Contemporary Dynamics of the Bou Kounta Qadiri Community
By Maria Grosz-Ngaté
20150618_AbdouMbaye
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Entretien : Abdou Mbaye, Ndiassane, le 18 Juin 2015
[00 :55 : Maria Grosz-Ngaté: On peut commencer.]
00 :56 : Doauda Faye (DF) : Ndiassane, le 17.06.2015 à 11heures. On a le plaisir de nous entretenir aujourd'hui avec notre père Abdou Mbaye. Nous allons discuter de la dynamique contemporaine de la tarikha khadriya de Ndiassane. Bonjour Monsieur!
Abdou Mbaye : Je vous salue et je salue également Madame Mariama Coulibaly qui vous accompagne.
01 :30 : DF: Vous êtes le porte-parole du Khalife de Ndiassane, est-ce que vous pouvez nous parler de vos responsabilités?
Effectivement ! Je vous remercie et prie pour vous d'avoir l'amabilité de me trouver chez moi, dans cette maison familiale que j'ai héritée de mes aïeuls. Je suis le porte-parole parce que Ndiassane est une cité dirigée par un khalife, un marabout. Notre grand-père Cheikh Bou Mouhamed Kounta l'a fondée en 1883, à l'époque il y avait mon grand-père Bounama Mbaye qui était son griot et conseiller. Ensuite, mon père l'a succédé en tant que grand griot, conseiller et notable de la cité. Après ce fut le tour de mon grand frère qui l'a succédé à côté des petits-fils de Cheikh Bou Mouhamed Kounta, leurs enfants et petits fils. Quand mon grand frère est décédé, je l'ai succédé et je suis là avec les petits fils de Cheikh Bou Mouhamed Kounta avec à leur tête El Hadji Serigne Mame Mamadou Kounta, le khalife sur deux plans.
Je dis qu'il est doublement khalife parce qu'il est le fils de Cheikh Bou Mouhamed Kounta et on lui a donné le nom El Hadji Mamadou Kounta. Quand son père est décédé, il est devenu son Khalife de El Hadji Mamadou Kounta. Il est aussi le khalife de son grand-père Cheikh Bou Mouhamed Kounta, c'est pourquoi il est khalife à deux niveaux. Il est aussi le khalife de Cheikh Bounama Kounta qui est son grand-père. Ils venaient tous d'un village qui s'appelle Ndankh où ils ont eu des enfants bénis. Son dernier enfant [Cheikh Bou] qui fut Cheikh Bou Mouhamed a fondé Ndiassane en 1883 et c'est lui qui a donné naissance à El Hadji Mamadou Kounta qui a donné naissance à El Hadji Mame Bou. Ce dernier est en charge aujourd'hui du khalifat de son père et celui de Cheikh Bou Mouhamed Kounta. Si celui qui est ici à Ndiassane est plus âgé que les autres qui sont à Ndankh, il occupe les deux khalifats. Cheikh Bou Mouhamed, le fondateur de Ndiassane, a des responsabilités à Ndankh, et Ndiassane lui appartient en plus. Si vous n'êtes pas de sa famille vous ne pouvez pas être khalife ici. Mais si celui qui est khalife ici est plus âgé que l'ainé de la famille de Ndankh, il devient khalife là-bas en même temps. C'est pourquoi il gère les trois khalifats : celui de son père, celui de Cheikh Bou Mouhamed et celui de Cheikh Bounama Kounta. Cela a coïncidé avec ma génération ce qui fait que je suis à ses côtés pour être son griot et le grand griot de la cité. J'ai aussi des responsabilités qu'il a beaucoup consolidées. Il est devenu khalife général en 2006 et m'a pris comme son griot et m'a donné aussi le billet pour faire le pèlerinage à la Mecque. Je suis la première personne à qui il a offert le billet pour aller à la Mecque. Je l'accompagne aussi partout où il va. Je suis son porte-parole partout où il se rend. C'est pourquoi j'ai dit tantôt que je suis le porte-parole de la cité. Voilà aussi pourquoi je ne cesse de prier pour qu'il ait une longue vie et une bonne santé. C'est pourquoi aussi je suis très content de votre venue ici. Je suis satisfait de votre démarche et je remercie beaucoup Madame Mariama Coulibaly car ce qu'elle fait nous sera utile aujourd'hui et à nos petits fils demain. Je lui souhaite aussi beaucoup de succès dans ses entreprises. Je vous le souhaite également. Je vous souhaite tous la bienvenue.
