Contemporary Dynamics of the Bou Kounta Qadiri Community
By Maria Grosz-Ngaté
20150620_KhalifeElHadjMameBou
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Entretien: Khalife El Hadi Mame Bou Mamadou Kounta, Ndiassane, le 20 Juin 2015
00:01: Daouda Faye (DF): On a le plaisir de recevoir aujourd'hui le Khalife Général des khadres, El Hadji Mame Bou Mouhamed Kounta. Bonjour, Monsieur Le Khalife !
Khalife Mame Bou Mamadou Kounta : Bonjour !
00 :11 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de votre vie et de votre parcours, comme vous êtes le plus âgé des Khalifes Généraux au Sénégal ?
Ce que je peux dire de mon parcours est qu'après avoir fait mes études, je suis resté prés de mon père. Mon père était âgé et était une grande autorité qui avait du savoir, qui comprenait le monde et qui a eu aussi à être témoin de beaucoup de choses. Avant lui, il y avait son grand frère Cheikh Bécaye qui est décédé en 1929. Après le décès de celui-ci il est resté avec son autre frère du nom de Cheikh Sidy Lamine. Ce dernier a fait 44 ans de khalifat et a eu à réaliser beaucoup de choses. Mon père avait des daaras où il enseignait le coran. Il cultivait aussi, mais il cultivait avec ses disciples. L'agriculture lui permettait de nourrir sa famille, de donner la zakat, et d'aider les gens à régler leurs problèmes. Quand je suis venu du daara, je suis resté à ses côtés pour l'aider sur beaucoup de tâches. Je suis même allé en Mauritanie et je suis revenu rester à ses côtés. J'ai aussi ouvert un daara où j'enseigne le coran, j'éduque les enfants selon les préceptes de l'Islam. Je leur inculque aussi des valeurs qui leur permettront de vivre une vie saine parce qu'une bonne éducation guide l'homme vers le droit chemin. Mon père aimait le travail ce qui fait que moi aussi j'aime le travail et je ne sais que travailler. Quand j'ai commencé à voyager au Mali, on partait dans les zones reculées et là je prêchais l'importance et l'utilité de l'islam auprès des non-musulmans pour les convaincre à se convertir à l'islam. Et au même moment, des gens venaient trouver notre grand-père ici à Ndiassane pour se convertir. C'est ce qu'on a fait en grande partie. Après, il a déménagé pour partir au Saloum parce que la terre était plus vaste là-bas et il a fondé le village qu'on appelle Ndiassane Saloum où il enseignait le Coran, cultivait la terre et se consacrait aussi à sa religion. Il a fait 30 ans là-bas et il est revenu ici pour devenir le Khalife. Il n'a pas duré sur le khalifat puisqu'il était déjà âgé : il a fait deux ans et six mois. Il a loti le village et a creusé des puits. Notre grand-père aimait le travail, il avait de grands champs dans la forêt et ces champs sont toujours là. C'est ce qu'il a fait jusqu'à ce que les petits-fils viennent et suivent aussi ce chemin-là. A l'époque, il y avait le gouvernement français avec lequel on entretenait de bonnes relations. Nos grands-parents aimaient l'islam et faisaient tout selon les recommandations de l'islam. Et l'islam est aussi une religion très civilisée et très respectueuse des autres ce qui fait que toute personne qui bénéficie de son éducation saura comment bien vivre sur terre. C'est comme cela qu'on a vécu jusqu'à la mort de mon père. Et je ne fais que développer tout ce qu'il m'a légué. Les disciples qu'il a eus à enseigner, parfois je prie pour eux et leur demande d'aller rendre visite à leurs parents. C'est ce que je fais et cela fait maintenant dix ans que je suis sur le Khalifat.
Quand je suis venu on a élargi le village, j'ai aussi ouvert des écoles où les enfants peuvent étudier et aussi des daaras. Maintenant c'est une grande école et il y a même un CEM. Ce qui nous intéresse le plus est le savoir, le travail et le respect des lois et règlements du pays. C'est comme cela qu'on a vécu jusqu'à l'indépendance. Après, il y avait Mamadou Dia et Senghor et les autres présidents avec qui on s'entend à merveille. Ils nous laissent pratiquer notre religion et travailler. Ils font leurs devoirs envers nous. Si on a des problèmes et qu'on souhaite qu'ils nous aident, on leur soumet cela et ils feront leur possible.
