. Selon vous, quels sont les événements ou les activités les plus significatives dans l’histoire de la confrérie depuis Cheikh Bou Kounta, sous les différents khalifats?
M. K.: En partant de Cheikh Bou Kounta… On doit tout à Cheikh Bou Kounta. Je vous assure, Maria, je pense que parler de Ndiassane, c’est parler de Cheikh Bou Kounta. Et je m’étonne. Les gens, meme les enfants, même les derniers nés tout ça, ils vénèrent Cheikh Bou Kounta. Il a un symbole qui est là-bas parce qu’il a son mausolée au milieu du village. Ça nous rappelle toujours à l’ordre que c’est [grâce à] celui-là s’il y a eu de la prospérité. Si vous êtes là aujourd’hui, les gens vous respectent, mais c’est Cheikh Bou Kounta, fils de Cheikh Bounama aussi. Et c’est [ce sont] des battants d’abord parce que des maures qui sont venus de Mauritanie dans un Cayor avec beaucoup de Wolof, … mais le maure il est considéré comme un étranger, s’imposer, fonder un village, parce que Ndiassane s’appelle Keur Bou. Dans les documents quand vous cherchez Ndiassane vous ne trouvez pas parce que Ndiassane est un nom sérère, mais le village c’est Keur Bou. ‘Keur’, la maison de Bou avec plusieurs concessions.
MGN:
Ah… ‘Keur Bou’, d’accord!
M.K.: Marty a dit, il parle de Keur Cheikh Bou. Voilà ! Ndiassane c’est plutôt une localité, dans cette terre-là de sérères. C’est cette terre qui s’appelle Ndiassane mais ce n’est ni arabe, ce n’est…, véritablement c’est un nom qui vient du sérère parce que c’est les premiers habitants de cela. Quand il est venu, mais on ne l’a pas accueilli à bras ouverts, hein! Il y avait une sorte d’hostilité. Ce maure qui est là, cet étranger qui est là, ça pose problème. Qu’est-ce qu’il vient chercher? Tout le monde n’était pas musulman, donc il vient, mais il avait le sens de la négociation. Le sens de l’écoute également, le sens de la persévérance, le sens aussi de la tolérance. Donc ce n’était pas facile, les gens le disent et lui-même il l’a dit quelque part en disant « je pense que j’ai traversé des moments extrêmement difficiles: hostilité, adversité.» Il est arrivé qu’on brûle ses cases, ses concessions mais il est resté quand même. Le problème c’est une réponse mystique: l’eau. Tout le monde sait que l’eau c’est la vie. Et il fallait donc… l’histoire du village, de la création de Ndiassane est liée à une histoire de sources qu’on appelle les séanes et ça, les gens se plaignaient. Ils faisaient des kilomètres pour chercher de l’eau, ce n’était pas facile. Et un jour il a dit, « il y aura un évènement ». La source a coulé. C’est les séanes de Ndiassane. Et jusqu’à présent il y en a qui en gardent des souvenirs. Ils vous parlent des séanes. Moi-même j’ai vu ces séanes-là. Je me suis lavé avec, j’ai bu cette eau pensant que c’est une eau véritablement qui pouvait faire de la thérapie, etc., c’était comme ça. Et jusqu’à présent, vous faites 50 cm, vous avez de l’eau. Vous avez l’eau, remplacée maintenant… on a les robinets. On a encore souvenir de cette source qui s’appelle les séanes de Ndiassane. Donc c’est cela. Et dans les chants folkloriques, dans l’oralité, tout le monde parle des séanes de Ndiassane. Voilà, en disant que ce jour-là, c’était une nuit du jeudi au vendredi, on a entendu un bruit, c’était le déclenchement de cette source. C’était la source qui coulait. Ça a fait un bruit et les gens en parlent. L’autre évènement, c’est …donc Cheikh Bou était vraiment un homme… ces vagues d’hommes qui venaient vers lui. Il les accueillait. Il les traitait très bien. C’était un fait. Dans notre confrérie, et ça c’est une tradition, il n’est pas question de pousser les talibés à la mendicité. Et pour cela, ils devaient cultiver ses champs. Ils devaient faire du commerce. Il les poussait. C’est la notion du travail. Et ce qui fait que véritablement, il faut le dire, il était riche. Il pouvait subvenir vraiment à ses besoins parce qu’aussi il y a le côté spirituel, mais il y a l’économique et ça il le savait déjà parce qu’un Cheikh qui n’a rien, un Cheikh qui ne peut pas entretenir ses talibés, ça pose un problème. Mais lui, véritablement, il a pris le soin de le faire, de s’ouvrir. Savez-vous que Ndiassane est un titre foncier? Ça c’est important. A l’époque, au début, qui pensait à faire de son village… de chercher le titre? Donc il a fait