Contemporary Dynamics of the Bou Kounta Qadiri Community |
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20150619_PapaAbdourahmane Kounta
Contemporary Dynamics of the Bou Kounta Qadiri Community
By Maria Grosz-Ngaté
20150619_PapaAbdourahmane Kounta
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Entretien : Papa Abdou Rahmane Kounta, Ndiassane
00 :04 : Daouda Faye (DF) : Aujourd'hui nous avons le plaisir de recevoir Serigne Abdou Rahmane Kounta dans le cadre du projet que dirige Maria Coulibaly : « la dynamique contemporaine de la Tarikha Kountiyou » de Mame Bou. Bonjour Monsieur !
Papa Abdou Rahmane Kounta : Bonjour !
00 : 21 : DF : Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Tout à fait. Je rends grâce à Dieu et je prie sur son Prophète. Je m'appelle Serigne Abdou Rahmane Kounta mais je suis plus connu sous le nom de Papa Abdou Rahmane Kounta.
00 :46 : DF : Est-ce qu'on peut connaître la place que vous occupez dans la famille ?
Ici à Ndiassane je suis le neveu, c'est-à-dire que c'est ma mère qui est originaire de Ndiassane. Donc j'ai une place chez mon oncle, mon père vient de Ndankh. Pour qu'on puisse mieux cerner les questions que vous aurez à poser plus tard, il faut que je vous explique un peu ma place dans la famille. Ndankh est là où viennent tous les Kountas parce que c'est là où repose Cheikh Bounama. C'est lui qui l'a fondé en 1800. Bou Mouhamed Kounta dit Cheikh Bou, est son dernier fils, Cheikh Bou qui est né après la mort de son père en 1840 a fondé Ndiassane en 1883. Son fils aîné Cheikh Bécaye est son fils ainé ici à Ndiassane. Pour résumer, Cheikh Bécaye est le père de ma mère Aïssatou Bécaye. Cheikh Bou Kounta qui est le fondateur de Ndiassane a un grand frère à Ndankh qu'on appelle Mame Khalifa. Ils sont du même père et de la même mère. Donc quand Cheikh Bou quittait Ndankh pour venir à Ndiassane, il a laissé là-bas son grand frère. C'est ce grand frère qui est le père de Bouna Mame, Bouna Mame est le père de Mouhamed Bouna, et Mouhamed Bouna est mon père. Voici ma place dans la famille. Je pense que c'est clair.
03 :01 : DF : Oui. Est-ce qu'on peut savoir où est-ce que vous êtes né et où vous avez passé votre enfance ?
Je suis né et j'ai grandi à Ndankh. C'est à l'âge de sept ans que mon père m'a amené en Mauritanie. Vous savez, autrefois dans la famille Kounta, quand vous avez un garçon âgé de sept ans, vous l'envoyiez à Badiya, dans la forêt de la Mauritanie pour deux raisons. La première raison est que l'enfant devait apprendre la langue arabe parce que le Coran est écrit en arabe. Ceux qui sont nés ici et qui sont des wolofs et des bambara ne peuvent pas la parler comme les arabes, ce n'est pas possible. C'est ce qui fait que nos parents nous envoyaient en Mauritanie pour qu'on apprenne la langue arabe. La deuxième raison est la mémorisation du Coran et la maitrise parfaite de l'arabe. Je suis donc né et j'ai grandi à Ndankh et on m'a envoyé en Mauritanie à l'âge de sept ans. Je suis retourné à Ndankh à la fin de ma formation.
04 :22 : DF : Quand êtes-vous venu à Ndiassane ?
Quand je suis rentré de la Mauritanie où j'ai fait quatre ans pour la maitrise du Coran, je suis retourné à Ndankh à l'âge de 11 ans et mon père m'a retenu pour me procurer du savoir. Quand il partait en tournée à l'intérieur du pays et dans la sous-région, jusqu'en Côte d'Ivoire, il n'acceptait jamais que l'on se quitte parce qu'il tenait à m'enseigner son savoir – qui est un legs de la famille et qui nous appartient – pour que le jour où je serai à sa place, je puisse assurer la relève convenablement. Après m'avoir enseigné, je suis parti en Algérie avec une bourse, et là-bas j'ai fait une formation dans une école d'agriculture où j'ai fait trois ans et j'y suis sorti comme technicien agricole. C'était en 1978. Je suis revenu et on m'a donné une autre bourse pour l'enseignement supérieur en Irak, à Baghdâd, où j'ai fait quatre ans et je suis sorti comme ingénieur agronome. Quand je suis venu et j'ai commencé à travailler, ma mère se trouvait ici à Ndiassane et mon père à Ndankh. Mon père m'a dit qu'il voulait maintenant que je m'approche de ma mère, c'est ainsi que je suis venu à Ndiassane. Quand je suis venu à Ndiassane, j'ai construit ma maison où j y ai vécu avec ma mère jusqu'à sa mort, mais malheureusement mon père est décédé en premier lieu. C'est comme ça que je suis venu à Ndiassane.
06 :26 : DF : Est-ce qu'on peut savoir comment est-ce que vous avez pu fréquenter l'école française ?
Ce n'est pas ici que j'ai fait l'école française mais en Algérie quand j'y étudiais. On nous avait imposé la langue française parce que nul n'ignore que l'Algérie fut une colonie française. Leur arabe s'enseigne avec le français donc on était tenu d'apprendre le français. C'est de la même manière qu'on nous a imposé l'anglais en Irak. Mon niveau en anglais est faible mais je me débrouille quand même. Par contre, toutes nos études sur l'agriculture se sont faites en arabe. C'est ça ! Il faut que les gens comprennent cela. J'ai travaillé pendant 11 ans dans le gouvernement, j'ai fait mon départ volontaire. C'est l'année dernière que j'ai commencé à percevoir ma retraite. Donc j'ai tout appris en arabe.