06 :43 : DF: Est-ce que vous êtes né ici à Ndiassane?
Oui, je suis né ici, mon père est aussi né ici. Mon père est le cadet de mon grand-père et on lui a donné le nom de Cheikh Bou Kounta. Mon père s'appelle Bou et mon grand-père s'appelle Bounama. Le fondateur de Ndiassane s'appelle Cheikh Bou et son grand père s'appelle Bounama aussi. On a tout en commun ! Cheikh Bou aussi a un fils qui s'appelle Abdou Rahmane et on m'a donné le nom d'Abdou Rahmane. C'est lui qui m'a enseigné, et m'a aussi trouvé un métier. Il est décédé en 1965. On m'a donné son nom, il m'a enseigné le Coran et il a tout fait pour moi. Mon père est né à Ndiassane, moi aussi je suis né à Ndiassane, mais mon grand-père n'est pas né ici. Il est né à Ndankh d'où est originaire Cheikh Bounama. Mon grand-père s'appelait Cheikh Bounama Mbaye.
07 :58 : DF : Donc vous avez toujours vécu à Ndiassane?
Effectivement ! Et je n'ai pas d'occupation autre que l'agriculture. Je cultive l'arachide, le mil, le maïs. A part cela, j'apprends le Coran et je suis toujours près du Marabout. Ce qui nous est arrivé n'est pas été le cas pour nos fils parce qu'ils ont tous des métiers. Certains sont des menuisiers d'ébène, des menuisiers métalliques, d'autres des menuisiers en aluminium, des chauffeurs et des mécaniciens. Ils ne sont pas sur place. Ils voyagent souvent mais ce ne sont pas des travaux fixes. Ils se débrouillent tout simplement. Ils ne vivent que de la grâce de Dieu. A la fin du mois, ils ne touchent aucun salaire. Ils ne vivent que de la bénédiction de Dieu et celle-ci est meilleure que la richesse parce qu'on a vu des gens très diplômés et très riches qui suivent les hommes de Dieu. Je peux rester un à deux ans sans aller à Dakar parce que je ne suis pas en bonne santé. Je ne peux pas me rendre dans beaucoup d'endroits.
09 :21 : DF : Comment jugez-vous l'évolution de l'Islam ces dernières années?
La vie religieuse s'est beaucoup développée parce qu'en 1973 il n'y avait pas plus de 100 maisons ici. A l'époque on pouvait même compter les maisons. Aujourd'hui, il y a plus de 3000 maisons. Deuxièmement, on cultivait du riz, de la patate, de l'igname, tout ce qu'on mangeait sauf du poisson, à Ndiassane. Il y avait le lac. Quand Cheikh Bou Kounta est venu en 1883, il savait que des bambaras, des maures et des wolofs allaient le rejoindre et ces gens-là ne connaissaient que l'agriculture d'autant plus qu'il n'y avait pas de mer à côté. Ainsi, il a prié Dieu pour qu'Il lui donne de l'eau. Dieu a exaucé sa prière en lui donnant un lac qui a fait 82 ans avec nous. C'est vers 1973 et 1974 qu'est venue la sécheresse et le lac a diminué. On y cultivait du tout. Puisque nous n'avions pas de mer, Dieu nous donna un marabout et nous n'envions pas ceux qui avaient la mer. Les gens venaient de partout pour chercher des prières et voyaient leurs vœux exaucés. C'est cette bénédiction qui nous suit jusqu'à présent et qui nous permet de subvenir à nos besoins, qui fait qu'il n'y a pas beaucoup de maladies et qui fait aussi qu'il n'y a que la paix et la piété. C'est pourquoi aussi nous ne sommes pas riches mais nous rendons toujours grâce à Dieu et nous avons toujours espoir en Lui.
