Failed Islamic States in Senegambia
David Robinson
Critique of the Umarian Movement
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La Guerre sainte de al-Hajj Umar Taal, vue par son compagnon Lamin Maabo, originaire de Haayre-Laaw (Sénégal)
1. Oh Dieu, Oh Seigneur à la volonté infaillible, Celui qui après le marigot de Jaajalol eut l'insigne honneur de boire à la source de Zem-Zem est celui-là même qui a fondé la mosquée de Dinnguiraay où, en ce jour, il fait prier les foules.
2. Même si Dieu seul dirige le Fuuta, le Shaykh aura quand même su forcer la main au Fuuta. Faute d'arriver à le convaincre une première fois, il dut se retirer à Dinnguiraay. Puis, par petits groupes ils le rejoignirent, si nombreux qu'il put en faire une véritable armée.
3. Bénéficiant de l'aide de Dieu, il détruisit aisément le tata, ainsi que les villages de Yimba et de Mene qu'il fit reconstruire peu après pour y installer les disciples de Shaykh Ahmad Tidjaan aux dons immenses.
4. Entre-temps, le Fuuta Jalon s'était mobilisé et porté jusque non loin du bosquet de Dinnguiraay pendant que les gens du Fuuta Tooro, au dehors, tenaient conseil sous le lenngeewi. Le Shaykh les avait tant et si bien galvanisés qu'ils s'étaient affranchis de la peur du nombre et ne manifestaient nulle intention de renoncer à la lumière. C'est lorsque le Shaykh apparut que la vérité fut distinguée du mensonge. Il n'est pour s'en assurer que de songer au Bammbuk où Suncan, ayant refusé [de se convertir], fut égorgé ; Manna Dikeewul [aussi] fut égorgé. Il [le Shaykh] envoya ses partisans au Gajaaga égorger le fils du Tunka Samba Kongol.
5. Déjà les Bammbara avaient mobilisé [leurs forces] ; le Xaaso riverain [du fleuve Sénégal] s'était également mobilisé. Ils étaient venus s'établir à Kuulum pendant que le Shaykh avait dressé son camp à Bunguru. Les deux armées se faisaient face dans la plaine.
6. C'est peu après qu'il fit ses recommandations demandant à certains disciples d'aller traverser [le fleuve] au grand fond de Jaxandappe pour emprunter la rive nord. Dieu offrit une mare comme le secours tant attendu : les disciples purent boire, se baigner, faire leurs ablutions et prier. Quand ce fut la grande mêlée sur la plaine, Dieu apporta son appui et le [Toujours] Victorieux devint aisément maître de la plaine.
7. Jakkalel fut incendié et réduit à néant ; les habitants de Sutukulle furent capturés ; des détachements marchèrent sur Kuulum, d'où des filles de prisonniers se mirent en route.
8. Oh Dieu ! Oh Seigneur ! Que Dieu répande la honte sur le seigneur de Kunakaari, ce vaut-rien.
9. Lequel, à l'annonce de la venue du Shaykh fut incapable de barrer la route à l'étranger [et] préféra aller se réfugier sur le mont Gidiwumma au pays de Moriba, un païen [tout aussi] égaré.
10. De Yélimané et Médine, ce jour-là même les absents ont dû entendre [parler]. Le sud et le Ngenaar et le Boosoya furent les premiers à ouvrir le feu, le Laaw et le Yirlaabe s'y joignirent, le Tooro fit front comme un seul homme : personne ne fut en reste.
11. Le 7 du mois de Jumada Luwal, dans la nuit du jeudi au vendredi'', les enfants de Moriba organisaient un festin nuptial : les griottes festoyaient, les sons des tambours retentissaient à l'intérieur des remparts, alors qu'au dehors les chants religieux fusaient de toutes parts.
12. Les premiers [venus] passèrent la nuit à l'intérieur des remparts, les derniers durent se contenter de rester dehors. Attaquants et attaqués durent tous ensemble souffrir d'insomnie.
13. Aucune femme Masalanke [Bammbara] n'oserait nier l'abondance de poudre [coups de feu échangés] ce jour-là. La poudre fut utilisée jusqu'à épuisement ; les balles finies, les cailloux furent tirés ; les cailloux épuisés, ce fut le tour des perles, et puis des haricots et même des boules d'ambre des femmes. Dès l'aube, Sunca était complètement ravagé, les pleurs repris en écho dans tout le pays bammbara, jusqu'à Ñooro, la capitale de Maamadi.