07 :40 : DF : Est-ce qu'on peut savoir comment était Ndiassane en tant que village quand vous étiez enfant et quelles sont les transformations que l'on peut noter ?
Vous savez quand Cheikh Bou Mouhamed Kounta fondait Ndiassane, je ne connaissais encore rien, de même que quand Cheikh Bécaye était là. Mais quand Sidy Lamine était là comme le troisième khalife de Ndiassane, Cheikh Sidy Lamine Bou, tout visiteur pouvait constater que Ndiassane avait évolué par rapport aux autres villages du Sénégal. Parce que du temps de Cheikh Bou Mouhamed, il est décédé en 1914, donc avant 1914, le Sénégal était autre chose. A l'époque il avait posé des tuiles ici. A ce temps-là, il était très difficile de voir des maisons en tuiles dans les villages. C'est ce qui a continué jusqu'à l'arrivée de Cheikh Bécaye. Je me rappelle, il y a des carreaux que vous verrez aujourd'hui à la ‘grande maison' [celle du Khalife], ils venaient des Etats Unis.
09 :14 : DF : Qui est-ce qui les avait amenés ici ?
Des blancs ! Parce qu'il y avait des blancs qui coopéraient avec Cheikh Bou Mouhamed Kounta. Et quand ce dernier est décédé, les blancs ont continué à coopérer avec Cheikh Bécaye qui a commandé des carreaux livrés par bateau. Ces carreaux là sont toujours ici et vous pouvez même les voir si vous le souhaitez. Vous saurez que ce ne sont pas des carreaux qui existent ici au Sénégal et là où je vous parle j'ai 64 ans. Donc c'est un village qui était très développé par rapport aux autres villages de l'époque. Le développement que l'on peut noter aujourd'hui ce n'est pas en fonction des constructions parce qu'on avait des tuiles qui venaient des Etats Unis, mais c'est peut-être par rapport au lotissement. Parce qu'aujourd'hui la cité est lotie et est devenue plus vaste. On ne peut que parler de ce lotissement en matière de modernisation mais à part cela, il n y a rien d'autre. A l'époque aussi, il y avait le lac, les gens n'avaient besoin d'aller chercher quoi que ce soit, tout se cultivait ici. Au lieu d'aller au marché les gens se rendaient tout simplement au lac et venaient préparer à manger. Donc on cultivait du riz et toutes sortes de légumes. Quand les gens ont commencé à creuser des puits, à brancher des robinets, il fallait faire attention. Il y a eu de l'eau mais au départ il n'en avait pas du tout, à l'époque de Cheikh Bou Kounta qui était là avec sa famille. C'est ainsi qu'il a prié Dieu pour avoir de l'eau et le Tout Puissant a exaucé ses prières. Maintenant, puisque les temps ont changé, il est plus plutôt de robinets. Donc l'évolution se résume à cela, à des routes goudronnées à Ndiassane… les gens construisent des villas modernes.
11 :44 : DF : A propos de ces blancs, est-ce qu'ils étaient venus par le biais d'une coopération ou est-ce qu'ils appréciaient seulement le marabout ?
Vous savez les blancs sont venus au Sénégal avec beaucoup de stratégies. Ils ont trouvé des gens ici et ils ont mis sur pied une stratégie qui leur permettait d'y évoluer. Les blancs négociaient avec Cheikh Bou Kounta. Par exemple, quand les blancs ont appelé les marabouts pour les rencontrer à Saint Louis, Cheikh Bou Kounta est allé prendre part à la rencontre. C'est à cette rencontre que Touba a obtenu son statut, de même que Tivaoune et Ndiassane. C'est là que Cheikh Bou Kounta s'est dit que s'il ne se maitrisait pas, les blancs allaient tout lui prendre, y compris sa religion, et il ne pouvait pas accepter cela. C'est là qu'il s'est mis à travailler et les blancs l'ont remarqué et sont venu vers lui non seulement pour le nombre de gens qui le suivaient mais aussi pour sa richesse. Parce que nul n'ignore que quand il y avait la peste, les gens étaient très démunis, n'empêche les blancs étaient là au moment où les gens mouraient. Donc les blancs voulaient qu'il leur prête de l'argent, mais au moment du remboursement il leur disait qu'il n'avait pas besoin d'argent mais préférait la terre que les blancs avaient prise. C'est pourquoi il a des titres fonciers. Si vous allez à Lam-Lam, à Dafe, à Thiawoune Bambara, à Mbambara Chérif, à Babacar Tounde… tout ça c'est des titres fonciers qui appartiennent à Cheikh Bou Kounta. C'est ce qui explique donc sa coopération avec ces blancs qui avaient besoin d'argent. Ensuite, les rois athées qui étaient là et qui possédaient des terres avaient besoin de ses prières. Il leur demandait des terres après avoir formulé des prières pour eux. Les blancs ont amené avec eux ces talismans qui vous protègent contre les balles pendant la guerre en Europe. C'est pourquoi, quand on parle de marabouts du Sénégal, on cite toujours Bou Kounta, sa réflexion, sa démarche et sa stratégie. Tout le monde voulait le rencontrer. Ainsi, les blancs qui construisaient les maisons des gouverneurs et des préfets le connaissaient et quand il voulait faire une commande il leurs en parlait.
14 :37 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler des relations qui existent entre les tarikhas ?