12 :05 : DF : Est-ce que vous pouvez comparer les ziaras et les gamous de votre jeunesse à ceux qui se font aujourd'hui?
Bon ! Quand on avait vers 15 ans les gamous duraient trois jours. Il n'y avait pas d'électricité, pas de robinet, pas de routes goudronnées. Les Maliens venaient mais pas de cette manière, ils prenaient cinq personnes de chaque ethnie et ils devaient faire dix groupes. Et ils passaient dix jours ici. Les gamous étaient meilleurs à l'époque sauf que maintenant, il y a plus de monde. On passait les nuits à rendre hommage à Dieu. Le lendemain, on partait prier près du lac pour le rendre hommage. Si vous étiez malade et que vous vous baigniez dans le lac, votre maladie guérissait. Les Maliens remplissaient leurs bidons de cette eau du lac et faisaient tout pour la conserver jusqu'à l'année suivante car quel que soit votre maladie, il suffisait d'en boire, de se laver avec et tous vos soucis étaient réglés. C'est ce qui se faisait à l'époque de Cheikh Sidy Lamine Kounta, le propriétaire de cet étage. C'est comme ça que vivaient les gens jusqu'au rappel à Dieu de Cheikh Sidy Lamine en 1973. Il fut remplacé par El Hadji Mamadou Kounta qui à son tour mourut en 1976. C'est durant le règne d'El Hadji Mamadou qu'il y a eu tout ce changement.
Lors des gamous du temps de Cheikh Sidy Lamine Kounta, les autorités venaient le matin. Il les recevait et priait pour eux. Quand El Hadji Mamadou Kounta est venu, le père de l'actuel khalife, il a développé tout cela en leur préparant des repas bien garnis. Après lui, Cheikh Sidy Yakhya Kounta, qui est son petit frère, est venu et a construit la mosquée. Avec Cheikh Sidy Yakhya Kounta les choses ne cessait d'avoir de l'ampleur. Il y avait déjà les lampadaires, l'étage, et les Maliens venaient maintenant par avion, en voiture et par train. Ce développement a continué jusqu'à l'arrivée d'El Hadji Mame Bou Mamadou Kounta qui est là aujourd'hui et qui a remplacé son père Cheikh Bou Mouhamed Kounta. Son khalifat a vu l'émergence des chaines de télévision. C'est ce qui fait que maintenant, les ziaras et les gamous sont les mêmes parce que tout ce qu'on fait pour le Prophète, mène vers le développement. Et c'est ce qui a amené Mariama Coulibaly à faire ce qu'elle est en train de faire aujourd'hui. C'est quelque chose de très important pour nous, quelque chose que j'apprécie énormément. On prie pour elle pour que Dieu exauce toutes ses prières. Ce qu'elle fait est un aide pour nous et un bien pour elle parce que cela sera à la disposition des gens qui voulaient venir mais qui n'ont pas pu le faire. Par exemple, quelle que soit la superficie du Mali, il y a des gens qui n'ont toujours pas été à Ndiassane et pourtant veulent bien y venir. Pourtant, plus de 3000 Maliens viennent ici chaque année et ne repartent qu'à la veille de la Korité. Tout ça est le fruit de la bénédiction. Et vous aussi qui nous aidez à donner une bonne éducation à nos enfants et petits-enfants, que Dieu exauce tous vos souhaits.
16 :43 : DF : Selon vous quel est le rôle que doivent jouer les médias pour que les gens connaissent vraiment la tarikha Kountiyou?