14. En vérité, le Shaykh est un maître de camp. Le jour où il partit de là, un matin, il arriva à Fanga, mit pied à terre et établit un campement. C'est là que le mil fut consommé et épuisé ; les haricots une fois épuisés, on consomma les arachides, puis les jujubes furent cueillis et consommés jusqu'à épuisement, puis ce fut le tour des feuilles de haricots, puis les tiges et même l'oseille non salée.
15. En vérité disciples [combattants oumariens], reconnaissez que le Shaykh est l'heureux élu, [lui] qui, tooroodo [de son état] a pu traverser autant de pays et venir fouler la concession de Maamadi, ce maître d'étalons de race réputés, enfant gâté ét héritier non de l'indigence [mais d'une fortune sans pareille].
16. Ainsi, oh Dieu, oh Seigneur ! Que Dieu couvre de honte Mamadi, le mauvais [stratège] qui, au lieu d'aller barrer la route de Jookaa, préféra brûler ses concessions et s'enfuir, laissant le village se transformer en désert [ruines].
17. Quand le Shaykh en partit de bon matin pour aller à la mare de Karharo, et qu'il [Maamadi] se précipita à sa rencontre, ce fut pour tomber dans le piège [litt. « entrer dans les mailles du filet »].
18. Quand le Shaykh, [à nouveau], en partit de bon matin, ce fut pour faire halte à Ñooro [sans que] personne n'ose l'en empêcher.
19. Yamfilee Somaa Deesee, un prince héritier chez les Bammbara, fut égorgé au beau milieu de la concession de son père, et personne n'osa dire mot [en signe de désapprobation].
20. Moodi Siree Deesee, un prince héritier chez les Bammbara, fut décapité dans la concession-même de son père, et personne n'osa dire mot.
21. Koli Moodi SireeDeesee, un prince héritier chez les Bammbara, fut égorgé dans la concession-même de son père, et personne n'osa dire mot.
22. Mahmuudu Siree Deesee, un prince héritier chez les Bammbara, fut égorgé dans la concession-même de son père, et personne n'osa dire mot.
23. Ceeama Labantili Deesee, un prince héritier chez les Bammbara, fut égorgé dans la concession-même de son père, et personne n'osa dire mot.
24. Oh disciples ! Considérez un moment ! Gelaajo Deesee malgré sa vanité et l'espoir qu'il nourissait d'enfiler le turban [couronne] des rois bammbara, fut égorgé dans la concession-même de son père, ligoté [comme un malfrat] et traîné [par les pieds], au lieu d'être porté sur les épaules. Les rapaces fondirent sur lui [son cadavre], l'éventrèrent, sortirent ses entrailles et les dispersèrent aux quatre vents. Et personne n'osa dire mot.
25. Oh disciples ! Voyez vous-mêmes, Ceemaa nous a défiés, le vaut-rien, ce Masalanke [Bammbara] de peu, que nous avons mis en déroute à Kuulum, celui qui dut laisser tomber son fusil dans la rivière, tout préoccupé qu'il était de rentrer annoncer la honteuse défaite.
26. La bonne preuve que Ceemaa était un incapable, c'est que les colonnes du Shaykh ont réussi à détruire les récoltes de mil et à disperser les haricots sur les routes.
27. Vous voulez le portrait de Ceemaa ? Reportez-vous à celui de l'âne. [De cette manière] vous identifierez le chef de Labantili, dont les six scarifications qui entaillent ses joues convergent au niveau de la gorge.
28. Eli Samba Bili et son père se sont arrogés le tribut dont ton père restait l'ayant-droit. Ôtes-toi d'ici, oh fils de porteur de cache-sexe à bandelette unique, fermement résolu à descendre aux enfers.
29. Oh Dieu ! Oh Seigneur ! Que Dieu répande ses grâces sur la colonne qui avait défait Kolomina. Tout ce que Mahmuudu Deesee nous avait fait endurer à Jonngui-Jonngui [comme humiliations et pertes], Alfaa le lui a fait payer à Kolomina. Il a fait brûler le village, il a fait main-basse sur tout le bétail et a tué les hommes [valides] et fait des files de captifs.