Je peux vous dire ce que j'en sais. Elles ont une bonne relation parce que toutes les tarikhas viennent de la même source car ce monde, ainsi que tout ce qui y vit, appartient à Dieu. Les gens doivent comprendre qu'il n y a pas seulement un chemin qui mène vers Allah, mais plusieurs chemins et tout cela dans la voix tracée par Dieu. Donc les tarikhas entretiennent de bonnes relations. Certes, la khadriya est la première tarikha, ça tout le monde le sait. Je ne donne que le nom de Cheikh Bou Kounta qui est plus âgé que Mame El Hadji Malick de sept ans et de 14 ans que Serigne Touba. Donc la khadriya est la première tarikha au Sénégal. Du point de vue historique, sur l'origine des tarikhas, la khadriya est la première tarikha. Toutes les autres tarikhas sont issues de la khadriya parce qu'elles sont toutes passées par la khadriya. C'est le cas de la tidianiya et du mouridisme… Les relations ne peuvent être que de bonnes relations parce qu'on vénère le même Dieu, on suit le même prophète et on a la même source. C'est quelque chose que je magnifie parce que Dieu est unique, on prêche la même chose, donc il ne peut pas y avoir de divergence. Ndiassane était derrière Tivaoune et Tivaoune aussi derrière Ndiassane. C'est-à-dire qu'on consultait Ndiassane sur tout ce qui se faisait à Tivaoune, Ndiassane aussi consultait Touba et Tivaoune avant de prendre n'importe qu'elle décision sur quoi que ce soit. C'est pourquoi Mame El Hadji Malick venait les vendredis à Ndiassane pour rendre visite à Mame Cheikh Bou. Au moment de partir, Cheikh Bou demandait à un disciple de donner à Mame El Hadji Malick son cheval. Mais Mame El Hadji Malick par respect ne chevaucher jamais le cheval de Cheikh Bou. Il le prenait par la corde jusqu'à la sortie du village et demandait au disciple de retourner avec le cheval. Donc c'est ce respect et cette considération mutuelle qui existaient toujours entre eux. C'est pourquoi son fils, Serigne Babacar Sy, a épousé la fille de Cheikh Bou Kounta qui s'appelle Mariama. Si vous allez à Tivaoune aujourd'hui, il y a une maison qui s'appelle Ndiassane parce que Sokhna Marème Sidy Kounta, qui est la fille de Cheikh Bou Kounta, était l'épouse de Serigne Babacar. Je pense qu'une relation ne saurait être plus cordiale que ça. En plus, le père de Mame El Hadji Malick, Mame Ousmane Sy qui habite à Gaya, était khadre. Il n'a jamais été tidiane mais son fils, Mame El Hadji Malick, est tidiane. C'est comme cela que s'est établie notre relation avec les tidianes.
On a aussi les mêmes relations avec les mourides. Tout le monde sait que tous les écrits et paroles de Serigne Touba renvoient à Cheikh Abdou Khadre Diéyelany. Quand les blancs sont venus, ils l'ont exilé au Gabon, sa deuxième sortie du pays l'a envoyé en Mauritanie. Qui l'avait accueilli ? Cheikh Sidiya [Cheikh Sidy Yahya]. Qui est Cheikh Sidy Yahya ? Il a été éduqué par Cheikh Sidy Mokhtar Kountiyou de Boulonwar. Ce dernier lui avait légué la tarikha khadriya. Si Serigne Touba part à Boutilimit chez Cheikh Sidya et ce dernier fut disciple de Cheikh Sidy Mokhtar Kountiyou, l'aïeul des Kountas, donc cette relation ne peut être qu'une solide relation. C'est comme cela qu'ils ont vécu jusqu'à ce qu'on l'exile au Gabon et il avait envoyé un disciple du nom de Mafégui Ndiaye pour qu'il dise à Cheikh Bou que les blancs l'exilaient au Gabon. Cheikh demanda à l'envoyé de rendre grâce à Dieu parce que Cheikh Ahmadou Bamba avait demandé quelque chose à Dieu et ses souffrances étaient le prix à payer. C'est comme cela que s'établissait leur relation. Ensuite, Sokhna Astou Kounta, fille de Cheikh Bou Mouhamed Kounta, a été épousée par Serigne Moustapha Mbacké, le fils aîné de Serigne Touba. Aujourd'hui, le Khalife, El Hadji Mame Bou, sa deuxième épouse est la fille de Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma, Sokhna Amineta Mbacké. Donc tout cela est le résultat d'une bonne union et d'une bonne relation.
21 :03 : DF : On remarque que lors des gamous le gouvernement envoie une délégation, comme il le fait aussi avec les autres familles religieuses, c'est à quelle fin ?
On dit que les gouvernants ne font rien gratuitement. Ils le font pour la stabilité du pays mais ils préparent aussi l'avenir. Parce que tout le monde sait qu'au Sénégal les marabouts sont très influents envers les populations. Les khadres, les mourides et les tidianes sont très représentatifs dans le pays. Et c'est une population qui n'obéit que les marabouts. Depuis le Président Senghor en passant par Abdou Diouf jusqu'à nos jours, du temps des colons jusqu'à nos jours, les gens ont toujours coopéré avec les marabouts. Quand Paul Marty écrivait l'histoire du Sénégal et celle des tarikhas, il a conseillé aux blancs que s'ils désirent rester en Afrique et surtout au Sénégal, il faut qu'ils coopèrent avec les marabouts parce que ce sont des gens très influents. C'est pourquoi, tous les présidents du Sénégal ont compris qu'ils avaient des obligations envers les marabouts. Lors des gamous, il y a du monde chez les marabouts, donc il leur faut de la sécurité, il faut qu'ils se nourrissent, il faut qu'ils boivent aussi. Et ces personnes-là ne prient que pour la paix et le développement du pays lors des gamous. C'est pourquoi le gouvernement nous aide et vient célébrer les gamous avec nous. Et quand ils viennent, il faut qu'on les remercie parce que c'est ce qu'ils attendent de nous, et lors des campagnes électorales le gouvernement se fondera sur ces remerciements pour battre campagne.
