Traduit par M. Adrien Pouille
Cheikh Bou Kounta a été succédé par cinq de ses fils avant que la génération de ses petits-fils ne commencent à régner.
Comme dans les autres confréries sénégalaises, les successeurs de Bou Kounta sont appelés « Khalife ». Si le Khalife de Ndiassane est plus âgé que le Khalife de Ndankh, village natal de Cheikh Bou, il devient le « Khalife Général » de Ndiassane et de Ndankh. La succession est faite par ordre de naissance. En principe, le khalife devrait être l’aîné de la lignée masculine.
Bou Kounta choisit son fils aîné
al-Bekkaï comme son successeur avant sa mort et mit le gouverneur général de l’Afrique occidentale française au courant. Al-Bekkaï Kounta dirigea la confrérie en tant que premier khalife de 1914 à 1929. Il avait déjà passé des années dans le sud-ouest de la Mauritanie à étudier le Coran, la théologie, la loi et la littérature auprès de plusieurs guides religieux. Il était assisté par son jeune frère Abdourahmane qui dirigeait l’école coranique de Ndiassane aussi.
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]Sidi Lamine Kounta succéda son grand frère al-Bekkaï. Il a eu le plus long règne de tous les fils qui ont succédé Cheikh Bou. Comme ses frères aînés, Sidi Lamine reçut une importante formation religieuse en Mauritanie mais il est revenu à la maison à la mort de son père en 1914. Paul Marty, qui était le directeur du bureau des affaires musulmanes de l’administration coloniale française, le décrit comme un très grand érudit à l’allure royale. Il alla s’installer à Saint Louis et s’adonna au commerce jusqu’à son accession au khalifat en 1929. Agé de 42 ans seulement à son intronisation, Sidi Lamine marqua la vie de la confrérie pendant 44 ans.
Entre autres, il institua le pèlerinage annuel (
gàmmu) comme activité régulière ; encouragea les disciples à se regrouper en associations (les
daaira); fit construire un immeuble impressionnant autour d’une cour, servant d’abri aux disciples à l’occasion du pèlerinage et d’autres visites;
améliora le service d’approvisionnement en eau du village et fit bétonner un bassin pour retenir l’eau.
Sidi Lamine continua à mener ses affaires par des intermédiaires en étant khalife mais ne noua pas de rapports avec l’état. Il maintint ses distances par rapport aux autorités politiques même durant la période de la décolonisation durant laquelle les politiciens sénégalais cherchaient activement le soutien des guides religieux. Plusieurs disciples affirment dans des entretiens que Khalife Sidi Lamine était un homme de vérité. Ils soutiennent qu’il n’était pas hostile à l’état et qu’il encourageait ses disciples à honorer leurs devoirs civiques mais il ne faisait pas de compromis avec les politiciens pour se faire bien apprécier ou pour obtenir des biens matériels. Il a été dit que cet apolitisme et ce manque d’exposition médiatique ont été des obstacles au développement de la confrérie.
Cheikh Mamadou Mbodj de Bargny,
un disciple qui battait le tam-tam (
tabala) et chantait à l’occasion des rassemblements religieux se rappelle dans
un entretien que Khalife Sidi Lamine interdisait que l’on chante les louanges de toute personne si ce n’était le Prophète Mohammed. Le Khalife lui remettait des poèmes religieux (
khassaïdes) qu’il avait écrit lui-même ainsi que des poèmes composés par Sidi Mokhtar al-Kébir à chanter durant les événements religieux. Contrairement à son attitude envers les autorités publiques, il entretenait de bonnes relations avec ses confrères mourides de Touba et tidjanes de Tivaouane. D’ailleurs, il encourageait ses disciples à témoigner leur estime à ces guides religieux. Quand les disciples prenaient le train pour aller ou quitter Ndiassane par exemple, il insistait qu’ils s’arrêtent à Tivaouane pour saluer le Khalife, Serigne Babacar Sy, et requérir ses bénédictions avant de rentrer chez eux.
Khalife Sidi Lamine
fut succédé par son frère
El Hadj Mamadou Kounta en 1973. Ce dernier était déjà souffrant quand il devint khalife et mourut en 1976. Bien qu’il n’eût pas eu le temps de réaliser beaucoup de ses projets, il fit en sorte que Ndiassane soit loti. Son petit-fils Mohammed Kounta se rappelle avec tendresse des moments qu’il a passé avec lui quand il était enfant. A cette époque la famille était dans le village de Kamatane près de Kaolack et vivait de l’agriculture, de l’élevage et du commerce. Il décrit son grand père comme un visionnaire et dit qu’il lui doit son éducation laïque. C’est El Hadj qui a insisté à ce que le jeune Mohammed aille à l’école française au lieu d’aller en Mauritanie poursuivre des études coraniques (
voir entretien).