30. À Kolomina, j'ai vu de mes propres yeux Alfaa qui sermonait la foule et je l'ai entendu de mes propres oreilles dire : « Renoncez à tout ce qui est illicite, renoncez aux femmes d'autrui afin que Dieu [nous] prodigue assistance ».
31. Et c'est là que je devais renchérir en leur disant : « Il y a en notre sein des gens qui doivent cesser de s'approprier indûment le bien commun s'ils ne veulent pas mourir et aller en enfer ».
32. Les jours suivants, il [Alfaa] réitéra ses recommandations, demandant à quelques disciples de se rendre au village de Gimbanna, à quelque distance de ses murailles. Ces derniers partirent et, sitôt dans les broussailles près du village, ils mirent pied à terre. C'est là qu'un des disciples insista : « De grâce, disciples, faites l'effort de moins bavarder et attachons-nous [plutôt] à réciter le nom de Dieu. Si un village se présentait, prenons-le d'assaut, et Dieu nous assistera, c'est sûr ! »
33. Voici qu'un ennemi s'était faufilé pour aller dire aux ennemis de Dieu : « Tenez-vous prêts. La colonne des croyants est en route ». Ceux-ci se tinrent donc prêts au combat, occupèrent les tours et renforcèrent la garde aux portes.
34. Les disciples continuèrent leur marche jusqu'au abords du village, où ils mirent pied à terre. L'on décida que le Nguénar attaquerait par le nord, que le Yirlaabe se porterait à droite et le Toro au milieu. L'indomptable Bootol descendit de cheval et continua en fantassin, tout en haranguant la troupe : « De grâce, oh disciples ! Que personne ne fasse tonner son fusil jusqu'au fossé [tranchée entourant la muraille] ».
35. Les uns marchant, les autres tombant [sous les balles], le détachement progressa jusqu'au fossé. Dieu est témoin, mon Shaykh chéri, personne ne fut touché dans le dos.
36. C'est là qu'un Bammbara tira sur moi. Sa balle me toucha au front : ne me tuant pas, elle me fit [cependant] perdre connaissance. Je fis immédiatement une cabriole pour me retrouver à côté d'une excavation. Mon ami peul tomba sur les genoux à mes côtés. Il était 17 heures. Je dus rester couché jusqu'au lever [du soleil].
37. Hammadi Gani Salif, Hammaat Aliw Mayram, les deux Mahmud Aali — Mahmud Kuumba Elimaan et Mahmoud Aali Bookar, gisaient côte-à-côte au bord de la tranchée.
38. Dieu m'est témoin, mon Shaykh chéri, personne ne fut touché dans le dos. Et ce fut partout des tas de vêtements blancs sur la place. Du coup, les veuves furent légion chez nous.
39. Mais ce jour-là, tout témoin des événements de Gimbanna dut connaître l'un des deux sorts que voici : être tué et gonfler [en se décomposant] ou émigrer et laisser [lâchement] sa femme tomber en captivité.
40. C'est là que le vautour, repu, se permit le luxe d'abandonner à la nuit la chair du mécréant : toute la place fut jonchée d'entrailles.
41. Oh, fils du Fuuta ! Soyez témoin ! Maliyam a fui, fui avec l'énergie de l'étalon : Maliyam Hammadi Ahmadu ! Ton père absent, le Fuuta n'aurait jamais tenu assemblé, [car] une telle éventualité serait trop lourde de conséquences [pour le pays] ; Maliyam Hammadi Ahmadu, s'il s'avère que tu es un lâche, trouve [vite] des vaches en grand nombre et donne m'en une partie [en guise de dîme], car j'ai la langue bien pendue.
42. Autrement, malgré le manque de temps, je veillerais, si je ne venais pas à mourir en ces lieux [pendant la guerre], à adresser une lettre aux dignes fils des dames vertueuses du Fuuta pour les mettre au courant de ta lâcheté !
43. Maliyam Hammadi Ahmadu ! Pourquoi diable n'as-tu pas pris exemple sur l'attitude de Muusa Yero Jaara, de Koli Moodi et autres, le jour où le Shaykh prit Gimbanna d'assaut ? Maliyam H. Ahmadu, pourquoi diable n'as-tu pas pris exemple sur l'attitude des Moussa Yero Jaara, Koli Moodi et autres, le jour où le Shaykh prit Yelimane d'assaut ? En ce qui nous concerne, il est devenu clair comme l'eau de roche [nous en avons eu la preuve] qu'avoir peur et être vaincu sont deux choses distinctes : quand nous avons vu Idi en mauvaise posture, dépouillé du boubou aussi bien que du pantalon, dessaisi de la corne [de poudre] aussi bien que du fusil, après qu'il eut tué Samba Daagolo, l'intrépide cavalier qui passait ses journées [à patrouiller] à la frontière.