23 :28 : DF : Est-ce qu'ils interviennent dans d'autres domaines ?
Effectivement, cela dépend du besoin qui se présente. Parfois, l'Etat envoie des médecins chez les marabouts pour qu'ils fassent des consultations gratuites. Au Sénégal, on n'a pas un Etat qui est éloigné de sa population, et nous en remercions le Tout Puissant. On n'a aucun problème avec eux et à chaque fois qu'on fait appel à eux, ils interviennent.
24 :21 : DF : Quelles sont vos préoccupations ?
Je pense que j'ai un devoir envers ma tarikha. Et si la tarikha est là où il est aujourd'hui, c'est parce qu'il y avait des gens qui y ont œuvré pour cela. Leur travail ne consistait qu'à propager les enseignements de Cheikh Bou, qu'à éduquer les gens selon les préceptes de l'Islam. Donc ma préoccupation majeure est que les Kountas aient le respect dû à leur rang. Elle est aussi de propager la tarikha et cela ne saurait se faire si les enfants n'étudient pas. Il faut qu'ils aient de la connaissance. Cette connaissance peut-être française ou même chinoise… n'importe quelle connaissance. C'est dans cette perspective que j'ai orienté le marabout vers une plus grande coopération avec la Mauritanie. Il y a toujours eu coopération certes mais celle dont je parle est plus conforme aux réalités de notre génération et les relations qu'on entretiendra avec eux seront conformes aux exigences du moment. C'est pourquoi trente-deux autorités, parmi eux il y a des colonels, des ministres et des députés, ont quitté la Mauritanie pour une visite de deux jours au khalife. On a discuté et on est tombé d'accord sur des points. Quand ils sont partis, ils ont invité le marabout en Mauritanie. Il voulait s'y rendre mais malheureusement sa santé ne le lui a pas permis. C'est pourquoi il a envoyé une délégation. J'ai joué un rôle là-bas, parce que quand je me suis entretenu avec le président de la Mauritanie, je lui ai fait part de nos projets, des enfants qui veulent aller étudier, en plus du daara que nous construisons. En outre, je me suis débrouillé pour aller en Algérie pour un colloque international et à mon retour j'ai décroché cinq bourses pour l'enseignement supérieur, pour que les enfants puissent aller là-bas un jour pour poursuivre leurs études. J'ai aussi fait de telle sorte qu'au colloque qui se tiendra en Algérie au mois d'Août on m'a donné un quota de 40 personnes, à qui ils ont payé le billet et tout pour qu'ils puissent y participer. Il faut prendre contact avec les gens pour ensuite nouer des relations avec eux et j'en ai fait mon objectif.
27 : 15 : DF : Qu'est-ce que vous souhaitez pour vos enfants ?
Mon devoir envers mes enfants est de les éduquer, parce que quiconque envisage de diriger une foule doit éduquer ses enfants en premier lieu. Mais on vous demande aussi de nous y aider, vous qui les avez dans les salles de classes.1 (Rires)
27 :35 : DF : Qu'est-ce qui vous plait le plus dans votre vie ?
C'est quand je vois les enfants d'aujourd'hui perpétuer les enseignements de nos aïeuls. Je me sens très fier quand je vois cela. Par exemple, quand je vois un jeune apprendre le Coran ou rendre grâce à Dieu, ou se diriger vers la mosquée ou quelqu'un qui ne dit que du bien, c'est ce qui me plait le plus dans la vie.
28 :04 : DF : Qu'est-ce qui vous fait le plus mal ?
Beaucoup de choses ! Ce qui me fait le plus mal est devenu comme une maladie qui a gagné tout un pays, toute cité. Malheureusement, les gens parlent mal, les femmes ne se voilent plus, les enfants n'ont plus d'égards vis-à-vis des autres. C'est cela !
28 :35 : DF : Quel est votre mot de la fin ?
Je remercie notre sœur Mariama Coulibaly. Je lui souhaite aussi beaucoup de réussite. Nous prions pour qu'elle ait beaucoup de succès dans ce qu'elle fait car c'est d'une grande utilité pour la génération future, quelle que soit son origine car la connaissance est toujours utile…même le chinois qui est en Chine peut le lire et en tirer quelque chose. Ce qu'elle fait est donc utile à toute la famille Kounta et ses disciples, elle le fait aussi pour tout le Sénégal et l'Afrique en même temps. Nous lui souhaitons une réussite totale car elle œuvre pour la paix dans le monde entier. Si une famille a œuvré dans le sens d'une pratique de la religion, a donné une ligne de conduite, façonné des comportements exemplaires, faire connaitre cette famille c'est œuvrer pour la paix. Voilà ce que je tenais dire. Je souhaite à vous et à tout le monde un bon mois de ramadan. Que Dieu fasse que nous achevions le jeûne en paix.
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1 Monsieur Kounta fait allusion au fait que Monsieur Faye est professeur au Collège de Ndiassane.