07 :41 : DF : Avant les indépendances comment fallait-il faire pour voyager ?
A l'époque j'avais terminé mes études et je venais des daaras, j'étais plus majeur…
07 :59 : DF : Par exemple quels étaient les papiers à fournir pour se rendre au Mali ou pour voyager ?
Il fallait simplement une autorisation qui prouvait que vous êtes du pays et vous voulez aller au Mali.
08 :11 : DF : Où est-ce qu'il fallait trouver cette autorisation ?
Auprès du gouvernement Sénégalais.
08 :14 : DF : Non je veux dire avant les indépendances ?
Mais les blancs étaient là, il y avait le commandant, les commandants de divisions, par exemple le commandant de cercle était à Thiès, le lieutenant-gouverneur était à Saint Louis et le gouverneur général était à Dakar et il fallait qu'on leur obéisse parce que si vous quittiez le pays sans l'autorisation du chef de cercle vous seriez emprisonné au retour.
08 :55 : DF : Donc il fallait impérativement chercher une autorisation…
Oui, une autorisation qui montre que vous sortez du Pays.
09 :01 : D.F. : Est-ce que l'autorisation déterminait le nombre de jours ?
Ils vous demandaient le nombre de jours ou de mois que vous comptiez faire en dehors du pays.
09 :20 : DF : Et si vous ne rentriez pas à la fin du délai ?
Si vous ne rentriez pas à la fin du délai, il fallait la renouveler en partant voir le commandant en charge de votre pays hôte et vous lui expliquez que vous aviez dépassé le nombre de jours ou de mois que l'on vous avait accordé et là il vous faisait une prolongation.
09 :45 : DF : Vous êtes parti à Kankan et en Guinée…
J'ai fait toutes les deux Guinées. Je suis allé à Conakry, à Kankan, il y avait un grand marabout du nom de Cheikh Fanta Mari. Il fallait partir du Mali pour se rendre en Guinée, une fois à Kankan, il fallait prendre un train express pour aller à Conakry qui faisait 600 km. Kindia, Mame, Kouroussa sont des villages qui jalonnent le trajet sur des distances de 50 km. J'ai fait quatre mois à Kankan sans aller quelque part ailleurs.
10 :37 : DF : Quel est le souvenir qui vous a le plus marqué pendant ce voyage ?
Ce sont les disciples que j'ai trouvé là-bas et le fait que le nombre avait augmenté. Ils m'ont offert beaucoup de cadeaux comme des tissus, ils m'ont offert de l'argent, ils m'ont aussi posé beaucoup de questions sur la religion auxquelles j'ai répondu.
11 :00 : DF : Après cela vous étiez parti en Côte d'Ivoire. Quelles étaient les raisons de ce voyage ?
Je ne suis pas entré à l'intérieur du pays, je n'ai fait que traverser la frontière et je suis revenu.
11 :15 : DF : Donc vous n'êtes pas parti à l'intérieur du pays ?
Non, pas du tout.
11 :20 : DF : Qu'est-ce que vous avez pu engranger comme connaissance, pendant ces voyages et qui peut vous servir ?
Voyage !
11 :32 : DF : Les voyages que vous avez eus à effectuer au Mali, en Guinée et dans la sous-région ?
Partout où je me suis rendu, j'ai vu mon savoir augmenter. Je voyais des choses que je n'avais jamais vues auparavant, entendais des choses que je n'avais jamais entendues. J'étais utile aussi. Je rencontrerais des gens très valeureux, parfois il y en avait qui demande qu'on prie pour eux, pour que leurs problèmes soient résolus et cela ne faisait que consolider les relations.
12 :07 : DF : Quand est-ce vous vous êtes marié, avec ces nombreux voyages ?
Non, à l'époque je n'étais pas encore marié. C'est quand je suis rentré que je me suis marié.
12 :17 : DF : Vous aviez quel âge, à l'époque ?