Il y a des choses qui vont avec le développement parce que tous les tarikhas sont importantes : le mouridisme, la tidianiya, la khadriya, tout est important. Mais le plus important est le Prophète et on ne peut pas parler de Kounta sans parler du Prophète (PSL). Les tarikhas se sont développés dans tous les secteurs surtout grâce au concours des médias. Ce que vous faites sera répandu dans le monde entier: aux Etats Unis, au Canada… Tout le monde saura qui nous sommes et ça c'est grâce à vous. Donc les journalistes aident les gens, aide la tarikha, aide la famille Kounta et tous ceux qui croient aux Kountas.
18 :25 : DF : Est-ce que vous pouvez comparer le Ndiassane de votre jeunesse et le Ndiassane d'aujourd'hui?
Quand j'étais jeune, je vous l'ai dit tantôt, la ville était belle, mais elle est meilleure aujourd'hui.
18 :53 : DF: Quels sont les changements que l'on peut noter?
Ndiassane a changé dans tous les domaines. Dans le domaine de l'habitat, parce que quand j'étais jeune je vivais, avec mon père et ma mère, dans une chambre où le lit était en banco. C'était fait de boue et on y posait un matelas en paille. C'est quand j'ai eu 15 ans que mon père a construit ce bâtiment en zinc. On allumait des bougies ou des lampes en pétrole le soir. Pendant le Ramadan, à l'heure de la rupture, on buvait de la bouillie de mil ou l'on mangeait du couscous. De nos jours, les gens ne rafraichissent pas l'eau dans les canaries. Quand vous avez un invité à la maison, vous ouvrez votre frigo pour l'offrir de l'eau fraîche à boire, ou utilisez de l'eau congelé. La chambre à coucher est différente de votre salon où vous recevez vos invités. Mon père ne pouvait pas recevoir une personne là où nous sommes aujourd'hui mais il avait plus de bénédictions que nous. Aujourd'hui les rues sont plus grandes et plus éclairées. Le manger a beaucoup changé aussi. Les gens préparaient avec du bois de chauffe mais maintenant on utilise du gaz butane ou du charbon de bois. Tout cela n'existait pas avant. Il y a donc des changements positifs et vous les journalistes vous nous aidez à répandre notre croyance.
21 :14 : DF: Est-ce que vous pouvez nous parler des rapports entre la tarikha kountiyou et les autres tarikhas du Sénégal?
Oui ! Du temps de nos vénérés Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Bou Mouhamed, quand le fils ainé de Cheikh Bou Mouhamed, Cheikh Bécaye, revint de la Mauritanie, Cheikh Bou Mouhamed l'avait demandé d'aller, en compagnie d'autres personnes, saluer Cheikh Ahmadou Bamba. Arrivés à Diourbel, Serigne Touba avait déjà envoyé des gens pour qu'ils les accueillent à la gare de Diourbel et pourtant Cheikh Bou ne l'avait point dit qu'il envoyait son fils le rendre visite. Je veux tout simplement vous expliquez comment deux hommes religieux communiquent de manière ésotérique. Serigne Touba a décrit à ses disciples qu'ils devaient accueillir comment ils étaient. Bref qu'il s'agissait des enfants de Cheikh Bou qui venait de Ndiassane pour lui rendre visite. Et quand on est arrivé à la gare ils sont venus vers nous et nous ont expliqué que c'est Serigne Touba qui les avait envoyés les chercher. Ils ont ensuite monté des chevaux et à leur arrivée, il les a accueilli et s'est bien occupé d'eux. Cheikh Bou Kounta voulait que son enfant Cheikh Bécaye soit évalué par Serigne Touba parce que Cheikh Bécaye était parti étudier en Mauritanie. C'est ainsi que Serigne Touba l'a pris et s'est enfermé avec lui pendant trois jours. Et à chaque fois qu'il lui posait des questions Cheikh Bécaye dépassait de loin ses attentes. Au bout des trois jours, il est sorti avec lui en lui tenant la main. Serigne Touba l'appelle à trois reprises Cheikh Bécaye ne répond pas. C'est Bouna Diop, un de ses accompagnateurs qui lui a demandé de répondre à son oncle, Serigne Touba, qui s'adressait à lui. Cheikh Bécaye répond que lors du premier appel, il ne sentait pas son corps et au second appel non plus. C'est au troisième appel qu'il a senti Serigne Touba, accompagné de Cheikh Bou Kounta, entrer dans son corps comme un éclair. Parce que ‘Sheikh' est une appellation très chère à Dieu, le Tout Puissant, Serigne Touba fut le premier à l'appeler Cheikh, lui le fils aîné de Cheikh Bou Mouhamed Kounta. Serigne Touba l'a évalué dans tous les domaines de la connaissance. Il l'a loué et lui a confié quelque chose à remettre à son père.