00 :04 : Daouda Faye (DF) : Aujourd'hui nous avons le plaisir de recevoir Serigne Abdou Rahmane Kounta dans le cadre du projet que dirige Maria Coulibaly : « la dynamique contemporaine de la Tarikha Kountiyou » de Mame Bou. Bonjour Monsieur !
Papa Abdou Rahmane Kounta : Bonjour !
00 : 21 : DF : Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Tout à fait. Je rends grâce à Dieu et je prie sur son Prophète. Je m'appelle Serigne Abdou Rahmane Kounta mais je suis plus connu sous le nom de Papa Abdou Rahmane Kounta.
00 :46 : DF : Est-ce qu'on peut connaître la place que vous occupez dans la famille ?
Ici à Ndiassane je suis le neveu, c'est-à-dire que c'est ma mère qui est originaire de Ndiassane. Donc j'ai une place chez mon oncle, mon père vient de Ndankh. Pour qu'on puisse mieux cerner les questions que vous aurez à poser plus tard, il faut que je vous explique un peu ma place dans la famille. Ndankh est là où viennent tous les Kountas parce que c'est là où repose Cheikh Bounama. C'est lui qui l'a fondé en 1800. Bou Mouhamed Kounta dit Cheikh Bou, est son dernier fils, Cheikh Bou qui est né après la mort de son père en 1840 a fondé Ndiassane en 1883. Son fils aîné Cheikh Bécaye est son fils ainé ici à Ndiassane. Pour résumer, Cheikh Bécaye est le père de ma mère Aïssatou Bécaye. Cheikh Bou Kounta qui est le fondateur de Ndiassane a un grand frère à Ndankh qu'on appelle Mame Khalifa. Ils sont du même père et de la même mère. Donc quand Cheikh Bou quittait Ndankh pour venir à Ndiassane, il a laissé là-bas son grand frère. C'est ce grand frère qui est le père de Bouna Mame, Bouna Mame est le père de Mouhamed Bouna, et Mouhamed Bouna est mon père. Voici ma place dans la famille. Je pense que c'est clair.
03 :01 : DF : Oui. Est-ce qu'on peut savoir où est-ce que vous êtes né et où vous avez passé votre enfance ?
Je suis né et j'ai grandi à Ndankh. C'est à l'âge de sept ans que mon père m'a amené en Mauritanie. Vous savez, autrefois dans la famille Kounta, quand vous avez un garçon âgé de sept ans, vous l'envoyiez à Badiya, dans la forêt de la Mauritanie pour deux raisons. La première raison est que l'enfant devait apprendre la langue arabe parce que le Coran est écrit en arabe. Ceux qui sont nés ici et qui sont des wolofs et des bambara ne peuvent pas la parler comme les arabes, ce n'est pas possible. C'est ce qui fait que nos parents nous envoyaient en Mauritanie pour qu'on apprenne la langue arabe. La deuxième raison est la mémorisation du Coran et la maitrise parfaite de l'arabe. Je suis donc né et j'ai grandi à Ndankh et on m'a envoyé en Mauritanie à l'âge de sept ans. Je suis retourné à Ndankh à la fin de ma formation.
04 :22 : DF : Quand êtes-vous venu à Ndiassane ?
Quand je suis rentré de la Mauritanie où j'ai fait quatre ans pour la maitrise du Coran, je suis retourné à Ndankh à l'âge de 11 ans et mon père m'a retenu pour me procurer du savoir. Quand il partait en tournée à l'intérieur du pays et dans la sous-région, jusqu'en Côte d'Ivoire, il n'acceptait jamais que l'on se quitte parce qu'il tenait à m'enseigner son savoir – qui est un legs de la famille et qui nous appartient – pour que le jour où je serai à sa place, je puisse assurer la relève convenablement. Après m'avoir enseigné, je suis parti en Algérie avec une bourse, et là-bas j'ai fait une formation dans une école d'agriculture où j'ai fait trois ans et j'y suis sorti comme technicien agricole. C'était en 1978. Je suis revenu et on m'a donné une autre bourse pour l'enseignement supérieur en Irak, à Baghdâd, où j'ai fait quatre ans et je suis sorti comme ingénieur agronome. Quand je suis venu et j'ai commencé à travailler, ma mère se trouvait ici à Ndiassane et mon père à Ndankh. Mon père m'a dit qu'il voulait maintenant que je m'approche de ma mère, c'est ainsi que je suis venu à Ndiassane. Quand je suis venu à Ndiassane, j'ai construit ma maison où j y ai vécu avec ma mère jusqu'à sa mort, mais malheureusement mon père est décédé en premier lieu. C'est comme ça que je suis venu à Ndiassane.
06 :26 : DF : Est-ce qu'on peut savoir comment est-ce que vous avez pu fréquenter l'école française ?
Ce n'est pas ici que j'ai fait l'école française mais en Algérie quand j'y étudiais. On nous avait imposé la langue française parce que nul n'ignore que l'Algérie fut une colonie française. Leur arabe s'enseigne avec le français donc on était tenu d'apprendre le français. C'est de la même manière qu'on nous a imposé l'anglais en Irak. Mon niveau en anglais est faible mais je me débrouille quand même. Par contre, toutes nos études sur l'agriculture se sont faites en arabe. C'est ça ! Il faut que les gens comprennent cela. J'ai travaillé pendant 11 ans dans le gouvernement, j'ai fait mon départ volontaire. C'est l'année dernière que j'ai commencé à percevoir ma retraite. Donc j'ai tout appris en arabe.
07 :40 : DF : Est-ce qu'on peut savoir comment était Ndiassane en tant que village quand vous étiez enfant et quelles sont les transformations que l'on peut noter ?