J'avais 26 ans ou 25 ans.
12 :28 : DF : Donc vous n'aviez pas de femmes ni d'enfants pendant vos voyages ?
Non, je n'avais pas de femme.
12 :33 : DF : Donc depuis que vous vous êtes marié vous ne voyagez plus ?
Non, je ne voyage plus.
12 :37 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu du khalifat de votre père ?
Du temps de son khalifat, j'étais majeur et on avait eu quelques incompréhensions ici. J'étais en quelque sorte son aide de camp. Je le défendais beaucoup car je suis courageux mais je ne faisais pas du tort aux autres. J'étais prêt à tout pour mon père, sa vie était plus précieuse que la mienne. Durant tout son khalifat, personne n'a causé du tort à personne, il n'y a eu aucun souci.
13 :32 : DF : Donc votre rôle consistait à le défendre ?
Je ne faisais que le défendre.
13 :39 : DF : Vous n'aviez pas d'autres rôles ?
Je ne faisais que le rendre service dans le village, lors des cérémonies religieuses je prenais la parole lors des réceptions.
13 :58 : DF : Où est-ce que vous êtes né ?
Je suis né ici.
14 :09 : DF : Qu'est-ce que l'expérience de la vie à Ndiassane et le fait d'être né ici vous ont apporté maintenant que vous êtes khalife ?
On vit en harmonie ici parce qu'on pratique notre religion en paix, on travaille dans le sens de développer le village et d'augmenter le nombre de disciples. C'est cela notre préoccupation de tous les jours.
14 :52 : DF : Est-ce que les autres qui sont d'ici comprennent pourquoi les disciples continuent de venir ?
Oui, ils doivent le comprendre puisqu'on est né et on a fait notre enfance ensemble ici à Ndiassane. Ils ont vu les disciples et ils comprennent leurs utilités. Les disciples aussi sont nos semblables, on doit les traiter avec beaucoup de respect. On doit veiller à ce que rien ne les fatigue ou les dérange. C'est comme ça qu'on vit avec eux.
15 :29 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler de ce que vous avez fait dans l'agriculture ?
Jusqu'à présent je cultive.
15 :41 : DF : Qu'est-ce que l'agriculture vous a apporté ?
L'agriculture a contribué à mon épanouissement. Je cultivais des tonnes d'arachide, de mil, de riz. On cultivait tout ici et cela nous permet de donner la zakat. On rassemblait toute la zakat qu'on donnait aux démunis.
16 :12 : DF : Maintenant la question que je vous pose est de savoir comment comparez-vous votre vie de génération à celle de Baye Sidy [Khalife Sidi Lamine Kounta] et autres ?
Ah, ce n'est pas la même chose. Nous appartenons à différentes générations. La nôtre est confrontée à beaucoup de difficultés. Eux ils sont d'un temps où le pays était civilisé, il y avait l'apprentissage du français. Ils n'avaient aucune difficulté, c'est ça la différence.
16 :50 : DF : Est-ce qu'il y a une différence entre vos responsabilités en tant que khalife et leurs responsabilités quand ils étaient là. Est-ce que les responsabilités ont diminué ?
Les responsabilités d'un khalife sont très énormes. Vous avez beaucoup de responsabilités et vous êtes aussi responsable de la bonne ou de la mauvaise marche de tout ce qui se fait. Ainsi, vous faites tout pour que cela marche dans le bon sens.
17 :16 : DF : Donc les responsabilités sont les mêmes, il n'y a pas eu de changements ?
Le changement se fait noter dans les besoins. De nos jours, on a plus de besoins parce que c'est vous qui dirigez les gens, vous devez les aider quand vous en avez les moyens, il faut être tolérant envers eux. Dans certaines situations si vous n'êtes pas tolérant, ça ne marchera pas.
17 :46 : DF : Quels sont vos souhaits pour Ndiassane et vos enfants ?
