Contemporary Dynamics of the Bou Kounta Qadiri Community |
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Sidi Lamine Thiam ET AL. 14-12-2007
Contemporary Dynamics of the Bou Kounta Qadiri Community
By Maria Grosz-Ngaté
Sidi Lamine Thiam ET AL. 14-12-2007
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Entretien : Cheikh Sidy Lamine Thiam avec interventions de Babacar et Abdoulaye Kounta, Dakar (Medina), le 14 Décembre 2007
Première Piste [en Bambara (Bamanankan)]
00:00 – 02 :02 Madame Toba Diagne Haïdara (MH)
[Dans cette partie qui s'est faite en bamanankan, l'enquêtrice salue l'interviewé, explique le but du projet de recherche et demande la permission de mettre l'entrevue sur internet. En outre, elle demande à l'interlocuteur la langue dans laquelle il souhaiterait que l'entretien se fasse : en wolof ou en bamanankan.]
Deuxième Piste
[Vide]
Troisième Piste
00 :02 : MH : Nous passons au wolof à présent
Cheikh Sidy Lamine Thiam : Voilà.
00 :05 : MH : Je m'excuse d'avance parce qu'il n'est pas facile de parler [l'art oratoire n'est pas donné à tout le monde] (rires) ….
Il faudra lui dire… Ah, c'est vrai. Il n'est pas facile de parler mais tout rira bien. Nous vous dirons tout ce que nous en savons, ce que nous avons appris de nos ainés puisque nous n'avons pas été des témoins oculaires. (Rires)
00 : 23 : MH : Oui, c'est vrai…
Nous avons entendu les récits des anciens. (Rires)
00 : 33 : MH : tu as déjà allumé ? [en Français]
Maria Grosz-Ngaté : oui !
Quatrième Piste
00: 02: Bismilah. Bonjour!
Cheikh Sidy Lamine Thiam (CSLT): Bonjour!
00 :04 : MH : Nous sommes ici aujourd'hui voir les descendants d'Ansou Thiam, chez Ousmane Thiam.
CSLT : C'est cela.
02 :14 MH : Nous sommes juste des chercheurs, des enseignants et avons un projet de recherche sur les familles religieuses. Nous [elle], nous [ne] sommes [pas] des disciples de la famille Kounta. En faisant des recherches, nous avons appris que votre grand-père, Ansou Thiam, avait joué un rôle auprès Cheikh Bou Kounta.
CSLT: C'est exact!
00 : 44 : MH : Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Nous sommes venus pour que vous nous parliez de comment est-ce que ces deux personnalités…
CSLT : Leurs relations …
00 :52 : MH: … se sont rencontrées... Comment est-ce qu'ils ont vécu ensemble jusqu'à ce que vous, les descendants, puissiez représenter la famille Kounta ici à Dakar. Aussi faut-il préciser que ce travail rentre dans un cadre pédagogique. L'objectif est de trouver des réponses à un certain nombre de questions que nous mettrons sur internet. Tous ceux qui s'intéresseront à la tarikha ou à la famille [Kounta] pourront ainsi y accéder, quelle que soit la quantité…
CSLT: C'est vrai…
01 :34 : MH : Que ce soit un enseignant, un élève ou un étudiant. Ces sont des américains qui supervisent ce travail…
CSLT: C'est vrai.
01 :40 : MH : Celle-ci est professeur à l'université d'Indiana. Comme le professeur Robinson, elle travaille sur d'autres choses. C'est un travail à but non lucratif. La visée est purement éducative. C'est vraiment cela notre objectif.
CSLT: Tout à fait…
01 : 55 : MH : Pour cette raison, nous aimerions enregistrer la conversation, avec votre permission, pour que si nous devons vous citer en tant que Baye Sidy Thiam, fils de Ansou Thiam, qui fut un grand disciple de Cheikh Bou Kounta, nous pourrons le faire. Si l'assistance est d'accord nous pourrons procéder à l'enregistrement.
CSLT: D'accord.