Vous savez quand Cheikh Bou Mouhamed Kounta fondait Ndiassane, je ne connaissais encore rien, de même que quand Cheikh Bécaye était là. Mais quand Sidy Lamine était là comme le troisième khalife de Ndiassane, Cheikh Sidy Lamine Bou, tout visiteur pouvait constater que Ndiassane avait évolué par rapport aux autres villages du Sénégal. Parce que du temps de Cheikh Bou Mouhamed, il est décédé en 1914, donc avant 1914, le Sénégal était autre chose. A l'époque il avait posé des tuiles ici. A ce temps-là, il était très difficile de voir des maisons en tuiles dans les villages. C'est ce qui a continué jusqu'à l'arrivée de Cheikh Bécaye. Je me rappelle, il y a des carreaux que vous verrez aujourd'hui à la ‘grande maison' [celle du Khalife], ils venaient des Etats Unis.
09 :14 : DF : Qui est-ce qui les avait amenés ici ?
Des blancs ! Parce qu'il y avait des blancs qui coopéraient avec Cheikh Bou Mouhamed Kounta. Et quand ce dernier est décédé, les blancs ont continué à coopérer avec Cheikh Bécaye qui a commandé des carreaux livrés par bateau. Ces carreaux là sont toujours ici et vous pouvez même les voir si vous le souhaitez. Vous saurez que ce ne sont pas des carreaux qui existent ici au Sénégal et là où je vous parle j'ai 64 ans. Donc c'est un village qui était très développé par rapport aux autres villages de l'époque. Le développement que l'on peut noter aujourd'hui ce n'est pas en fonction des constructions parce qu'on avait des tuiles qui venaient des Etats Unis, mais c'est peut-être par rapport au lotissement. Parce qu'aujourd'hui la cité est lotie et est devenue plus vaste. On ne peut que parler de ce lotissement en matière de modernisation mais à part cela, il n y a rien d'autre. A l'époque aussi, il y avait le lac, les gens n'avaient besoin d'aller chercher quoi que ce soit, tout se cultivait ici. Au lieu d'aller au marché les gens se rendaient tout simplement au lac et venaient préparer à manger. Donc on cultivait du riz et toutes sortes de légumes. Quand les gens ont commencé à creuser des puits, à brancher des robinets, il fallait faire attention. Il y a eu de l'eau mais au départ il n'en avait pas du tout, à l'époque de Cheikh Bou Kounta qui était là avec sa famille. C'est ainsi qu'il a prié Dieu pour avoir de l'eau et le Tout Puissant a exaucé ses prières. Maintenant, puisque les temps ont changé, il est plus plutôt de robinets. Donc l'évolution se résume à cela, à des routes goudronnées à Ndiassane… les gens construisent des villas modernes.
11 :44 : DF : A propos de ces blancs, est-ce qu'ils étaient venus par le biais d'une coopération ou est-ce qu'ils appréciaient seulement le marabout ?
Vous savez les blancs sont venus au Sénégal avec beaucoup de stratégies. Ils ont trouvé des gens ici et ils ont mis sur pied une stratégie qui leur permettait d'y évoluer. Les blancs négociaient avec Cheikh Bou Kounta. Par exemple, quand les blancs ont appelé les marabouts pour les rencontrer à Saint Louis, Cheikh Bou Kounta est allé prendre part à la rencontre. C'est à cette rencontre que Touba a obtenu son statut, de même que Tivaoune et Ndiassane. C'est là que Cheikh Bou Kounta s'est dit que s'il ne se maitrisait pas, les blancs allaient tout lui prendre, y compris sa religion, et il ne pouvait pas accepter cela. C'est là qu'il s'est mis à travailler et les blancs l'ont remarqué et sont venu vers lui non seulement pour le nombre de gens qui le suivaient mais aussi pour sa richesse. Parce que nul n'ignore que quand il y avait la peste, les gens étaient très démunis, n'empêche les blancs étaient là au moment où les gens mouraient. Donc les blancs voulaient qu'il leur prête de l'argent, mais au moment du remboursement il leur disait qu'il n'avait pas besoin d'argent mais préférait la terre que les blancs avaient prise. C'est pourquoi il a des titres fonciers. Si vous allez à Lam-Lam, à Dafe, à Thiawoune Bambara, à Mbambara Chérif, à Babacar Tounde… tout ça c'est des titres fonciers qui appartiennent à Cheikh Bou Kounta. C'est ce qui explique donc sa coopération avec ces blancs qui avaient besoin d'argent. Ensuite, les rois athées qui étaient là et qui possédaient des terres avaient besoin de ses prières. Il leur demandait des terres après avoir formulé des prières pour eux. Les blancs ont amené avec eux ces talismans qui vous protègent contre les balles pendant la guerre en Europe. C'est pourquoi, quand on parle de marabouts du Sénégal, on cite toujours Bou Kounta, sa réflexion, sa démarche et sa stratégie. Tout le monde voulait le rencontrer. Ainsi, les blancs qui construisaient les maisons des gouverneurs et des préfets le connaissaient et quand il voulait faire une commande il leurs en parlait.
14 :37 : DF : Est-ce que vous pouvez nous parler des relations qui existent entre les tarikhas ?
