Madame Haidara (MH) : Comment et quand avez-vous adhéré à la tarikha de Bou Kounta ?
Je m’appelle Cheikh Mamadou Mbodj. Je suis né à Bargny et j’ai adhéré à la Qadriya de Bou Kounta en 1949 alors que j’étais pêcheur «peseur» à Mbour. Je suis revenu à Bargny en 1950 où j’ai retrouvé Cheikh Arona Ndoye, un ami de longue date. Il était issu d’une famille des khadres et dirigeait notre communauté. J’ai pris le wird khadre à l’age de 23ans. Je le pratique depuis 68 ans. En 1951 nous nous sommes rendus à Ndiassane auprès de Cheikh Sidi Lamine. A Bargny il n’y avait que la Khadriya. Celle de Bou Kounta est la première à pénétrer dans ce village, suivi des Layenes et Tidianes. Cheikh Bou Kounta est plus âgé que Cheikh Saad Bou et l’avait devancé ici. Il avait emmené à Bargny ses fils Békaye, Abdourahmane et Sidi Lamine avant de les envoyer étudier en Mauritanie. C’est ici que les talibés avaient préparé du sankhal, (brisure de mil) et du couscous qu’ils leurs avaient envoyés à Saint-Louis par le train. Avant qu’il ait le chemin de fer, les talibés vigoureux emportaient à pied jusqu’à Ndiassane leur zakat au marabout après les récoltes.
MH : La grande majorité des talibés de Bou Kounta sont Bambara, Socé Mossi, etc.… Il a été peu suivi par les populations de la zone. Comment se fait-il que les Lébous de Bargny aient massivement adhéré à la tarikha de Bou Kounta ?
J’ai adhéré à cette tarikha par amour. J’ai été à l’origine de l’adhésion de plusieures personnes. J’ai participé au rayonnement de la tarikha aux cotés de mon ami et je suis entièrement dévoué à la tarikha de Cheikh Bou. Je peux affirmer que j’ai été le premier chanteur ou animateur des chants religieux. J’ai animé des cérémonies partout ou il y avait des khadres. Les gens de Dakar venaient nous chercher à Bargny. J’ai commencé à chanter en 1950 et je n’ai arrêté qu’en 1987 pour raison de maladie.
MH: Quel est le contenu de vos chants ?
Mes chants portent sur le Prophète Mouhammad, Cheikh Abd al-Qadir al-Djeylani, Cheikh Bou et la tarikha. J’ai repris beaucoup de chants qui étaient des poèmes de Cheikh Sidi Makhtar et de son fils que me remettait le deuxième Khalife Cheikh Sidi Lamine, et qui avait beaucoup d’estime pour moi. J’ai moi-même écrit des poèmes et j’ai aidé d’autres personnes à trouver le rythme d’un chant.
MH : Comment avez-vous fait pour que la tarikha kountiyou soit si bien implantée à Bargny?Comment avez-vous encadré les talibés et surtout les jeunes recrus ?
A mon retour de Mbour, il n’y avait pas de véritables chanteurs. Il n’y avait que des jeunes et un de mes ainés du nom d’El Hadj Moussa Ndiaye. Mais comme je chantais mieux que tout le monde, je suis devenu le chanteur principal et les autres (Assane Ciss, Babacar Niang, Maguette Thioune, Daouda Thioye) m’accompagnaient.
Nous avions formé une daaira chez Arona Ndoye. Ce mouvement khadre attira de nombreux habitants de Bargny. Les hommes venaient prendre le wird chez Arona, les jeunes filles et les femmes sont aussi arrivées massivement. Nous avons ainsi dominé tous les autres tarikha. Quand je suis revenu, c’étaient les femmes qui battaient le tabala [tambour]. Quand on partait à Ndiassane, au temps de la construction de l’immeuble de Sidi Lamine, nous prenions le train et descendions à la gare de Tivaouane. Nous sommes été suivis par une foule attirée par les tabalas. Ces tabalas, nous les garçons les attachions à la ceinture et tout en chantant nous nous dirigions sur Ndiassane. En fin de journée, sur le chemin du retour, nous allions rendre visite à Sérigne Babacar Sy sur les ordres de Cheikh Sidi Lamine pour bénéficier de ses prières avant de prendre le train.
MH : Que connaissez-vous de la vie de Bou Kunta ou de ses khalifes ?
Je suis talibé seulement depuis Cheikh Sidi Lamine, deuxième Khalife, qui m’aimait beaucoup. Il écrivait des khassaïdes qu’il me remettait.
MH : Avez-vous conservé ces documents puisqu’on sait que les écrits font défaut à Ndiassane ?
Je ne pouvais pas garder les feuilles, j’ai recopié les textes dans un carnet. Je peux vous citer quelques exemples [voir enregistrement]. Les deux premiers sont de Cheikh Sidi Makhtar et de son fils, la troisième porte sur l’origine chérifienne de Cheikh Bounama, père de Cheikh Bou.
MH : A l’occasion des cérémonies religieuses, les marabouts parlent souvent de leurs descendants. Qu’en était-il avec Sidi Lamine ? Avait-il les mêmes pratiques ?
Non, il ne parlait ni de son père ni de son grand père, il préférait parler du Prophète Muhammad pendant tout le gamou. D’ailleurs, il nous interdisait de chanter les louanges d’une autre personne que Muhammad (PSL). Nos chants portaient sur les œuvres d’Ibn Mahayap et la bourda de Muhammad Bouchra. A sa mort tout cela a disparu.
MH : Puisque vous étiez très proches, lui arrivait-il de vous parler en privé, de raconter des anecdotes sur le Cheikh ou sur sa famille ?
[Intervention de Ndiaga Koné :] Les Kounta ne parlent pas d’eux, ils ne parlent que de Dieu et de son Prophète. Cheikh Mamadou Mbodj a indiqué deux documents, dont le Hamziya ou bourda de Bouchra, que beaucoup de gens attribuent à Sérigne Babacar Sy et qui ne contient que des poèmes sur le Prophète. Le peu d’information que nous avons, nous la tenons à partir des discussions entre Sidi Lamine et un Maure du nom de Cheikh Ahmed Bouchata qui venait souvent à Njassane. Certains enfants Kunta ont fait leurs études chez lui. Il avait le don de communiquer avec les morts et quand il sortait du rawdou du Cheikh, le Khalife lui demandait ce que lui a dit borom Njassane. Il lui donnait des indices concernant la famille.
Biography: Shaykh Mamadou Mbodj is from a fishing family in Bargny, located on the coast about 15 km east of Dakar. He was 91 years old at the time of the interview. After joining the Buh Kunta Way and taking the Qadiriyya wird at the age of 23, he became the main singer of religious songs in his home town. He sang at many ceremonies in the area until 1987 when illness compelled him to give it up.
Description: Shaykh Mamadu Mbodj describes his activities as a member of the Buh Kunta Qadiriyya, especially as a singer. He speaks about the relationship between his home town of Bargny and Ndiassane and recalls the ziaara (pious visits) he and other followers made to Ndiassane when Sidy Lamin Kunta was khalif. Interview in Wolof with French translation.
Date: August 2007
Date Range: 2000-2009
Location: Bargny, Thies, Senegal
Format: Audio/mp3
Language: Wolof
Rights Management: For educational use only.
Contributing Institution: Matrix: The Center for Humane Arts, Letters, and Social Sciences Online at Michigan State University; Maria Grosz-Ngate and Toba Diagne Haidara.