Je souhaiterais que les enfants apprennent afin d'acquérir de la connaissance. Je voudrais qu'ils aient des responsabilités, je voudrais aussi qu'ils aient de bons emplois. Cela peut être dans le commerce, l'élevage ou dans un autre secteur qui leur permette de gagner leur vie sans porter préjudice à quelqu'un…
17 :46 : [un assistant du khalife] : En somme ce qu'il a l'habitude de dire, faire en sorte que ce que les legs des anciens soient bien préservés. Prier pour que rien, rien, ne soit perverti… Oui, c'est cela ! On doit tout faire afin que ce que les anciens nous ont légué ne soit pas perverti par les générations à venir. Je demande souvent qu'on prie afin que les legs soient préservés. Je souhaite aussi que les gens soient unis et vivent en paix. Ou alors s'il y a des malentendus, que les gens reste courtois de sorte que le différend ne soit pas perceptible à étranger qui arrive. Et c'est tout à fait naturel qu'il y ait de la jalousie, c'est dans la nature humaine. Quand vous êtes de la même famille et qu'il y ait un seul qui dirige, c'est normal parfois que les autres soient jaloux de lui. Mais tout cela doit se faire dans la plus grande discrétion.
19 :22 : DF : Que me répondriez-vous si je vous demandais ce qui vous a le plus fait plaisir dans votre vie ?
Ce qui me plait le plus dans ma vie c'est de vivre en paix dans ma famille et que Dieu me donne la force de réaliser tous leurs désirs. Je voudrais qu'ils aient de belles maisons, de belles voitures, et qu'ils entretiennent très bien leurs épouses. Celle-là est la petite fille de Serigne Touba. Serigne Touba est le père de Cheikh Mouhamed Moustapha et Cheikh Mouhamed Moustapha est le père de la mère de celle-ci, Sokhna Amy Mbacké1. Cela il faut pouvoir l'obtenir ailleurs pour avoir deux, trois ou quatre épouses.
20 :18 : DF : Quel est votre mot de la fin ?
Je rends grâce à Dieu et je prie sur le Prophète (PSL), parce que mes camarades n'ont pas ce que j'ai : je vis en paix. Je suis né en 1925, je n'ai pas été confronté à aucune difficultés particulières, j'ai tout. La famille s'entend bien avec moi. Il y a deux villages, l'autre c'est Ndankh qui se trouve derrière Kébémer, ça doit faire à 18 km…28 km….
21 :08 : [un assistant du khalife] Huit kilomètres…
C'est de là-bas d'où est originaire notre grand-père, Cheikh Bounama, qui y fonda la famille. C'est son fils cadet qui est venu s'installer ici et Dieu l'a doté de ce qu'il a eu par la suite. On se mariait entre cousins et cousines, et on ne maltraitait pas nos épouses. On ne les insultait pas, on ne les fatiguait pas non plus, on s'occupait bien d'elles.
21 :45 [un assistant du khalife] Des gens dont les pères sont des parents [des cousins et des cousines] peuvent se marier.
C'est ce qui fait qu'à chaque fois que je scelle une union je dis au mari que si vous battez votre épouse je romps le mariage, si vous l'insultez je romps le mariage. Comme nous nous l'enseigne le coran : « occupez-vous bien de vos épouses ou divorcez les de façon décente ». Le mariage et le divorce sont acceptés dans l'islam. Si vous ne savez pas vous occupez d'une femme retournez la chez ses parents au lieu de la maltraiter. L'islam nous déconseille de maltraiter nos épouses. En tant qu'épouse l'islam vous interdit cela et en tant que guide nous avons une responsabilité vis-à-vis de cela. C'est ce que nous essayons de faire.
Les enfants ne font rien sans demander notre autorisation. Autrefois, on amenait nos enfants en Mauritanie où ils restaient sept à huit ans, voire dix ans, de sorte que quand ils rentraient, ils ne comprenaient plus le wolof. Ils ne parlaient que le maure. Aujourd'hui cela a beaucoup changé parce que les maures ne sont plus sur place, ils n'enseignent plus. C'est pourquoi les enfants restent chez ici et on les envoie au daara ou à l'école.
23 :12 : DF : Merci !
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1 Une femme qui assistait à l'entretien
00:01: Daouda Faye (DF): On a le plaisir de recevoir aujourd'hui le Khalife Général des khadres, El Hadji Mame Bou Mouhamed Kounta. Bonjour, Monsieur Le Khalife !