Je peux vous dire ce que j'en sais. Elles ont une bonne relation parce que toutes les tarikhas viennent de la même source car ce monde, ainsi que tout ce qui y vit, appartient à Dieu. Les gens doivent comprendre qu'il n y a pas seulement un chemin qui mène vers Allah, mais plusieurs chemins et tout cela dans la voix tracée par Dieu. Donc les tarikhas entretiennent de bonnes relations. Certes, la khadriya est la première tarikha, ça tout le monde le sait. Je ne donne que le nom de Cheikh Bou Kounta qui est plus âgé que Mame El Hadji Malick de sept ans et de 14 ans que Serigne Touba. Donc la khadriya est la première tarikha au Sénégal. Du point de vue historique, sur l'origine des tarikhas, la khadriya est la première tarikha. Toutes les autres tarikhas sont issues de la khadriya parce qu'elles sont toutes passées par la khadriya. C'est le cas de la tidianiya et du mouridisme… Les relations ne peuvent être que de bonnes relations parce qu'on vénère le même Dieu, on suit le même prophète et on a la même source. C'est quelque chose que je magnifie parce que Dieu est unique, on prêche la même chose, donc il ne peut pas y avoir de divergence. Ndiassane était derrière Tivaoune et Tivaoune aussi derrière Ndiassane. C'est-à-dire qu'on consultait Ndiassane sur tout ce qui se faisait à Tivaoune, Ndiassane aussi consultait Touba et Tivaoune avant de prendre n'importe qu'elle décision sur quoi que ce soit. C'est pourquoi Mame El Hadji Malick venait les vendredis à Ndiassane pour rendre visite à Mame Cheikh Bou. Au moment de partir, Cheikh Bou demandait à un disciple de donner à Mame El Hadji Malick son cheval. Mais Mame El Hadji Malick par respect ne chevaucher jamais le cheval de Cheikh Bou. Il le prenait par la corde jusqu'à la sortie du village et demandait au disciple de retourner avec le cheval. Donc c'est ce respect et cette considération mutuelle qui existaient toujours entre eux. C'est pourquoi son fils, Serigne Babacar Sy, a épousé la fille de Cheikh Bou Kounta qui s'appelle Mariama. Si vous allez à Tivaoune aujourd'hui, il y a une maison qui s'appelle Ndiassane parce que Sokhna Marème Sidy Kounta, qui est la fille de Cheikh Bou Kounta, était l'épouse de Serigne Babacar. Je pense qu'une relation ne saurait être plus cordiale que ça. En plus, le père de Mame El Hadji Malick, Mame Ousmane Sy qui habite à Gaya, était khadre. Il n'a jamais été tidiane mais son fils, Mame El Hadji Malick, est tidiane. C'est comme cela que s'est établie notre relation avec les tidianes.
On a aussi les mêmes relations avec les mourides. Tout le monde sait que tous les écrits et paroles de Serigne Touba renvoient à Cheikh Abdou Khadre Diéyelany. Quand les blancs sont venus, ils l'ont exilé au Gabon, sa deuxième sortie du pays l'a envoyé en Mauritanie. Qui l'avait accueilli ? Cheikh Sidiya [Cheikh Sidy Yahya]. Qui est Cheikh Sidy Yahya ? Il a été éduqué par Cheikh Sidy Mokhtar Kountiyou de Boulonwar. Ce dernier lui avait légué la tarikha khadriya. Si Serigne Touba part à Boutilimit chez Cheikh Sidya et ce dernier fut disciple de Cheikh Sidy Mokhtar Kountiyou, l'aïeul des Kountas, donc cette relation ne peut être qu'une solide relation. C'est comme cela qu'ils ont vécu jusqu'à ce qu'on l'exile au Gabon et il avait envoyé un disciple du nom de Mafégui Ndiaye pour qu'il dise à Cheikh Bou que les blancs l'exilaient au Gabon. Cheikh demanda à l'envoyé de rendre grâce à Dieu parce que Cheikh Ahmadou Bamba avait demandé quelque chose à Dieu et ses souffrances étaient le prix à payer. C'est comme cela que s'établissait leur relation. Ensuite, Sokhna Astou Kounta, fille de Cheikh Bou Mouhamed Kounta, a été épousée par Serigne Moustapha Mbacké, le fils aîné de Serigne Touba. Aujourd'hui, le Khalife, El Hadji Mame Bou, sa deuxième épouse est la fille de Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma, Sokhna Amineta Mbacké. Donc tout cela est le résultat d'une bonne union et d'une bonne relation.
21 :03 : DF : On remarque que lors des gamous le gouvernement envoie une délégation, comme il le fait aussi avec les autres familles religieuses, c'est à quelle fin ?
On dit que les gouvernants ne font rien gratuitement. Ils le font pour la stabilité du pays mais ils préparent aussi l'avenir. Parce que tout le monde sait qu'au Sénégal les marabouts sont très influents envers les populations. Les khadres, les mourides et les tidianes sont très représentatifs dans le pays. Et c'est une population qui n'obéit que les marabouts. Depuis le Président Senghor en passant par Abdou Diouf jusqu'à nos jours, du temps des colons jusqu'à nos jours, les gens ont toujours coopéré avec les marabouts. Quand Paul Marty écrivait l'histoire du Sénégal et celle des tarikhas, il a conseillé aux blancs que s'ils désirent rester en Afrique et surtout au Sénégal, il faut qu'ils coopèrent avec les marabouts parce que ce sont des gens très influents. C'est pourquoi, tous les présidents du Sénégal ont compris qu'ils avaient des obligations envers les marabouts. Lors des gamous, il y a du monde chez les marabouts, donc il leur faut de la sécurité, il faut qu'ils se nourrissent, il faut qu'ils boivent aussi. Et ces personnes-là ne prient que pour la paix et le développement du pays lors des gamous. C'est pourquoi le gouvernement nous aide et vient célébrer les gamous avec nous. Et quand ils viennent, il faut qu'on les remercie parce que c'est ce qu'ils attendent de nous, et lors des campagnes électorales le gouvernement se fondera sur ces remerciements pour battre campagne.