44. De grâce disciples ! Considérez que les ennemis de Dieu ont ourdi un complot dont chaque Sarakole est [amplement] informé : « Alfaa est coincé à Kolomina, [cependant que] le Shaykh est [immobilisé] à Nooro. Unissons-nous et déclenchons une action contre eux.
45. Seulement les ennemis de Dieu ne se doutaient pas que la bataille de Nooro avait déjà commencé, que beaucoup de compagnons avaient péri [dans l'intervalle] et que le Kaarta n'était plus qu'un désert.
46. Oh disciples ! Vous voyez, les Mustafa Habsa et autres, que l'on avait envoyés au pays [avec mission de] prêcher le bien et interdire le mal, ne se doutaient point que c'est là-bas qu'ils devaient finir leurs jours. Malheureusement, leurs jours étaient comptés et l'ennemi se chargea d'y mettre un terme.
47. Hammaat Daramaan et ses compagnons sont restés gisant dans les herbes à Gimbanna, à l'ouest, sur le bas-côté de la route.
48. Sule Buubu Jaanga, Hammadi Raki et Sule Alfaa, mes compagnons, sont restés couchés côte-à-côte au bord de la routez.
49. Raasin fut coincé à Bugula. Hélas ! Le jour de la fantasia à Karharo, l'étalon blanc [plutôt son cavalier] devint maître incontesté de la plaine.
50. Oh, vous, disciples ! Voyez vous-mêmes à quoi se réduisit la vanité quand Ndanko fit venir [en renfort] les restes [de l'armée] des Jaawara. Le grand âne de Jaabiga enfourcha sa monture et fit mine de défendre sa patrie, alors qu'il ne faisait confiance qu'à sa rapidité. L'hypocrite s'en retourna au pays noir [païen] des Jaawara. Fuir [de peur] n'est point honteux à tes yeux, grand âne.
51. Il avait fui à la bataille de Jaabiga ; il avait détalé à la bataille de Turngumme et à celle de Miimi-Miimi ; fui [encore] à Bambi Bero, à Baquna ; fui à Seebone. Il enfourcha un cheval non sellé, tomba en chemin et prit ses jambes à son cou.
52. Jara et Numru, Yere-Yere et Jannjen, jusqu'à Parampere, Bana, Tintiba, Nooro-la-Banlieue, Gajaba-Jala et Gajaba-Kaayel, Bay Sammbala et Mandala Madi Heerila et Dammbeli, tous ensemble ils se mobilisèrent et vinrent en force.
53. Les cavaliers de Malika partirent de Karharo pour Kolomina. Ceerno Kaalidu et sa cavalerie aussi furent sur le pied de guerre et le choc eut lieu sur la plaine. C'est ainsi que l'âne fut combattu et vaincu, ses compatriotes pris et ramenés à Nooro pour y être incarcérés.
54. Oh, compagnons, vous voyez ! Le complot de Nooro a été déjoué. Notre Shaykh avait dit : « Disciples, allez à la poursuite [de l'ennemi]. Si quoi que ce soit tombe entre vos mains, rapportez-le ; sinon, revenez vite. Tout contrevenant [à cet ordre] se sera écarté de la voie ».
55. Après avoir fait mouvement, les disciples arrivèrent à un endroit, dans la brousse, où ils mirent pied à terre. L'un d'eux dit alors : « De grâce, compagnons, pensez-y ! Le Shaykh avait dit : 'Si quelque chose vous tombe sous la main, rapportez-la, sinon revenez bien vite. Tout contrevenant [à cet ordre] se sera écarté de la voie' »I.
56. Là-dessus, un des disciples s'empressa de dire : « Nous ne pouvons quand même pas contourner Kolomina et ses habitants ; nous ne pouvons quand même pas contourner Alfaa, le Tooroodo à la langue brune ».
57. Seulement, les gens de Jaawara souhaitaient voir le village attaqué et vaincu, et toutes ses femmes réduites en esclavage.