Khalife Mame Bou Mamadou Kounta : Bonjour !
00 :11 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de votre vie et de votre parcours, comme vous êtes le plus âgé des Khalifes Généraux au Sénégal ?
Ce que je peux dire de mon parcours est qu'après avoir fait mes études, je suis resté prés de mon père. Mon père était âgé et était une grande autorité qui avait du savoir, qui comprenait le monde et qui a eu aussi à être témoin de beaucoup de choses. Avant lui, il y avait son grand frère Cheikh Bécaye qui est décédé en 1929. Après le décès de celui-ci il est resté avec son autre frère du nom de Cheikh Sidy Lamine. Ce dernier a fait 44 ans de khalifat et a eu à réaliser beaucoup de choses. Mon père avait des daaras où il enseignait le coran. Il cultivait aussi, mais il cultivait avec ses disciples. L'agriculture lui permettait de nourrir sa famille, de donner la zakat, et d'aider les gens à régler leurs problèmes. Quand je suis venu du daara, je suis resté à ses côtés pour l'aider sur beaucoup de tâches. Je suis même allé en Mauritanie et je suis revenu rester à ses côtés. J'ai aussi ouvert un daara où j'enseigne le coran, j'éduque les enfants selon les préceptes de l'Islam. Je leur inculque aussi des valeurs qui leur permettront de vivre une vie saine parce qu'une bonne éducation guide l'homme vers le droit chemin. Mon père aimait le travail ce qui fait que moi aussi j'aime le travail et je ne sais que travailler. Quand j'ai commencé à voyager au Mali, on partait dans les zones reculées et là je prêchais l'importance et l'utilité de l'islam auprès des non-musulmans pour les convaincre à se convertir à l'islam. Et au même moment, des gens venaient trouver notre grand-père ici à Ndiassane pour se convertir. C'est ce qu'on a fait en grande partie. Après, il a déménagé pour partir au Saloum parce que la terre était plus vaste là-bas et il a fondé le village qu'on appelle Ndiassane Saloum où il enseignait le Coran, cultivait la terre et se consacrait aussi à sa religion. Il a fait 30 ans là-bas et il est revenu ici pour devenir le Khalife. Il n'a pas duré sur le khalifat puisqu'il était déjà âgé : il a fait deux ans et six mois. Il a loti le village et a creusé des puits. Notre grand-père aimait le travail, il avait de grands champs dans la forêt et ces champs sont toujours là. C'est ce qu'il a fait jusqu'à ce que les petits-fils viennent et suivent aussi ce chemin-là. A l'époque, il y avait le gouvernement français avec lequel on entretenait de bonnes relations. Nos grands-parents aimaient l'islam et faisaient tout selon les recommandations de l'islam. Et l'islam est aussi une religion très civilisée et très respectueuse des autres ce qui fait que toute personne qui bénéficie de son éducation saura comment bien vivre sur terre. C'est comme cela qu'on a vécu jusqu'à la mort de mon père. Et je ne fais que développer tout ce qu'il m'a légué. Les disciples qu'il a eus à enseigner, parfois je prie pour eux et leur demande d'aller rendre visite à leurs parents. C'est ce que je fais et cela fait maintenant dix ans que je suis sur le Khalifat.
Quand je suis venu on a élargi le village, j'ai aussi ouvert des écoles où les enfants peuvent étudier et aussi des daaras. Maintenant c'est une grande école et il y a même un CEM. Ce qui nous intéresse le plus est le savoir, le travail et le respect des lois et règlements du pays. C'est comme cela qu'on a vécu jusqu'à l'indépendance. Après, il y avait Mamadou Dia et Senghor et les autres présidents avec qui on s'entend à merveille. Ils nous laissent pratiquer notre religion et travailler. Ils font leurs devoirs envers nous. Si on a des problèmes et qu'on souhaite qu'ils nous aident, on leur soumet cela et ils feront leur possible.
07 :41 : DF : Avant les indépendances comment fallait-il faire pour voyager ?