02 : 35 : MH : Maintenant à vous de nous dire si vous êtes d'accord ou pas. (Rires)
CSLT: (Rires)
02 :38 : MH : C'est cela la procédure chez les blancs. (Rires) Il faut que la personne donne expressément son consentirent.
CSLT: Vous savez tout ce qui vous prends au dépourvu vous dépasse d'habitude.
Grace à nos parents et grands-parents, nous pouvons aujourd'hui nous présenter en digne héritiers des Kounta. Notre nom de famille Thiam nous est venu de notre relation avec les Kounta. Nous sommes originaires du Fouta, Fouta Alwaar, mais c'est notre grand-père qui est parti s'installer en Gambie. Il a habité en Gambie jusqu'à la naissance de nos arrière-grands-parents. Notre grand-père Ansou Thiam a émigré d'une ville gambienne appelée Sabidji pour aller vivre avec son oncle dans la ville de Kobo Koudiour. Il est resté dans cette ville auprès de son oncle. Cheikh Bou Kounta est parti de Ndankh à pied et s'est mis à prier jusqu'à son arrivée à la ville de Kégné Kégné Diamang où il est resté adorer Dieu. A cette époque, notre grand-père avait un éleveur qui, en allant dans la brousse en compagnie d'Abdoul Karim, a vu Cheikh Bou Kounta.
04 : 24 : MH : Il était dans la brousse ?
CSLT : Oui, Cheikh Bou était resté dans la brousse, non loin de la mer, et il se mettait à prier. Quand l'éleveur de l'oncle de mon grand-père vit Cheikh Bou Kounta, il partit dire à son maitre : « j'ai vu, dans la brousse, un marabout qui passe tout son temps à prier. Il m'intrigue ». En entendant cela, mon grand-père remit du miel et gâteau de mil à l'éleveur pour qu'il aille remettre cela à Cheikh Bou Kounta. Après quelques temps, mon grand-père s'enquérait auprès de son éleveur pour savoir si Cheikh Bou Kounta était toujours dans la brousse. Après avoir appris que Cheikh Bou Kounta était toujours dans la brousse, mon grand-père remis le gâteau de miel et du miel à l'éleveur pour qu'il aille le donner à Cheikh Bou Kounta. Mon grand-père dit à l'éleveur de demander à Cheikh Bou Kounta de passer dans le village dès qu'il aura fini ses travaux.
05 :45 : MH : A l'époque, c'est votre oncle qui était le chef du village ou bien ?
CSLT : Non, il s'agit de l'oncle de mon grand-père.
05 :57 : [Une personne de l'assistance] : Dites-lui le nom de cette ancêtre.
CSLT : Notre oncle, Ousmane Thiam, du moins, Ansou Thiam. Il était jeune à l'époque, il n'était pas encore marié. Après avoir terminé ses prières, Cheikh Bou Kounta alla habiter dans la ville avec l'oncle de mon grand-père Baye Ali Toure. C'est au terme de sa visite chez Baye Ali Toure que ce dernier demanda à notre grand-père Ansou Thiam et deux autres personnes d'accompagner Cheikh Bou Kounta à Ndankh. A leur arrivée à Ndankh, ils furent reçus par Cheikh Al Bécaye qui était le chef du village à cette époque. Cheikh Bou Kounta offrit mon grand-père et les deux autres personnes qui les accompagnaient à Cheikh Al Bécaye.
07 : 02 : MH : A l'époque, votre grand-père devait avoir quel âge
CSLT : (rires) Ah, ça je ne sais pas. Mon grand-père était jeune à cette époque. La différence d'âge entre lui et Cheikh Bou n'est pas grande. Cheikh Bou les laissait très souvent à Ndankh pour voyager. Il vint un temps ou Cheikh Bou fut soumis à l'hostilité de son ainé. Ce dernier le chassait de la ville à chaque fois qu'il y revenait. Consterné par la situation, ils posèrent à la mère de Cheikh Bou Kounta cette question : « mais ces gens sont du même père, pourquoi chassent-ils Cheikh Bou Kounta à chaque fois qu'il revient au village » ?