un bon usage de l’environnement colonial, ça c’est extrêmement important, en disant « il croit en ça, je l’utilise comme mode. Mes terres il faut les protéger.» Et c’est une fierté aujourd’hui. Vous entendez un Kounta il vous [dit] « j’habite Ndiassane, c’est un titre foncier. » Là aussi ça fait cette fierté-là. L’autre chose, c’est ses relations avec les autres Cheikh, les autres confréries. Comme je vous l’ai déjà dit, il avait d’excellentes relations avec Seydi El Hadji Malick de Tivaoune, vraiment, de l’amitié, de l’estime, de la sympathie. Aussi pour Serigne Touba. Je vous l’ai déjà dit, il a donné une de ses filles, ses deux filles, une à Serigne Babacar, le fils de El Hadji Malick Sy, l’autre à Serigne Modou Moustapha, l’ainé [le fils ainé] de Serigne Touba et ce n’est pas gratuit. C’est lui qui a donné. Voilà! Et ça, c’est extrêmement important. Au point de vue même coopération, il arrive qu’un d’eux envoie des talibés pour aider à cultiver des champs. Extraordinaire! Aujourd’hui, on aurait dû… de bonnes, d’excellentes relations internationales. Je vous le dit ce n’était pas facile. Ils s’entendaient. Ils s’entendaient, il n’y a jamais eu de problèmes entre eux. Ils s’entendaient. Ils se consultaient sur les problèmes. Ils se passaient des prières. Ils faisaient véritablement… ils coordonnaient les activités par rapport à cela parce que c’était un peu la même génération avec souvent des différences de cinq ans, dix ans entre eux. Ce n’est pas gratuit qu’ils soient ensemble. Maintenant, c’est la suite qui pose problème. Au nom des intérêts, au nom de beaucoup de choses, les gens se divisent et s’opposent inutilement. Mais je vous assure, c’était une harmonie. Vous ne verrez jamais qu’il y a eu une sorte de trahison ou un tel a écrit. Ils ont laissé des écrits mais jamais… Chacun se dit « moi je suis un peu le gouverneur de cette zone. Je m’occupe un peu de mes talibés parce que si on les laisse, ils se dispersent ». Maintenant, il y a de petites différences, de petites sensibilités mais je vous assure, c’est la même chose, le fondement est le même et ça ils le disent. Oui! Oui! Parce qu’ils vous disaient souvent… ils sont capables de dire mais l’adoration de Dieu, la croyance en Dieu, si vous l’enlevez, qu’est-ce qui reste? Rien du tout. Donc vraiment, c’est la même chose. C’est des sensibilités, c’est les personnalités, c’est les milieux qui changent.
MGN:
Et comme on disait au début, même le Khalife Sidy Lamine, il a maintenu ces relations…
M.K.: d’excellentes relations avec... Mais l’autre évènement donc c’est le
Gamou. Sidy Lamine, ce qui a frappé, c’est la durée de son magistère. Il a fait quarante-quatre ans. C’est un, presque le plus connu des khalifes. Quarante-quatre ans ! Et c’est quelqu’un qui était imbu des valeurs Kounta. Il rappelle toujours que vous êtes des Kounta, vous ne devez pas faire ça. Refusez ça, etc. Refusez de collaborer. Refusez de faire ceci. Lui aussi il a fait du commerce à Saint Louis. Quand il venait comme Khalife, il était immensément riche. Il a fait son immeuble qui est véritablement un symbole à Ndiassane. C’est un immeuble de deux étages mais sur quatre hectares. Trois cent vingt-une pièces, cours de femmes, la mosquée, l’amphithéâtre! Parce que je pense que c’est quelqu’un qui adorait Tombouctou, les villes arabes et il a voulu vraiment reconstruire un immeuble où il pouvait véritablement loger tout le monde…les
Gamou …sur place etc. Ça aussi, ça fait partie de notre univers d’enfant parce que moi, quand je suis née, j’ai vu l’étage. Vous voyez, ça fait partie de notre environnement. J’ai oublié Sheikh Békaye aussi, parce que chacun a sa particularité. C’est l’ainé. Lui, c’était l’intellectuel. Il est allé longtemps en Mauritanie, il a appris le Coran, il a appris l’arabe. Il a acheté des livres très modernes [sur] l’astrologie, l’astronomie, les mathématiques, l’histoire, la géographie, tout cela. Vous voyez ? C’était le plus âgé mais je dis, déjà c’était un précurseur de la modernité. Ça il l’a fait et ça a également reflété sa philosophie même au niveau de son architecture. Il avait un bâtiment en tuile avec de beaux carreaux et donc Sidy Lamine est venu, lui, faire un étage. Le troisième khalife, c’est mon grand-père. Il m’a profondément marqué, ça je l’ai déjà dit