58. Alors, quelqu'un de Jaawara fit de l'agitation en disant : « Faites un effort, compagnons ! Il faut qu'avant la nuit nous ayons atteint et pris ce village. Dieu [j'en suis sûr] nous assistera ».
59. Entre-temps, un espion était allé dire aux ennemis de Dieu : « Tenez-vous prêts, une colonne de croyants est en route ».
60. Il n'y avait ni avant-garde ni arrière-garde. Avançant en bloc compact jusqu'au village, ils mirent pied à terre. Oh, disciples ! Considérez ! Des fusils chargés pendant huit jours, alors qu'il pleuvait de jour comme de nuit ; l'armée musulmane avec des fusils qui s'enrayaient à tous les coups ; les infidèles à l'intérieur [des murailles] avec des fusils dont les coups partaient infailliblement. Alfaa Maalik, l'homme aux oeuvres pies, prêta serment en ces termes : « Je rends mon âme à son maître et je confie ma chair [mon corps] au Shaykh. Je ne saurai survivre [à ces événements] et les raconter de ma bouche ».
61. Mais, quand Abdoulaye Hausa, le petit homme épris de vérité, mobilisa Farabugu, ces renforts furent synonymes de salut.
62. Il dit : « Compagnons ! De grâce préparez les tranchées et tenez-vous prêts jusqu'à ce qu'on décide de mettre le siège ».
63. C'est des vivres que vous voulez, j'apporterai le mil, les haricots et et les arachides pour appuyer notre action.
64. Quand les secours arrivèrent de Lakamane, les rangs des disciples avaient au demeurant été sérieusement entamés ; les Bammbara fatigués, vainqueurs et vaincus s'en étaient allés et Kannjaari, ce jour-là, n'était plus que désert.
65. Ainsi les pleurs avaient élu domicile en pays bammbara, qui, quoiqu'ayant subi de sérieux dommages, n'en avait pas moins fait subir à son tour [aux jihadistes] : ce sont eux [les Bammbara] qui firent disparaître Gaynde Hamme Saydu à Kannjaari, par un beau matin de dimanche ; ce sont eux qui firent disparaître Bootol Sawa Haako, firent disparaîtrel Abdul Lamtooro et Siley Alfaa ; Demba Seydi Paate ; Buubu Hammaat Ahmadu Maalik ; Baba Jah, Kaasum Lam et Moktaar Aliw Mayram, tous mes compagnons qui gisent côte-à-côte au bord de la tranchée.
66. Dieu est témoin, mon cher Shaykh, pas un seul ne reçut une balle dans le dos. De nombreux vêtements blancs jonchèrent le champ de bataille et les veuves furent légion chez nous [au Fuuta].
67. Ainsi donc les pleurs firent écho aux pleurs à travers tout le pays jaawara, jusque chez Birante et Baraso. Que de pleurs à travers le Jaawara jusque chez les deux Karunga ; que de pleurs jusque chez Dabayo, qui a dû regretter amèrement ce qu'il avait fait. Elle n'a pas dû te servir à grand-chose l'amulette que tu portais à la ceinture.
68. Que de lamentations ont enhavi le [pays] Jaawara, auquel on avait fait grand mal même s'il avait fait grand mal en retour. C'est eux-mêmes [les Jaawaranke] qui ont perdu Gaynde Samba Takko Daado. il est parti [à jamais] le tireur d'élite, l'intrépide qui changeait aisément son fusil d'épaule.
69. C'est à Gajangolu que Mahmudu Samba Naawel est resté ;
C'est à Gajangolu que Mahmudu Samba Raamata est resté ;
C'est à Gajangolu que Mahmudu Samba Ngoone est resté ;
C'est à Gajangolu que Mahmudu Demba Ngoonre est resté ;
C'est à Gajangolu que Idriisa Hammadi Demba est resté ;
C'est à Gajangolu que Hammadi Demba Hammaat est resté ;
C'est à Gajangolu que Ismaïla Duunde est resté ;
C'est à Gajangolu que Mohammadu Oumar de Ngijilon est resté ;
C'est à Gajangolu que Ceerno Jibi est resté.
Il est parti l'Arabe, sans emporter le déshonneur dans l'au-delà. Il est parti en brave, Ceerno Jibi, sans avoir jamais montré le dos à l'ennemi.