23 :28 : DF : Est-ce qu'ils interviennent dans d'autres domaines ?
Effectivement, cela dépend du besoin qui se présente. Parfois, l'Etat envoie des médecins chez les marabouts pour qu'ils fassent des consultations gratuites. Au Sénégal, on n'a pas un Etat qui est éloigné de sa population, et nous en remercions le Tout Puissant. On n'a aucun problème avec eux et à chaque fois qu'on fait appel à eux, ils interviennent.
24 :21 : DF : Quelles sont vos préoccupations ?
Je pense que j'ai un devoir envers ma tarikha. Et si la tarikha est là où il est aujourd'hui, c'est parce qu'il y avait des gens qui y ont œuvré pour cela. Leur travail ne consistait qu'à propager les enseignements de Cheikh Bou, qu'à éduquer les gens selon les préceptes de l'Islam. Donc ma préoccupation majeure est que les Kountas aient le respect dû à leur rang. Elle est aussi de propager la tarikha et cela ne saurait se faire si les enfants n'étudient pas. Il faut qu'ils aient de la connaissance. Cette connaissance peut-être française ou même chinoise… n'importe quelle connaissance. C'est dans cette perspective que j'ai orienté le marabout vers une plus grande coopération avec la Mauritanie. Il y a toujours eu coopération certes mais celle dont je parle est plus conforme aux réalités de notre génération et les relations qu'on entretiendra avec eux seront conformes aux exigences du moment. C'est pourquoi trente-deux autorités, parmi eux il y a des colonels, des ministres et des députés, ont quitté la Mauritanie pour une visite de deux jours au khalife. On a discuté et on est tombé d'accord sur des points. Quand ils sont partis, ils ont invité le marabout en Mauritanie. Il voulait s'y rendre mais malheureusement sa santé ne le lui a pas permis. C'est pourquoi il a envoyé une délégation. J'ai joué un rôle là-bas, parce que quand je me suis entretenu avec le président de la Mauritanie, je lui ai fait part de nos projets, des enfants qui veulent aller étudier, en plus du daara que nous construisons. En outre, je me suis débrouillé pour aller en Algérie pour un colloque international et à mon retour j'ai décroché cinq bourses pour l'enseignement supérieur, pour que les enfants puissent aller là-bas un jour pour poursuivre leurs études. J'ai aussi fait de telle sorte qu'au colloque qui se tiendra en Algérie au mois d'Août on m'a donné un quota de 40 personnes, à qui ils ont payé le billet et tout pour qu'ils puissent y participer. Il faut prendre contact avec les gens pour ensuite nouer des relations avec eux et j'en ai fait mon objectif.
27 : 15 : DF : Qu'est-ce que vous souhaitez pour vos enfants ?
Mon devoir envers mes enfants est de les éduquer, parce que quiconque envisage de diriger une foule doit éduquer ses enfants en premier lieu. Mais on vous demande aussi de nous y aider, vous qui les avez dans les salles de classes.1 (Rires)
27 :35 : DF : Qu'est-ce qui vous plait le plus dans votre vie ?
C'est quand je vois les enfants d'aujourd'hui perpétuer les enseignements de nos aïeuls. Je me sens très fier quand je vois cela. Par exemple, quand je vois un jeune apprendre le Coran ou rendre grâce à Dieu, ou se diriger vers la mosquée ou quelqu'un qui ne dit que du bien, c'est ce qui me plait le plus dans la vie.
28 :04 : DF : Qu'est-ce qui vous fait le plus mal ?
Beaucoup de choses ! Ce qui me fait le plus mal est devenu comme une maladie qui a gagné tout un pays, toute cité. Malheureusement, les gens parlent mal, les femmes ne se voilent plus, les enfants n'ont plus d'égards vis-à-vis des autres. C'est cela !
28 :35 : DF : Quel est votre mot de la fin ?
Je remercie notre sœur Mariama Coulibaly. Je lui souhaite aussi beaucoup de réussite. Nous prions pour qu'elle ait beaucoup de succès dans ce qu'elle fait car c'est d'une grande utilité pour la génération future, quelle que soit son origine car la connaissance est toujours utile…même le chinois qui est en Chine peut le lire et en tirer quelque chose. Ce qu'elle fait est donc utile à toute la famille Kounta et ses disciples, elle le fait aussi pour tout le Sénégal et l'Afrique en même temps. Nous lui souhaitons une réussite totale car elle œuvre pour la paix dans le monde entier. Si une famille a œuvré dans le sens d'une pratique de la religion, a donné une ligne de conduite, façonné des comportements exemplaires, faire connaitre cette famille c'est œuvrer pour la paix. Voilà ce que je tenais dire. Je souhaite à vous et à tout le monde un bon mois de ramadan. Que Dieu fasse que nous achevions le jeûne en paix.
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1 Monsieur Kounta fait allusion au fait que Monsieur Faye est professeur au Collège de Ndiassane.
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Courtesy of Maria Grosz-Ngaté
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Interview conducted in Wolof by Daouda Faye. Translated into French by Gana Ndiaye.
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Date: June 19, 2015
Date Range: 2010-2019
Location: Ndiassane, Thies, Senegal
Format: Audio/mp3
Language: Wolof
Rights Management: For educational use only.
Contributing Institution: Maria Grosz-Ngate; MATRIX: Center for Digital Humanities and Social Sciences at Michigan State University
Contributor: Gana Ndiaye
Digitizer: Maria Grosz-Ngaté