Quand le marabout prit connaissance des inquiétudes de mon grand-père Ansou Thiam et de ses compagnons, il répliqua en disant : « vous savez, je suis bien plus âgé que Cheikh Bou mais nos personnalités et auras ne sont pas compatibles. Nos deux auras ne peuvent pas cohabiter ensemble dans cette ville, et sachant que mon aura va détruire le sien s'il reste dans le village, je lui suggère de quitter la ville ».
La cohabitation fut négociée de cette manière jusqu'à ce qu'il fût temps pour Cheikh Bou d'aller créer son propre village. Alors, il quitta le village de Ndankh accompagné de notre grand-père Ansou Thiam, Abdou Karim et d'autres personnes pour aller créer la ville de Bagne. J'ai le papier [qui détaille cela] mais je ne le retrouve plus.
08 : 30 : MH : Ah, c'est lui qui a fondé le village de Bagne.
CSLT : Oui, c'est lui [Cheikh Bou] qui a fondé Bagne avant d'aller à Keur Yoro. Après avoir habité à Keur Yoro pendant longtemps, il a habité à Keur Yoro pendant un temps assez considérable aussi mais cette place ne lui satisfaisait pas non plus. Il parait que quand Cheikh Bou éprouva un désir fort de s'établir quelque part, il prit un oiseau, attacha une amulette au pied de l'oiseau et le laissa voler. Après avoir cela il demanda à mon grand-père de suivre l'oiseau au vol et de marquer l'endroit où il se posera car c'est à cet endroit qu'il (Cheikh Bou Kounta) allait s'établir. L'oiseau se posa sur un tamarinier, mon grand-père laissa une marque sur la place. L'oiseau retourna auprès de Cheikh Bou Kounta pour lui remettre l'amulette. Mon grand-père revint après l'oiseau pour dire à Cheikh Bou Kounta que le lieu où il devait habiter était trouvé – et ce lieu était Ndiassane.
Le texte que j'ai reçu du vieux Modou Traoré dit que les disciples qui étaient avec Cheikh Bou à cette époque était au nombre de cinq. Quand ils voulurent dégager un espace pour y habiter, le roi de cette époque s'y opposa. Mon grand-père répliqua en disant que l'ordre de Cheikh Bou prévalait pour lui et tous les autres disciples devaient se mettre à désherber la place avec lui. Voilà comment ils créèrent Ndiassane. C'est ce que j'ai appris de l'histoire orale. Je n'étais pas témoin, c'est juste ce que j'ai appris. Je ne sais si cela s'est passé exactement ainsi ou pas. (rires)
Babacar Kounta (BK) : l'histoire fonctionne ainsi en fait.
10 : 43 : MH : Il y a beaucoup de choses dont nous n'avons pas été témoin. Nous les apprenons de la tradition orale.
CSLT : Ce monsieur est mon grand-frère. Il pourra témoigner s'il a la même version des choses que je raconte.
10 :49 : MH : Après vous, nous pourrons donner le micro à quiconque veut s'exprimer. Là où il est assis, s'il s'exprime, la qualité de l'enregistrement ne sera pas bonne.
CSLT : D'accord…Voilà donc ce que j'ai appris de l'histoire orale.
11 :05 : MH : cela confirme le standing qu'il avait en tant que talibé qui a désherbé le lieu d'habitation. C'est ce rapport-là qui continue aujourd'hui ?
CSLT : C'est cela. S'il s'agit du khalifat de mon homonyme, Baye Sidy Lamine Kounta, nous pouvons en parler avec plus d'aisance. Nous avons été témoin de plusieures choses le concernant. D'ailleurs, c'est lui qui a amené mon père à Dakar. Mon père, El Hadji Cheikh Thiam.
11 :37 : MH : J'allais vous poser cette question d'ailleurs. Nous savions que Cheikh Bou avait beaucoup de maisons à Dakar. Quel est l'historique de cette maison ? Pourquoi Baye Sidy Lamine avait construit et installé votre père dans cette maison.
CSLT : Baye Sidy Lamine… Cette maison appartenait à Moussa, le douanier.
12 :05 : MH : Moussa… ?