70. Oh, fils du Fuuta, soyez témoins ! Depuis que le Shaykh a déclenché la guerre sainte [litt. « il est monté sur un cheval »], défait Gufde, investi le Bambuk jusqu'à Bamba Biro dans le Bagunu, chaque fois qu'on avait engagé une bataille, Samba n'avait pas manqué d'enfoncer les portes [d'une forteresse].
71. Oh, fils du Fuuta ! Soyez témoins ! De Nioro à Kolomina et de Ceerno Jibi à Jombugu, tous virent de leurs yeux le courage dont Mohammadu Hammaat sut faire montre.
72. Il n'est, pour qui en doute, que de se rappeler Mohammadu, le jour où le Shaykh prit Kuulum d'assaut : les chevaux s'élancèrent et Mohammadu se porta en avant et cinq [balles] tombèrent sur le cheval de Mohammadu. Ce jour-là, le téméraire l'emporta [sur l'ennemi], le patrouilleur [litt. « berger »], qui consumait ses journées à surveiller la frontière.
73. Il n'est, pour qui en doute, que de se rappeler Mohammadu le jour où le Shaykh tomba sur Yelimane : les chevaux s'élancèrent et Mohammadu se porta en avant ; trois balles tombèrent sur son corps. Ce jour-là, le téméraire l'emporta [sur l'ennemi], le patrouilleur qui consumait ses journées à surveiller la frontière.
74. Le jour [du combat] de Kareega, quatre [balles] tombèrent sur le corps de Mohammadu. Ce jour-là, le téméraire l'emporta, le patrouilleur qui consumait ses journées à surveiller la frontière.
75. Le jour [de la bataille] de Seebone, cinq [balles] tombèrent sur le cheval de Mohammadu. Ce jour-là, le téméraire l'emporta, le patrouilleur qui consumait ses journées à surveiller la frontière.
76. Le jour [de la bataille] de Janngirde, trois [balles] tombèrent sur le cheval de Mohammadu. Le téméraire l'emporta, le patrouilleur qui consumait ses journées à surveiller la frontière.
77. Oh, Shaykh Umar ! prêtes une attention particulière à Mohammadu Hammaat, le brave parmi les braves, qui avait fait le serment de ne jamais tourner le dos à l'infidèle au cours d'un combat.
78. De grâce, Shaykh, rentrons chez nous pour que, par Dieu, de la semence soit épargnée. La plupart des fils du Fuuta qui étaient venus avec nous ont été ravagés par la trahison et le martyre.
79. Oh ! que de fils du Fuuta ont été perdus au siège de Médine, la cité de Sambala. Raasin Kaataala et Mohammadu Hammaat et l'Emir Abdul et Nalla Pullo Raasin et Njoogu Cillel et Saydu Tooli Abdul et Lamtooro Hamme et Demba Gaysiri, en une rangée mes compagnons sont restés couchés sur le bord de la tranchée.
80. Dieu est témoin, mon cher Shaykh, pas un seul ne reçut une balle dans le dos. Et des vêtements jonchèrent le champ de bataille et les veuves furent légion chez nous.
81. Et le téméraire de périr [ce jour-là], le patrouilleur, le laconique, l'homme tranchant en matière de paroles.
82. Il est parti, l'indomptable, sans emporter le déshonneur dans l'au-delà. Aliw Abba est parti [également] sans emporter le déshonneur dans l'au-delà et Bookar Abba [le frère d'Aliw], le digne successeur n'a point ruiné [nos] espoirs.
83. De grâce, mon cher Shaykh ! Rentrons vite pour que, par Dieu, de la semence soit épargnée. Voyez, fils du Fuuta, les oiseaux planeurs nous annoncent que les basses terres inondables [du waalo] sont prêtes pour la culture : quiconque se rendrait aujourd'hui au Fuuta entendrait chanter le jaalo male ainsi que le baro buli et trouverait des gens se disputant âprement à propos des limites de leurs terrains [de culture], et d'autres réclamant avec force la propriété de leur père [disparu].
84. De grâce, Shaykh Umar, rentrons ! Tu as défait le pays bammbara, tu m'as empêché de rentrer chez nous me ressourcer, d'aller de nouveau faire mes adieux à la graine laiteuse du biñcan.