Après Cheikh Bécaye, Cheikh Sidy Lamine Kounta entretenait de bonnes relations avec Touba et Tivaoune. La sœur de son père, Marème, était l'épouse de Serigne Babacar Sy, de même qu'une de nos parentes, Madame Astou Kane, qu'on surnommait Kaolack, Ndiassane et Tivaoune. Mame El Hadji Malick venait rendre visite à Cheikh Bou Kounta. Il avait aussi un disciple qui se trouvait au marché de Tivaoune qui s'appelait Moussa Cissokho. Tous les matins avant d'ouvrir sa boutique à Tivaoune, il venait saluer Cheikh Bou Kounta à Ndiassane pour après se rendre au marché. A un moment donné, Cheikh Bou Kounta lui dit « Tivaoune est un peu loin de Ndiassane, et on ne peut pas avoir un marabout à la dimension de Serigne El Hadji Malick et le laisser à Tivaoune pour venir à chaque fois chez moi. Désormais, les matins va lui rendre visite et c'est comme si tu venais me voir pour faire ton ziar. Les vendredis tu pourras venir me rendre visite ». Le disciple suit les conseils de Cheikh Bou. Un jour, Mame Cheikh El Hadji Malick lui dit « quand tu iras chez Cheikh Bou, dis-lui de prier pour moi de la même manière que je prie pour toi car que chacun de nous deux doit prier pour l'autre ». Lorsque le disciple est venu voir Cheikh Bou il lui dit que Mame El Hadji Malick me demande de vous dire de prier pour lui, Cheikh Bou lui dit, « une fois chez lui, récite la sourate Fatiha et arrête toi à la fin de la sourate. Le lendemain quand Moussa Cissokho est parti voir Mame El Hadji Malick, ce dernier lui demande s'il a transmis son message à Cheikh Bou et Moussa Cissokho lui répond que oui et lui demanda de tendre les mains afin qu'il fasse la prière que lui avait ordonné Cheikh Bou. Au moment de formuler la prière, il récita la sourate Fatiha en entier et voulut continuer sur une autre sourate et Mame El Hadji Malick le stoppa et lui dit, « il vous avait demandé de vous arrêter là. J'étais là-bas quand il formulait la prière et j'avais tout entendu ». Là le disciple lui dit que tout ce que Cheikh Bou Kounta disait sur lui était vrai. Ils entretenaient de très bonnes relations.
Mame Serigne Abdou Lahat venait souvent à Ndiassane. Il passait la journée là-bas sous le fromager. Il avait une épouse et des enfants ici. Son enfant est plus âgé que vous et on l'appelait Mame Mor, sa mère habite ici. Quand il était sous le fromager, mon homonyme Serigne Abdou Rahmane Kounta, le fils de Cheikh Bou Kounta, le trouvait là-bas. Et Serigne Abdou Lahat lui disait que s'il avait besoin de lui, il n'avait qu'à faire appel à lui parce qu'il était son petit frère. Serigne Abdou Rahmane lui répondait qu'il était leur invité et qu'il devait prendre soin de lui parce que Dieu a dit qu'il faut prendre soin des invités. Il ajoutait, « ce village appartient à ton père c'est pourquoi quand tu es là, c'est moi qui doit me déplacer ».