CSLT : Moussa, le douanier.
12 : 09 : MH : Moussa Waly ?
CSLT : Moussa, le douanier.
12 :11 : Ah Moussa, le douanier.
CSLT : Il était douanier et on l'appelait Moussa.
BK : faudra préciser aussi que Ansou Thiam n'a pas été enterré à Ndiassane. Il avait fondé son propre village.
CSLT : Oui, c'est vrai. On en est pas encore arrivé à ce niveau, c'est pourquoi. Je lui dirai le parcours de Ndiassane après son départ de Ndiassane, le village qu'il a fondé jusqu'à cette maison dans laquelle nous sommes.
12 :39 : MH : Nous pouvons parler de cela…
CSLT : Quand Cheikh Bou donna un blanc seing à Ansou Thiam pour qu'il aille à son tour créer une communauté. Il quitta Ndiassane et alla séjourner d'abord à Ndoucoumane.
13 : 09 : Ndoucoumane se situe où ?
CSLT : C'est dans les environs de Tivaouane. Par la suite, il vint habiter à Bargny et séjourna dans la ville de Ndoukhoura.
13 :20 : MH : Ndoukhoura ? Ndoukhoura se situe où ?
CSLT : Ndoukhoura, oui. C'est près de Bargny et de Yène. Certaines de nos tantes paternelles sont nées là-bas. Quand nos tantes paternelles grandirent, Ansou Thiam, notre grand-père, quitta Ndoukhoura pour aller dans le village de Ngeurigne.
13 :45 : MH : Ngeurigne ? Ndeuri ?
CSLT : Ngeurigne. Ngeurigne !
13.52 : MH : ça se trouve où ?
CSLT : Un village appelé Ngeurigne, dans les environs du campement Nguékhokh…
13 :57 : MH : A côté de Nguékhokh, dans les environs du campement Nguékhokh…A côté de Somone…
CSLT : Oui ! Mais il n'a pas dure là-bas. Puis il quitta pour aller à Saly Coulang.
14 :11 : Saly Coulang ? C'est là où il y a l'hôtel aujourd'hui ?
CSLT : Oui ! C'est là-bas que mon père est né – El Hadji Cheikh Thiam. Après cela il vint créer le village près du campement Nguékhokh. La cité fut appelée Keur Serigne Thiam. Elle existe toujours. Nous avons des oncles, des tantes, des parents qui vivent jusqu'à présent là-bas.
14 :40 : MH : Il parait que c'est un grand foyer religieux.
CSLT : Oui ! On l'appelle Keur Serigne Thiam. Mon père est parti de là-bas pour venir informer Baye Sidy qu'il allait en Gambie pour étudier. Baye Sidy était le khalife à l'époque et mon père n'était pas encore venu ici. C'est quelqu'un dont j'oublie le nom qui occupait cette maison. [On lui souffle le nom]. C'est Alpha Drame, un fervent disciple, qui l'occupait.
15 : 07 : MH : Alpha Drame était un des disciples aussi…
CSLT : Oui, il faisait partie des disciples,
15 : 10 : Donc lui, Alpha Drame, et ton grand-père étaient auprès de Cheikh Bou à la même période.
BK : C'est le grand-père de Yacine et autres.
CSLT : Exactement, c'est le grand-père de Yacine. Donc c'est lui qui occupait la place que j'occupe maintenant mais quand Baye Sidy vint de Ndiassane, Alpha Drame était absent. Il avait voyagé. Baye Sidy était venu de Ndiassane et mon père était venu l'informer de son désir d'aller étudier en Gambie. Baye Sidy lui demanda de rester auprès de lui, et il est resté ici pendant longtemps. Un jour, il demanda à un de ces disciples, Moussa Guindo – en ce temps Dakar n'était pas grand - d'appeler les autres disciples. Après avoir rassemblé tous les disciples, il leur dit qu'à partir de cet instant-là, le nouveau guide était El Hadji Cheikh Thiam. Cette décision n'était bien pas approuvée par les disciples. Il y eut des contestations.
16 :22 : MH : A l'époque, il n'était pas âgé ?