85. Malal hola et Dembel kebbi et Mbodeeri camtiri. Si le vent venait à souffler, nous pourrions glisser parmi les hautes tiges de biñcan ; si nous venions à ruisseler de sueur, nous pourrions nous ébattre à l'endroit du fleuve le plus profond. Nous serions à surveiller les terrains de culture [appelés] sammaldu, du côté de toggere ; si le soleil venait à chauffer très fort, nous irions nous baigner au fleuve laissant un des nôtres sur la tour de guet avec instruction de garder l'oeil sur les pièges [disposés non loin] et de récupérer au piège tout pigeon ou tourtereau capturé.
86. Le soir venu, en rentrant, nous pourrions entendre les claques que fait la carpe s'ébattant dans l'eau du fleuve et le cri du perdreau.
87. Dieu est témoin, mon cher Shaykh, le pays de douceur c'est le nôtre ; celui qui regorge de lait, de poissons et de sel. Hélas ! Dieu seul peut décider de notre retour [au pays natal].
88. Dieu est témoin, mon cher Shaykh, nous n'aimons point le pays bammbara — ce pays synonyme de baluchons, de serviettes, de camphre parfumé et d'oeuvres impies.
89. De grâce, Shaykh Umar, rentrons ! Afin que, par Dieu, quelque semence soit épargnée. Ou alors mets au point une stratégie, car nous sommes pris entre plusieurs feux [litt. « nos mouvements sont limités »] : la révolte sourd dans le Jaawara, le Maasina se mobilise, tandis que les Européens barrent le passage.
90. De grâce, Shaykh Umar, rentrons ! Afin que, par Dieu, quelque semence soit épargnée. Je dois avouer cependant, moi Lamine, qu'il m'étonne que quelqu'un qui n'a pas eu le bonheur de voir le Prophète mais qui a vu Shaykh Umar enfourcher son cheval [et aller en guerre sainte] n'ait pas daigné se joindre à lui, nonobstant les difficultés de toutes sortes.
91. Je me permettrais même de dire qu'un tel individu [celui qui refuse de se joindre au Shaykh] n'a pas grande envie de voir [litt. « soif de voir »] le Prophète, l'Arabe élu par vous [les humains]. Et, aspirerait-on aux biens matériels, que, en se joignant au Shaykh, on pourrait en disposer abondamment de façon on ne peut plus licite.
92. Aspirerait-on aux femmes qu'en s'offrant en martyr on se verrait gratifier de femmes parfumées et honorables dont l'éclat de la beauté permettrait de retrouver une aiguille perdue par une nuit d'encre.
93. De grâce, disciples, faites un effort ! Armons-nous de résolution ! Celui dont Dieu aura exaucé les voeux prendra le chemin du retour, alors que celui voué au martyre restera ici, pour sûr. À celui destiné à rentrer comme à celui voué à rester, [je souhaite] que Dieu nous préserve [tous] de l'enfer.
94. Alfaa le « Rouge », fais feu sur eux [les Bammbara] ; Alfaa le « Noir », aide-le [le Shaykh] à défaire le Bambuk ! Comme nous ne pouvons compter que sur le Fuuta, faisons en sorte que les recrues ne viennent pas à lui manquer.
95. Il a cassé les gens du Bunndu et, continuant son chemin, il a cassé Ñooro Kuta et Baafi ; il a cassé Kanngara et Kemta.
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Umar Tal Or Al-hajj UmarCreator: Giise, Lamin Maabo
Contributing Institutions: David Robinson; MATRIX: The Center for Humane Arts, Letters, and Social Sciences Online at Michigan State University
Contributor: Henri Gaden (Translator)
Description: This document, a poem written in Arabic characters but the Pulaar language, just like the document, Praise Poem of Umar Tall, takes a critical perspective on the Umarian jihad. The author is a griot or traditional, casted historian, is much shorter and puts the emphasis on the violence of warfare, on all sides, and ends up appealing to Umar to return "home," that is, to go back to Futa Toro.
Included is a Pulaar transliteration and a French translation of the original.
Date Range: 1890-1899
Location: Senegal River valley, Senegal
Format: Text/jpeg
Language: Pulaar
Rights Management: For educational use only.
Digitizer: MATRIX
Source: Moustapha Kane, Sonja Fagerberg-Diallo and David Robinson, "Une vision iconoclaste de la guerre sainte d'Al-Hajj Umar Taal," Cahiers d'Etudes Africaines, nos 133-5 (1994).