Serigne Saliou qui vient d'être rappelé à Dieu et notre khalife qui a été à Dieu la même année, en 2006, entretenaient de bonnes relations. Un jour, ce dernier, deux des enfants, Aby Ly et Mame Khalifa, et moi sommes partis à Touba. Ce jour-là, nous avons quitté Ndiassane à cinq heures du matin et nous sommes allés au mausolée de Mame Cheikh Ahmadou Bamba pour nous recueillir. Serigne Saliou Mbacké sachant que nous étions à Touba, envoie Serigne Khadim Mbackè, le fils de Serigne Modou Moustapha, l'ambassadeur. Il l'envoya dire à notre marabout qu'il était au courant de sa venue à Touba et qu'il voudrait qu'ils se rencontrent après sa sortie des mausolées, pour qu'il passe la journée à Touba. Serigne Khadim vint le lui dire et le marabout lui répondit qu'il était venu rendre hommage à son père et qu'il rentrait après. Quand il me demanda mon avis, je lui suggérai de passer la journée comme le voulait son petit frère qui avait envoyé le messager. Nous sommes sortis, accompagnés de Serigne Khadim qui nous a conduits vers un bâtiment très somptueux. Ce jour-là, les nattes et les bouilloires que nous avions en cas de besoin, nous les avions retournés à la voiture car il y avait du tout dans le bâtiment. Ils nous accueillirent là-bas et nous servîmes des repas très bien garnis. C'était extraordinaire, et il y en avait en grande quantité. Au cours du repas, Serigne Saliou Mbacké vint vers nous, son chapelet et le livre saint à la main. A 20 mètres de nous, il posa le chapelet, et le livre saint et ôta ses chaussures. Le Marabout se leva pour aller à sa rencontre. Ils se saluèrent, Serigne Saliou demanda des nouvelles des habitants de Ndiassane. Le marabout lui dit que son père Serigne Touba estimait beaucoup Mame Bou, il a même donné son nom à un de ses frères. Serigne Saliou dit au Marabout qu'il est très honoré de sa visite. Il faut que vous sachiez que Serigne Touba a œuvré pour notre bien à tous. Serigne Saliou lui dit aussi qu'à chaque fois qu'il saura qu'il a passé la journée à Touba, il viendra à sa rencontre, à moins qu'il ne soit à Khelcom. Enfin, Serigne Saliou prit au marabout d'accepter qu'il lui donne tout le nécessaire pour la Tabaski, et les gamous et cela pendant 10 ans. Le marabout accepta l'offre et le remercia. Ensuite, le marabout me le présenta en ces termes : « Celui-là que vous voyez est mon enfant mais aussi mon griot et disciple. Ce jour-là, j'ai longuement causé avec Serigne Saliou. A la fin de la discussion, Serigne Saliou dit que tous ceux qui le suivaient et qui habitaient non loin de Ndiassane n'avaient plus besoin de se déplacer. Ils pouvaient faire leur ziaras à Ndiassane. Il y a un village non loin de Ndiassane, Modou Djité est le chef. C'est ce dernier qui dirigeait les prières à Touba. Il est partit un jour et Serigne Touba lui demanda la distance qui le séparait de Ndiassane et Modou Djité le répondre que ce n'était pas loin du tout. Serigne Touba lui dit qu'il pouvait rester à Ndiassane faire ses ziaras et de venir à Touba lors de Magals.