A l'époque j'avais terminé mes études et je venais des daaras, j'étais plus majeur…
07 :59 : DF : Par exemple quels étaient les papiers à fournir pour se rendre au Mali ou pour voyager ?
Il fallait simplement une autorisation qui prouvait que vous êtes du pays et vous voulez aller au Mali.
08 :11 : DF : Où est-ce qu'il fallait trouver cette autorisation ?
Auprès du gouvernement Sénégalais.
08 :14 : DF : Non je veux dire avant les indépendances ?
Mais les blancs étaient là, il y avait le commandant, les commandants de divisions, par exemple le commandant de cercle était à Thiès, le lieutenant-gouverneur était à Saint Louis et le gouverneur général était à Dakar et il fallait qu'on leur obéisse parce que si vous quittiez le pays sans l'autorisation du chef de cercle vous seriez emprisonné au retour.
08 :55 : DF : Donc il fallait impérativement chercher une autorisation…
Oui, une autorisation qui montre que vous sortez du Pays.
09 :01 : D.F. : Est-ce que l'autorisation déterminait le nombre de jours ?
Ils vous demandaient le nombre de jours ou de mois que vous comptiez faire en dehors du pays.
09 :20 : DF : Et si vous ne rentriez pas à la fin du délai ?
Si vous ne rentriez pas à la fin du délai, il fallait la renouveler en partant voir le commandant en charge de votre pays hôte et vous lui expliquez que vous aviez dépassé le nombre de jours ou de mois que l'on vous avait accordé et là il vous faisait une prolongation.
09 :45 : DF : Vous êtes parti à Kankan et en Guinée…
J'ai fait toutes les deux Guinées. Je suis allé à Conakry, à Kankan, il y avait un grand marabout du nom de Cheikh Fanta Mari. Il fallait partir du Mali pour se rendre en Guinée, une fois à Kankan, il fallait prendre un train express pour aller à Conakry qui faisait 600 km. Kindia, Mame, Kouroussa sont des villages qui jalonnent le trajet sur des distances de 50 km. J'ai fait quatre mois à Kankan sans aller quelque part ailleurs.
10 :37 : DF : Quel est le souvenir qui vous a le plus marqué pendant ce voyage ?
Ce sont les disciples que j'ai trouvé là-bas et le fait que le nombre avait augmenté. Ils m'ont offert beaucoup de cadeaux comme des tissus, ils m'ont offert de l'argent, ils m'ont aussi posé beaucoup de questions sur la religion auxquelles j'ai répondu.
11 :00 : DF : Après cela vous étiez parti en Côte d'Ivoire. Quelles étaient les raisons de ce voyage ?
Je ne suis pas entré à l'intérieur du pays, je n'ai fait que traverser la frontière et je suis revenu.
11 :15 : DF : Donc vous n'êtes pas parti à l'intérieur du pays ?
Non, pas du tout.
11 :20 : DF : Qu'est-ce que vous avez pu engranger comme connaissance, pendant ces voyages et qui peut vous servir ?
Voyage !
11 :32 : DF : Les voyages que vous avez eus à effectuer au Mali, en Guinée et dans la sous-région ?
Partout où je me suis rendu, j'ai vu mon savoir augmenter. Je voyais des choses que je n'avais jamais vues auparavant, entendais des choses que je n'avais jamais entendues. J'étais utile aussi. Je rencontrerais des gens très valeureux, parfois il y en avait qui demande qu'on prie pour eux, pour que leurs problèmes soient résolus et cela ne faisait que consolider les relations.
12 :07 : DF : Quand est-ce vous vous êtes marié, avec ces nombreux voyages ?
Non, à l'époque je n'étais pas encore marié. C'est quand je suis rentré que je me suis marié.
12 :17 : DF : Vous aviez quel âge, à l'époque ?
J'avais 26 ans ou 25 ans.
12 :28 : DF : Donc vous n'aviez pas de femmes ni d'enfants pendant vos voyages ?
Non, je n'avais pas de femme.
12 :33 : DF : Donc depuis que vous vous êtes marié vous ne voyagez plus ?
Non, je ne voyage plus.
12 :37 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu du khalifat de votre père ?