CSLT : Mon père était jeune à cette époque. Mais c'est à partir de cet instant qu'il commença à représenter Sidy Lamine Kounta ici : de 1932 jusqu'à 1973, à la mort de Sidy Lamine Kounta. Il fut conforté dans sa position par El Hadji Mamadou qui succéda à Sidy Lamine Kounta. Baye Sidy Yakhya qui remplace El Hadji Mamadou au bout de deux ans et demi, je pense, maintint mon père comme guide. Dix ans après le mandat de mon père fut renouvelé par Baye Bou qui remplaça Sidy Yakhya. A la mort de mon père le 10 Aout 1990, mon grand frère Abdou Thiam fut choisi pour le remplacer. Ce dernier mourut en 1999, et je l'ai remplacé. Voilà ce que je connais (rires), et qui veut en rajouter quelque chose peut le faire.
18 :58 : MH : Est-ce que les autres disciples qui vivaient avec votre grand père à Ndiassane sont restés là-bas à la mort de Cheikh Bou ? Ou ils sont restés là-bas ?
CSLT : Je sais qu'Abdou Karim s'est installé à Ndey, Malamine Senghor s'est établi à Thiès et il y avait un autre qui s'était installé à Sébikotane mais je ne connais pas son nom.
19 :43 : MH : Est-ce qu'Ansou a été enterré chez lui au campement Nguékokh ?
CSLT : Oui, il a été enterré au campement Nguékokh, à Keur Serigne Thiam.
19 :52 : MH : Et si l'on revenait à Sidy Lamine. Nous savons qu'après le règne de Cheikh Bou, c'est Cheikh Bécaye qui a régné et que ce dernier fut succédé par Sidy Lamine. Nous savons que le khalifat de Sidy Lamine a duré…
CSLT : C'est vrai. Il a régné pendant quarante-cinq ans. Ce monsieur est son petit-fils…
20 :14 : MH : Nous avons entendu dire qu'il avait une forte personnalité et que Dieu lui avait confié une richesse. D'après nos informations, Sidy Lamine ne s'entendait pas bien avec le gouvernement et les blancs. Comme vous aviez été témoin de son règne, pourriez-vous nous dire pourquoi il ne s'entendait pas avec eux ?
CSLT : C'était un homme de vérité, qui connaissait Dieu, son prophète, sa famille et ses ancêtres. Voilà ce qu'il était. Tout le monde avait peur de lui et toute personne qui s'adressait à lui baissait les yeux quand Sidy Lamine le regardait. Lorsque quelqu'un médisait contre une personne, il ne disait rien. Il attendait que les personnes concernées se réunissent pour connaitre la vérité. Sidy Lamine avait de l'amour pour l'être humain et quiconque ne disait pas la vérité ne pouvait s'assembler avec lui. Il ne s'intéressait ni aux menteurs, ni a ceux qui n'étaient pas passionnés par la recherche de la connaissance. Je ne pense pas qu'il y ait une personne parmi les Kounta qui ait plus de connaissance que Sidy Lamine. Il pourrait qu'il y en ait mais ce sera difficile d'en trouver. Dieu avait fait de lui un homme de vérité, un homme saint lui avait donné une richesse et avait fait de lui une personne aimée de tous. Je pense qu'à regarder tout ce que Dieu lui a donné, on se rend compte que les dons qu'il avait reçu du Tout-Puissant étaient uniques. Il est rare qu'une personne reçoive autant de dons de Dieu. La grandeur d'une personne n'empêchait pas à Sidy Lamine de lui dire la vérité quand il en venait à cela.
23 :32 : MH : Et pourquoi est-ce qu'il ne s'entendait pas avec le gouvernement ?
CSLT : La vérité.
23 :36 : MH : Rien que la vérité.
CSLT : Tout à fait. (Rires)
23 :40 : MH : S'est-il disputé avec eux ?
CSLT : Non, non…
BK : Il n'aimait pas la politique...
23 : 43 : MH : Y a-t-il eu un malentendu ou un différend qui aurait pu les distancer ?