Chaque année, Serigne Saliou Touré de Thiès, nous amenait ce que Serigne Saliou avait promis; Il perpétuait jusqu'en 2006 quand Serigne Saliou Touré dit au Marabout que Serigne Saliou a dit que les dix qu'il s'était engagé à vous donner le nécessaire pour la Tabaski et le gamou viennent d'être bouclés. Le Marabout rendit grâce de manière répétée. Tous deux furent rappelés à Dieu en 2006.
32 :46 : DF : Il s'agissait de quel Khalife?
Serigne Saliou Mbacké !
32 :48 : DF : Je veux dire de quel Khalife de Ndiassane s'agissait-il?
Cheikh Bou Kounta ! Cheikh Bou Kounta est décédé en 2006, et El Hadji Mame Bou l'a succédé. Cheikh Bou Kounta portait le même nom que son père. Son père est décédé le 13 juillet 1914, et trois jours après il est né. C'était un vendredi, et on lui a donné le nom de son père. Il est de la même génération que Serigne Saliou et ils entretenaient de bonnes relations. Ils sont tous deux décédés en 2006.
33 :20 : DF : On a remarqué que les membres du gouvernement viennent lors des gamous, pourquoi sont-ils là?
Les tarikhas sont nombreuses. Chaque cité religieuse a ses réalités. En 1914, le gouvernement français avait dit que les marabouts exploitaient les gens, les traitaient comme des esclaves. Au même moment, les gens mouraient en grand nombre dans la guerre et donc si ces marabouts étaient vraiment puissants, ils devaient mettre un terme à la guerre. Car, sans les hommes, ou si les hommes mouraient en grand nombre, il y aurait plus de pouvoir ni de gouvernement. C'est ainsi que les blancs ont pris une personne à Touba, une autre à Tivaoune, à Ndiassane, ….un de chaque foyer religieux. Ils prenaient les fils aînés. Dieu a fait que de tous ces gens qu'ils avaient choisis, il n'eut qu'un seul survivant qui en est revenu et c'est Sidy Makhtar, le fils de Cheikh Bou Kounta. Il est revenu sain et sauf, s'est marié et a eu des enfants.
Ainsi, les blancs se sont dit que ce Marabout doit connaitre quelque chose. Et c'est Dieu aussi qui a voulu que les autres ne reviennent pas de la guerre. C'était comme une guerre sainte, une guerre pour la liberté. Et celui qui était venu les a intrigués. Sidy Makhtar est revenu sain et sauf. Sa maison est à côté et il y a ses petits-fils qui sont là présentement. C'est en 1883 quand Cheikh Bou fondait Ndiassane qu'il a mis sur pied les gamous. Quand les blancs venaient, ils allaient chez les marabouts pour échanger, s'interrogeaient sur tout ce que concernaient les gens: leur degré de, de qui devait être responsable et de qui ne devrait pas l'être. Cheikh Bou Kounta leur disaient que les Kountas n'étaient que des étrangers et qu'ils venaient de Khayrawane, qu'ils sont passés par le Maroc et la Mauritanie, avant d'arriver à Ndiassane. Il leur disait « Nous sommes tout simplement des visiteurs qui n'ont pas l'intention d'y passer notre vie ici ». Les blancs avaient néanmoins compris qu'il avait un certain pouvoir qui pouvait instaurer la paix dans le monde et surtout en France et au Sénégal. C'est pourquoi, depuis lors, ils ne cessent de venir assister à nos rencontres et à tout ce que nous faisons pour s'inspirer de cela, pour comprendre davantage notre tarikha et parfois même y adhérer.
37 :45 : DF : Est-ce qu'ils viennent avec des aides parfois?
Effectivement, ils nous apportent beaucoup d'aides. Partout où ils se rendent, ils apportent de l'aide. Vous avez vu ce qu'ils ont fait à la place du village. C'est le ministre Oumar Youm1 qui a fait la terrasse. Le gouvernement a aussi pris l'engagement de reconstruire la maison du khalife. Le président avait pris ces engagements avant qu'il ne soit président. Les lampadaires que vous voyez dans la cité, c'est lui qui l'a fait avec son propre argent. Ils ont aussi fait beaucoup de choses dans le domaine de la santé, de la sécurité et presque dans tous les secteurs.