Du temps de son khalifat, j'étais majeur et on avait eu quelques incompréhensions ici. J'étais en quelque sorte son aide de camp. Je le défendais beaucoup car je suis courageux mais je ne faisais pas du tort aux autres. J'étais prêt à tout pour mon père, sa vie était plus précieuse que la mienne. Durant tout son khalifat, personne n'a causé du tort à personne, il n'y a eu aucun souci.
13 :32 : DF : Donc votre rôle consistait à le défendre ?
Je ne faisais que le défendre.
13 :39 : DF : Vous n'aviez pas d'autres rôles ?
Je ne faisais que le rendre service dans le village, lors des cérémonies religieuses je prenais la parole lors des réceptions.
13 :58 : DF : Où est-ce que vous êtes né ?
Je suis né ici.
14 :09 : DF : Qu'est-ce que l'expérience de la vie à Ndiassane et le fait d'être né ici vous ont apporté maintenant que vous êtes khalife ?
On vit en harmonie ici parce qu'on pratique notre religion en paix, on travaille dans le sens de développer le village et d'augmenter le nombre de disciples. C'est cela notre préoccupation de tous les jours.
14 :52 : DF : Est-ce que les autres qui sont d'ici comprennent pourquoi les disciples continuent de venir ?
Oui, ils doivent le comprendre puisqu'on est né et on a fait notre enfance ensemble ici à Ndiassane. Ils ont vu les disciples et ils comprennent leurs utilités. Les disciples aussi sont nos semblables, on doit les traiter avec beaucoup de respect. On doit veiller à ce que rien ne les fatigue ou les dérange. C'est comme ça qu'on vit avec eux.
15 :29 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler de ce que vous avez fait dans l'agriculture ?
Jusqu'à présent je cultive.
15 :41 : DF : Qu'est-ce que l'agriculture vous a apporté ?
L'agriculture a contribué à mon épanouissement. Je cultivais des tonnes d'arachide, de mil, de riz. On cultivait tout ici et cela nous permet de donner la zakat. On rassemblait toute la zakat qu'on donnait aux démunis.
16 :12 : DF : Maintenant la question que je vous pose est de savoir comment comparez-vous votre vie de génération à celle de Baye Sidy [Khalife Sidi Lamine Kounta] et autres ?
Ah, ce n'est pas la même chose. Nous appartenons à différentes générations. La nôtre est confrontée à beaucoup de difficultés. Eux ils sont d'un temps où le pays était civilisé, il y avait l'apprentissage du français. Ils n'avaient aucune difficulté, c'est ça la différence.
16 :50 : DF : Est-ce qu'il y a une différence entre vos responsabilités en tant que khalife et leurs responsabilités quand ils étaient là. Est-ce que les responsabilités ont diminué ?
Les responsabilités d'un khalife sont très énormes. Vous avez beaucoup de responsabilités et vous êtes aussi responsable de la bonne ou de la mauvaise marche de tout ce qui se fait. Ainsi, vous faites tout pour que cela marche dans le bon sens.
17 :16 : DF : Donc les responsabilités sont les mêmes, il n'y a pas eu de changements ?
Le changement se fait noter dans les besoins. De nos jours, on a plus de besoins parce que c'est vous qui dirigez les gens, vous devez les aider quand vous en avez les moyens, il faut être tolérant envers eux. Dans certaines situations si vous n'êtes pas tolérant, ça ne marchera pas.
17 :46 : DF : Quels sont vos souhaits pour Ndiassane et vos enfants ?
Je souhaiterais que les enfants apprennent afin d'acquérir de la connaissance. Je voudrais qu'ils aient des responsabilités, je voudrais aussi qu'ils aient de bons emplois. Cela peut être dans le commerce, l'élevage ou dans un autre secteur qui leur permette de gagner leur vie sans porter préjudice à quelqu'un…
17 :46 : [un assistant du khalife] : En somme ce qu'il a l'habitude de dire, faire en sorte que ce que les legs des anciens soient bien préservés. Prier pour que rien, rien, ne soit perverti… Oui, c'est cela ! On doit tout faire afin que ce que les anciens nous ont légué ne soit pas perverti par les générations à venir. Je demande souvent qu'on prie afin que les legs soient préservés. Je souhaite aussi que les gens soient unis et vivent en paix. Ou alors s'il y a des malentendus, que les gens reste courtois de sorte que le différend ne soit pas perceptible à étranger qui arrive. Et c'est tout à fait naturel qu'il y ait de la jalousie, c'est dans la nature humaine. Quand vous êtes de la même famille et qu'il y ait un seul qui dirige, c'est normal parfois que les autres soient jaloux de lui. Mais tout cela doit se faire dans la plus grande discrétion.