CSLT : Non, non ! Il y a eu rien.
BK : Vous savez, Sidy Lamine ne pouvait pas s'accommoder au mensonge. Sidy Lamine pouvait se mettre à la même table avec n'importe qui mais cela ne l'empêchait de dire la vérité quand il devait de le dire.
CSLT : Voilà la raison pour laquelle, il ne pouvait pas s'entendre avec eux.
24 :16 : MH : Il parait que Senghor a été à Ndiassane pour établir de bonnes relations avec lui mais il n'était pas disposé à entretenir de tels rapports avec lui. Nous posons cette question parce qu'il arrive que deux personnes deviennent des amis et cessent un jour d'être proches à cause d'un manque d'entente ou de conflit d'intérêt.
BK : Vous savez Sidy Lamine ne pouvait pas s'accommoder au mensonge. Et cet aspect de sa personnalité se manifestait même dans son rapport avec les autres chefs religieux. C'est avec le gouvernement qu'il a montré son mépris pour le mensonge le plus mais il ne le réservait pas aux politiciens seulement. L'autre aspect est que les politiques sont médiatisés ce qui fait s'il y a quelqu'un qui garde sa distance par rapport à eux, tout le remarque.
25 :01 : MH : C'est exact. Il parait aussi qu'il était riche.
CSLT : Très riche.
25 :06 : MH : J'ai entendu dire aussi qu'il était à Saint Louis en train de faire du commerce avant le décès du marabout.
Qui ?
25 :15 : MH : Sidy Lamine
CSLT : Avant quoi ?
25 :16 : MH : A la disparition de son père.
CSLT : Il était en Mauritanie. A l'époque du décès de son père, il était en Mauritanie…
25 :23 : MH : En train de poursuivre ses études…
CSLT : … en train de poursuivre ses études. Quand Cheikh Al Bécaye mourut, Sidy Lamine était à Saint Louis mais quand la mort de son père survint, il étudiait en Mauritanie. Il parait qu'il était en train de prier quand son père a quitté ce monde et c'est pendant qu'il priait qu'on lui informa de la mort de son père. Et il parait que ce n'est pas un être humain qui lui fit part de l'information. C'est un tourbillon qui lui appris la nouvelle. Quand son maitre prit connaissance de ce qui était arrivé, il demanda à un ami de Sidy Lamine, d'aller informer ce dernier. Voilà ce que j'ai entendu les gens dire et je ne puis dire si c'est vrai ou pas. Et son ami s'approcha de lui et lui toucha l'épaule, il repoussa le bras et lui dit : « es –tu venu me dire que mon père est mort ? J'en ai déjà été informé ».
26 :46 : MH : Donc quand Cheikh Al Bécaye mourut, il était à Saint Louis en train de faire du commerce ?
CSLT : Exact.
26 : 52 MH : Et en quoi consistait son commerce ? Qu'est-ce qu'il vendait ?
CSLT : Je pense qu'il faisait comme tout autre commerçant, c'est à dire acheter et revendre.
27 :01 : MH : Vous savez qu'il y a certains qui faisaient le commerce de l'arachide, d'autres le commerce de la gomme arabique, d'autres achetaient et vendaient autre chose. C'est pour cela que j'aimerais savoir ce qu'il faisait en tant que commerçant.
BK : Vous savez, le commerce à St Louis… Il vendait des tissues, des parfums, etc. Voilà ce qu'il faisait.
27 :19 : MH : Et toute sa richesse provient de ce commerce ?
CSLT : Non, non.
BK : En fait ce qu'il obtenait du commerce constitue une partie insignifiante de sa richesse. D'ailleurs il n'y a que peu de gens qui savaient qu'il faisait du commerce. Comme on dit, c'était un don de Dieu. Il parait qu'il avait des disciples djinns et ces derniers aussi lui donnaient du hadiya [un don pieux].
CSLT : Mon père m'a une fois envoyé là-bas pour remettre un hadiya de 30,000 FCFA à Sidy Lamine. A mon arrivée à Ndiassane, j'ai vu son secrétaire, Adiouma, et j'ai dit à ce dernier que je venais de la part de mon père.