mais [il a eu] un khalifat très court. Trois ans! Quand il était khalife, il était déjà malade. Un homme, vraiment, de rigueur, de probité morale, généreux, ouvert. Ce que j’ai retenu vraiment, c’est l’attachement qu’il avait pour ma modeste personne et pourtant il avait d’autres petits enfants. C’était surtout ça, et il me poussait à réussir tout le temps. Et il m’écoutait. Il m’adorait. Je dormais à côté de lui (rires). Et ça c’est important. Mais lui aussi, il a dû faire lotir le village, faire le lotissement, et ce n’était pas facile. Mon père a eu des problèmes. Mon grand-père étant malade, vieux, c’est mon père qui faisait ça: détruire des maisons, faires des routes. Il y en qui ont déménagé et ça a créé des problèmes, mais il fallait le faire. « On ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs. » Et aujourd’hui, les gens se souviennent en disant « celui-là est parfait.» Parce que le village était un nid d’oiseau. Avec le lotissement on est… Et mon père avait le premier exemple. Sa maison-là, à cinq cents mètres, à un kilomètre du village, mais il a pensé juste futur en disant «voilà je donne l’exemple, je vais à quelques kilomètres pour, véritablement, faire des maisons.» Et les gens ont suivi. Et c’était de très grandes maisons. Les gens avaient l’habitude de vivre ensemble dans de petites concessions. Mais ça fait mal. On a détruit, les gens ont reconstruit. Et aujourd’hui, je vous assure, ils le citent parmi les évènements. L’autre, qui est venu après mon grand-père, c’est Sidy Yakhya Kounta. Plus jeune quand même, plus dynamique, il a fait la mosquée moderne. Parce que jusqu’ici, je ne parle pas de négligence… c’est une clôture, les gens priaient modestement là-bas. Et lui, il est venu dire qu’on construit quand même la mosquée. On construit le mausolée de Sheikh Bou, de son père. Avant c’était une case, je me rappelle. Mais il y en a qui ont même regretté en disant « il fallait laisser la case. Pourquoi vous avez mis du béton ? » (rires) Il y en même qui ont dit « nous l’avons vu en rêve, votre grand-père n’est pas content. Il faut enlever tout ce béton-là parce qu’il y avait une tradition. » Chaque fois qu’il y avait un problème, chaque fois qu’il y avait une petite sècheresse, les gens enlevaient la paille, renouvelaient la paille, et il pleuvait. Et ça c’était des croyances ancrées. Et quand on a fait du béton, je ne dis pas qu’il ne pleut plus, mais on ne peut plus refaire le béton tout le temps. Il y en a qui sont nostalgiques de cette période-là en disant qu’il fallait laisser la case parce que, véritablement, il ne faut pas faire tout moderne. Ça c’est l’œuvre de Sidy Yakhya Kounta, il faut le dire, qui a fait dix ans de khalifat mais qui a bien affirmé sa personnalité parce que c’était vraiment le Kounta orthodoxe. Là aussi, il a réorganisé la famille, il a réorganisé les talibés. Il y a eu beaucoup plus d’ouverture. Ça aussi il faut le dire. Et, dernièrement, le dernier
mamour qu’on a eu c’est Sheikh Bou Kounta parce que c’est un fils posthume, qui n’a pas connu son père. Il est né en 1914, trois mois après le décès de son père. C’est lui qui a fait dix-neuf, vingt ans de khalifat. Plus jeune, lui qu’est ce qui marque chez lui ? Ah, le Coran. Etant très jeune, il est allé en Mauritanie. Il a fait honneur, il a récité le Coran par cœur. Jusqu’à un âge avancé, il n’a jamais oublié un verset. Dans une diction extraordinaire, digne des grands, véritablement, hommes de science qui récitent le Coran au Caire ou ailleurs. Mais une diction extraordinaire! Une mémoire d’éléphant! Il a fait dix-neuf ans et lui, véritablement, il a pensé un peu à mieux organiser le khalifat avec une maison d’accueil pour les réceptions. Il a renforcé le pouvoir des Cheikh. Vraiment. Il s’est beaucoup approché… parce que vous avez parlé de Cheikh Bintou Sidibé, mais véritablement elle, Cheikh Bintou Sidibé, c’est vraiment l’œuvre de Cheikh Bou Kounta. Ça c’est sûr. Il a eu beaucoup d’estime, il a encouragé Cheikh Bintou qui, à son tour, dans son fief, a beaucoup travaillé. Ce khalife avait aussi ses marques au Saloum. Parce que comme je l’ai déjà dit, tous ces enfants cadets des khalifes se sont retirés dans le bassin arachidier pour cultiver. Je ne parle même pas de cultivateurs, c’est démodé, [je parle] d’agriculteurs par qu’ils associaient l’élevage, toutes les formes d’agricultures en plus maintenant du commerce. Ça c’est important. Lui, il a également un village qui s’appelle Thiariack, un village peul. Il s’est installé et, véritablement, il a fait du très bon travail. C’est aussi quelqu’un qui adorait ses frères qui les a suivis, je vous assure. Donc c’est un peu la synthèse de tout ça. Il a beaucoup fait également pour le développement et la promotion de Ndiassane. Il est décédé donc en deux mille…