19 :22 : DF : Que me répondriez-vous si je vous demandais ce qui vous a le plus fait plaisir dans votre vie ?
Ce qui me plait le plus dans ma vie c'est de vivre en paix dans ma famille et que Dieu me donne la force de réaliser tous leurs désirs. Je voudrais qu'ils aient de belles maisons, de belles voitures, et qu'ils entretiennent très bien leurs épouses. Celle-là est la petite fille de Serigne Touba. Serigne Touba est le père de Cheikh Mouhamed Moustapha et Cheikh Mouhamed Moustapha est le père de la mère de celle-ci, Sokhna Amy Mbacké1. Cela il faut pouvoir l'obtenir ailleurs pour avoir deux, trois ou quatre épouses.
20 :18 : DF : Quel est votre mot de la fin ?
Je rends grâce à Dieu et je prie sur le Prophète (PSL), parce que mes camarades n'ont pas ce que j'ai : je vis en paix. Je suis né en 1925, je n'ai pas été confronté à aucune difficultés particulières, j'ai tout. La famille s'entend bien avec moi. Il y a deux villages, l'autre c'est Ndankh qui se trouve derrière Kébémer, ça doit faire à 18 km…28 km….
21 :08 : [un assistant du khalife] Huit kilomètres…
C'est de là-bas d'où est originaire notre grand-père, Cheikh Bounama, qui y fonda la famille. C'est son fils cadet qui est venu s'installer ici et Dieu l'a doté de ce qu'il a eu par la suite. On se mariait entre cousins et cousines, et on ne maltraitait pas nos épouses. On ne les insultait pas, on ne les fatiguait pas non plus, on s'occupait bien d'elles.
21 :45 [un assistant du khalife] Des gens dont les pères sont des parents [des cousins et des cousines] peuvent se marier.
C'est ce qui fait qu'à chaque fois que je scelle une union je dis au mari que si vous battez votre épouse je romps le mariage, si vous l'insultez je romps le mariage. Comme nous nous l'enseigne le coran : « occupez-vous bien de vos épouses ou divorcez les de façon décente ». Le mariage et le divorce sont acceptés dans l'islam. Si vous ne savez pas vous occupez d'une femme retournez la chez ses parents au lieu de la maltraiter. L'islam nous déconseille de maltraiter nos épouses. En tant qu'épouse l'islam vous interdit cela et en tant que guide nous avons une responsabilité vis-à-vis de cela. C'est ce que nous essayons de faire.
Les enfants ne font rien sans demander notre autorisation. Autrefois, on amenait nos enfants en Mauritanie où ils restaient sept à huit ans, voire dix ans, de sorte que quand ils rentraient, ils ne comprenaient plus le wolof. Ils ne parlaient que le maure. Aujourd'hui cela a beaucoup changé parce que les maures ne sont plus sur place, ils n'enseignent plus. C'est pourquoi les enfants restent chez ici et on les envoie au daara ou à l'école.
23 :12 : DF : Merci !
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1 Une femme qui assistait à l'entretien
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Courtesy of Maria Grosz-Ngaté
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Interview conducted in Wolof by Daouda Faye. Translated into French by Gana Ndiaye.
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Date: June 20, 2015
Date Range: 2010-2019
Location: Ndiassane, Thies, Senegal
Format: Audio/mp3
Language: Wolof
Rights Management: For educational use only.
Contributing Institution: Maria Grosz-Ngate; MATRIX: Center for Digital Humanities and Social Sciences at Michigan State University
Contributor: Gana Ndiaye (translator)
Digitizer: Maria Grosz-Ngaté