Sidi Yakhya Kounta a vécu dans la région du Sine avant de devenir khalife en 1976. Il fit construire à la fois une mosquée moderne à Ndiassane et un
mausolée pour abriter le tombeau de son père Cheikh Bou Kounta. Auparavant, le tombeau du fondateur était abrité dans une case avec toit en paille qui était remplacé chaque année.
Cheikh Bou Mohammed a été le dernier fils de Bou Kounta à diriger la confrérie. Après avoir subi une importante formation religieuse en Mauritanie, il vécut dans le village de Thariack au Saloum et servit comme chef de village avant de remplacer son frère aîné Sidi Yakhya en 1987. Il améliora l’infrastructure de Ndiassane et renforça l’autorité des cheikhs. Il a aussi écrit sur plusieurs aspects de l’histoire de la famille. Sa mort en 2006 a été largement évoquée par
la presse sénégalaise.
El Hadj Mame Bou Mamadou Kounta devint le premier petit fils à diriger la
tarikha avec son intronisation au rang de khalife le 29 Avril 2006 (
voir vidéo). Il était le fils d’El Hadj Mamadou, le troisième khalife, et a vécu et travaillé à Kamatane. Il voyagea au Mali et aussi en d’autres pays ouest africains pour faire des affaires. La tradition qui consiste à éloigner les candidats à la succession de Ndiassane a été instituée au temps du premier khalife afin de prévenir des conflits entre frères et de les encourager à être autonomes et indépendants. Cette pratique a, par ailleurs, permis un rapprochement entre eux et leurs disciples. Tous les villages où les khalifes ont vécu du temps de Sidi Lamine jusqu’à présent regroupent d’importantes communautés de disciples. El Hadj Mame Bou qui était âgé de 80 ans lors de son intronisation s’est attelé à leur rendre visite malgré son âge avancé. Avec l’aide de son fils Mohammed Kounta (
voir entretien), professeur d’éducation à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, il s’est fixé un ambitieux programme. Il envisage non seulement de faire construire une école coranique moderne (
daara) qui sera ouverte à tout musulman et dispensera aux élèves des connaissances pratiques mais aussi de créer une école secondaire à Ndiassane pour faciliter l’instruction des filles. Par ailleurs, il projette d’achever la construction d’une grande mosquée.
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A l’instar de leur père et grand-père, les khalifes de Ndiassane vivaient modestement. Ils continuaient d’envoyer quelques-uns de leurs enfants et des enfants de leurs disciples en Mauritanie pour une formation de plusieurs années.
Ils les confient souvent à des guides religieux avec qui ils ont eux-mêmes étudiés. En plus d’une formation religieuse, ils apprennent l’Arabe et les traditions culturelles Maures. Le khalife paie les frais d’envoi. Les membres de la famille qui n’étudient pas en Mauritanie vont à l’école ou subissent une formation professionnelle et finissent par exercer diverses professions. Pour en citer que quelques exemples: Le cas de Mohammed Kounta a déjà été évoqué plus haut. Sa petite sœur Sokhna Astou Kounta
assiste son père, El Hadj Mame Bou, depuis qu’il ne devienne le sixième khalife en 2006. Elle a expliqué ses responsabilités lors d’
une entrevue. Sidi Omar Kounta, un petit-fils du premier Khalife Cheikh al-Bekkaï Kounta, a succédé son père comme Imam Raatib de Ndiassane (
voir vidéo). L’ancien porte-parole de la famille Ahmed Bachir Kounta est un journaliste très connu de la Radio et Télévision Sénégalaises (RTS). Cheikh Sidi Yakhya Kounta, un arrière-petit-fils de Cheikh Bou Kounta, travaille au port autonome de Dakar. Il nous a
parlé de ses activités en tant que membre de la famille Kounta et de ses efforts de se renseigner sur l’histoire de la famille. Bou Mohammed Kounta, plus connu sous le nom de
Bou Khalifa, enseigne dans un collège à Guédiawaye situé dans la banlieue de Dakar. Il est le fils de Serigne Mohammed Bouna Kounta de Ndankh et de Sokhna Astou Kounta, fille du premier Khalife al-Bekkaï Kounta, et a reçu une formation religieuse et laïque au Sénégal.
Il fit ses études secondaires et universitaires au Maroc, et obtint un diplôme à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Lui et quelques-uns de ses frères font des recherches sur l’histoire de la famille, écrivent, et donnent des conférences sur la confrérie Bou Kounta. D’autres membres de la famille ont étudié ailleurs dans le Maghreb ou en Egypte.