MGN:
L’année dernière…
M.K.: Il y a deux ans, moins de deux ans. Ce qui a auguré une nouvelle ère, l’ère des petits-fils, mon père étant le premier petit-fils à occuper ce khalifat-là. Evidemment, il a une noble mission mais une charge très lourde de continuateur, mais aussi de pouvoir moderniser et faire plus qu’eux. Et il a des projets extraordinaires et ça fait des convergences quand il s’est installé, tout de suite il y a eu plus d’ouverture comme il le cherchait. On a fait presque un quartier administratif, un
daara moderne. Et c’est important. Il faut aller dans ce sens-là parce que faire que du Coran et oublier d’avoir un métier, ça crée des problèmes. Nous ne sommes plus dans cette période-là. Il faut allier la formation coranique à la formation professionnelle. C’est déjà fait, il y a déjà un
daara qui va se tenir bientôt, qui va accueillir à l’internat tout le monde sans exception:
khadres, tidianes, tout le monde, même des chrétiens. Ils peuvent venir faire leur formation, etc. Il a demandé à faire une maison de femmes, ce qu’on a appelle des « cédafes ». C’est important parce que le village maintenant a connu une croissance. Les femmes ont commencé à s’organiser, mais dans l’informel. Je pense qu’il est temps de formaliser tout cela et d’un coût de trois cent millions. Ça permettra d’avoir des ateliers, véritablement, de mutualiser toutes ces expériences-là. Elles sont très sensibles à cela. On a fait un collège. Avant il y avait des abandons. Les femmes ne pouvaient pas aller à Tivaoune parce que souvent c’était un problème de réajustement. Et maintenant on a un collège au niveau village qui complète un peu ce qui se fait à l’élémentaire. Pousser les élèves, les filles, à aller jusqu’au collège, à avoir un brevet, je vous assure, on a senti un plus de lumière. Je vous assure on voie les retombées au niveau de l’éducation des enfants, au niveau des activités génératrices de revenus, au niveau de la lutte contre la pauvreté, au niveau de l’hygiène, au niveau véritablement de tous ces problèmes-là. On commence à voir des incidences dans cela parce que, mieux on est instruit, mieux on devient un agent de développement. Surtout quand vous formez une femme, vraiment, comme on le dit, vous formez une nation. Ça je l’ai senti, hein. Et ça m’a fait… je le salue parce que j’ai vu ce qui se faisait avant. Les filles ne pouvaient pas faire deux, trois kilomètres à pied, revenir à la maison, rester à l’école sans manger. Mais maintenant tout le monde est chez-soi. C’est une très, très bonne chose. Il a envie aussi de faire une grande mosquée khadriya, la plus grande mosquée khadriya. Parce que vous avez vu, on a des mosquées, c’est vrai, mais qui ne sont pas connues. Vous avez vu, à Touba, il y a la grande mosquée de Touba, qui est un grand symbole, vraiment, du mouridisme. Vous avez vu aussi la mosquée moderne de Tivaoune et les autres mosquées Tidiane. Mais jusqu’ici donc, vous voyez, c’était très modeste et son prédécesseur a commencé une œuvre. C’est une mosquée de deux milliards, mais je vous assure, on commence par nous-mêmes, en comptant un peu sur nos propres forces pour faire un peu un édifice qui va véritablement être le drapeau, flambeau de la khadriya dans l’islam. Nous en avons besoin par ce que, savez-vous que c’est la première confrérie ?…
MGN:
Oui, ça c’est vrai…
M. K. : La khadriya, c’est la première confrérie. Les autres confréries sont venues après. Donc, je pense, la khadriya ne démériterait pas à avoir un symbole, une mosquée différente, mais vraiment une mosquée qui symboliserait un peu la khadriya en Afrique.
MGN:
Merci beaucoup ! Merci beaucoup!
M.K. : Maria, je vous remercie.
MGN:
Merci beaucoup d’avoir le temps…
M. K. : Non, non. Ça…
[i] Lapsus: «autant de cheikhs femmes que de cheikhs hommes».