38 :45 : DF : Quelles sont vos plus grands souhaits?
Je voudrais qu'ils achèvent tous les chantiers qu'ils ont entamés. S'ils le font, ils auront notre confiance et nous ferons tout pour les réélire. Ils ont promis de les achever dans six mois. Je prie aussi Dieu pour qu'il accorde longue vie et santé à notre très cher Marabout. Je prie également pour vous parce que ce que vous faites mène au développement. Je me rappelle, autrefois quand on devait écrire une lettre, il fallait attendre l'arrivée des enfants pendant les grandes vacances. Ou bien, il y avait une seule personne qui se trouvait à la grande maison qui pouvait le faire. Maintenant, vous pouvez rester dans votre chambre et appeler votre fils ou petit fils pour qu'il vous écrive ou vous lise une lettre. Et tout cela est dû au développement.
40 :23 : DF : Que souhaitez-vous pour Ndiassane et vos enfants?
Je voudrais que les enfants aient du travail pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille parce que c'est dur de trouver de grandes familles comme les nôtres sans un seul salarié. Il n'y a pas de salarié chez moi. Par exemple, si dans chaque famille, il y a au moins deux salariés, cela ira beaucoup mieux. Les gens pourront s'acquitter convenablement des recommandations de leur religion, et pourront bien dormir et auront l'esprit tranquille.
41 :18 : DF : Quel est le plus beau moment de votre vie?
Ce qui me plait le plus, c'est le fait d'habiter à Ndiassane, de faire partie des fidèles de Cheikh Bou Kounta, d'être griot et j'en suis fier.
41 :39 : DF : Qu'est-ce qui vous fait le plus mal?
Me causer un tort sans que je ne puisse réagir ou dire quelque chose que je n'ai même pas penser dire.
41 :52 : DF : Quel est votre mot de la fin?
Après avoir rendu grâce à Dieu et à son Prophète (PSL), je remercie Madame Mariama Coulibaly, je vous remercie également Monsieur Faye de votre démarche. Je vous souhaite beaucoup de succès dans ce que vous faites. A Sokhna Mariama je lui souhaite aussi plein de succès dans toutes ses entreprises.
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1 En Juin 2015 (date de l’entrevue), il était ministre de la gouvernance locale, du Développement et de l’Aménagement du territoire et porte-parole du gouvernement.
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Courtesy of Maria Grosz-Ngaté
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Continuity And ChangeCreator: Mbaye, Abdou
Daouda Faye
Daouda Faye
Contributing Institutions: Maria Grosz-Ngate; MATRIX: Center for Digital Humanities and Social Sciences at Michigan State University
Contributor: Gana Ndiaye
Description: Mr. Abdou Mbaye is the griot (spokesperson) for the khalif, a role he inherited from his elder brother and, before him, his father and grandfather. His grandfather Bounama Mbaye was born in Ndankh and moved to Ndiassane after Cheikh Bou Kounta established himself there. Mr. Abdou Mbaye was able to make the pilgrimage to Mecca, thanks to the sponsorship of Khalif El Hadj Mame Bou Mamadou, and now bears the honorific El Hadji.
El Hadji Mbaye explains the khalifate of Ndiassane and elaborates on changes in the religious, social, and material life of the community. In discussing the gàmmu and the ziara, he notes the presence of the media and of government representatives. Asked to comment on relations between the tarikha, El Hadji offers details on specific interactions and relationships.
Interview conducted in Wolof by Daouda Faye. Translated into French by Gana Ndiaye.
Date: June 18, 2015
Date Range: 2010-2019
Location: Ndiassane, Thies, Senegal
Format: Audio/mp3
Language: Wolof
Rights Management: For educational use only.
Digitizer: Maria Grosz-Ngaté