28 :04 : MH : Est-ce que Adiouma vit toujours ?
CSLT : Non, il est mort. A mon arrivée donc, Adiouma informa le khalife qui lui demanda de me laisser entrer. Une fois ensemble, le khalife me demanda le montant de l'argent que je lui amenais. Je lui dis que c'était 30,000 fcfa. Le khalife demanda à Adiouma de sortir les lettres et j'avoue que j'ai eu une grande stupéfaction ce jour à voir le tas énorme que constituaient les lettres. On se mit à ouvrir les lettres et chacune d'elle contenait beaucoup d'argent. Il me dit alors ceci : « tu sais, Sidy, je n'ai jamais eu à puiser dans mes économies pour construire le bâtiment que tu vois ici. Chaque jour, Dieu me donne assez d'argent pour la construction de ce bâtiment. Vous voyez donc que seul Dieu et lui connaissaient la provenance de sa richesse.
29 :14 : MH : J'ai lu une fois que son héritage n'a pas été complètement fait. Il parait que certaines des malles qu'il avait laissées n'ont pas été ouvertes.
CSLT : Aah, je ne sais rien par rapport à cela. Rires.
29 :30 : MH : Mais vous faites partie des enfants de la maison ?
CSLT : Oui, mais vous savez que moi je suis ici, pas à Ndiassane.
BK : Une simple explication est quand une personne riche meurt, il devient difficile de retrouver toute sa richesse…
29 : 43 : MH : Après il vous donne le micro.
BK : Comme vous voulez.
29 : 45 : MH : Vous savez quand on se met à la quête d'information par rapport à un évènement ancien, on demande aux anciens, à ceux qui ont été témoins. On essaie de rassembler les bribes fournies par chacun d'eux afin de mettre tout ensemble et de voir ce qu'il en est. En se basant sur les informations répétées par plusieurs personnes, on peut sa rapprocher ou trouver la vérité. C'est une méthode de travail. Le travail de l'historien consiste à requérir beaucoup d'informations de plusieurs personnes. Voila son petit fils, je peux lui demander des informations. Je devrais aussi pouvoir poser des questions à vous-même qui êtes son disciple parce que votre père était proche de lui et il se pourrait qu'il vous ait donne des informations sur lui.
CSLT : Mon père était très proche de lui. Quand l'heure de sa mort s'approcha, Baye Sidy Lamine a appelé ici pour avertir mon père et lui demander de venir le retrouver à Ndiassane sur le champ. C'est moi-même qui aie décroché l'appareil et parle avec lui. Et aussitôt j'informai mon père de l'appel, aussitôt il mit ses habits et alla à Ndiassane. Mon père est resté là-bas jusqu'à la mort de Baye Sidy. Je fus témoin de cela.
31 :12 : MH : Nous savons que les règnes de Cheikh Sidy Lamine et Cheikh Sidy Bécaye ont coïncidé avec des évènements mondiaux qui ont affecté même le Sénégal. Ce sont les deux guerres mondiales. Le règne de Cheikh Sidy Bécaye a coïncidé avec la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale a coïncidé avec le règne de Cheikh Sidy Lamine. Et nous aimerions savoir s'il y a eu des Khadres qui ont combattu durant une de ces deux guerres sous l'ordre de ces deux khalifes.
CSLT : Peut être que ce monsieur peut en parler. J'ai entendu dire que Sidy Mokhtar est allé combattre sous l'ordre de son grand frère, Cheikh Al Bécaye.
32 :25 : Qui ça ? Cheikh al Bécaye. C'est à la première guerre mondiale qu'il a participé ? Il s'appelait comment ?
CSLT : Ce n'est pas Sidy Mokhtar. Je pense…
BK : C'est lui.
CSLT : C'est lui ? C'est Sidy Mokhtar, oui !
BK : Lui et Cheikh Al Bécaye sont de même père et de même mère.
CSLT : Ils sont de même père et de même mère.
32 :36 :MH : C'est un fils de Cheikh Bou.
CSLT : Oui, il est fils de Cheikh Bou.
32 : 40 : MH : Dites-moi, ce sont les blancs qui avaient demandé que Ndiassane envoie quelqu'un, sinon comment est-ce les choses se sont passées ? Dans quel cadre était-il parti ?
BK : C'est dans le cadre…
CSLT : Il était soldat…
32 :50 : MH : Il était soldat ?
CSLT : Oui, vous savez….
BK : Non, il n''était pas soldat…
CSLT : Oui, allez-y…
BK : Donnez le micro.
[Tous les trois] Non, continuez…
Cinquième Piste
00:01 : MH : Vous vous appelez comment ?
BK : Je m'appelle Babacar Kounta…
00 :03 : MH : fils de qui ?
BK : Je suis le fils de Mamadou Lamine Kounta mais il ne s'agit pas du Sidy Lamine Kounta dont nous parlions tout à l'heure.
00 :16 : MH : Ce Sidy Lamine Kounta est un petit-fils de Cheikh Bou ?
BK : C'est exact. Mon père est l'arrière petit fils du frère ainé de Cheikh Bou.
00 : 25 : MH : Il est originaire de Ndankh donc ? Vous êtes de Ndankh donc ?
BK : Effectivement, je suis originaire de Ndankh.
00 :32 : MH : Je vais vous reposer la question sur les deux guerres mondiales. Cheikh Sidy Bécaye a régné durant la première guerre et Cheikh Sidy Lamine durant la deuxième guerre. Nous savons que certaines familles religieuses avaient envoyé des disciples ou des membres de leur famille en guerre et je voudrais savoir comment et pourquoi ils s'y étaient rendus.
BK : Ils n'ont pas été envoyé pour combattre parce qu'ils étaient militaires ou soldats mais parce que les recruteurs se disaient que leur tâche serait facilitée si des proches des familles religieuses étaient envoyés en premier lieu. Les recruteurs se sont rendus chez toutes les familles religieuses pour en parler avec eux et c'est dans ce cadre que Cheikh Al Bécaye a envoyé son frère cadet, Cheikh Sidy Mokhtar au front. Il parait que Dieu lui a permis de faire des miracles dès sa jeunesse. Beaucoup de gens ont par ailleurs dit que la fin de la guerre a pris fin à son arrivée. Il n'a pas eu à combattre. Dieu lui avait donné beaucoup de dons et il pouvait arrêter un train, un bâteau, grâce à ses dons.
02 :41 : MH : Vous savez qu'il y a eu un recrutement. Blaise Diagne a participé à cela afin d'aider les français. Et nous voudrons savoir si Ndiassane a eu à donner un mot d'ordre religieux, un ndigueul, pour envoyer des disciples de Ndiassane ?
BK : Si c'est le cas, je ne suis pas au courant d'un des disciples de la famille Kounta qui s'est fait recruter sur ordre du marabout.
03 :09 : MH : Peut-être des gens qui ont été recruté et qui habitaient à Ndiassane tout simplement, des gens qui étaient des disciples de Ndiassane ou d'autres familles religieuses sachant qu'on avait donné un ndigueul.
BK : Oui, je connais des disciples Kounta qui ont été enrôlés, ils sont devenus des soldats. Je connais aussi deux anciens combattants qui habitent à Ndankh, qui sont des khadres, qui étaient à la guerre.
03 :33 : MH : Ont-ils participé à la guerre de leur propre gré ou c'était un ndigueul ?
BK : Ils n'avaient pas le choix. Tous les jeunes qui étaient physiquement aptes étaient sujets à ce recrutement.
03 :49 : MH : Je pose cette question parce que durant la guerre, quand Blaise Diagne fut nommé député et qu'il fut chargé de recruter, beaucoup de gens l'ont aidé et ainsi il a pu recruter plus qu'il n'en fallait. C'est pour cela que nous voulons savoir si les marabouts y ont joué un rôle.
BK : Cette époque a coïncidé avec le règne de Cheikh Sidy Lamine. C'est plus récent.
04 :11 : MH : Oui, je sais que la première guerre s'est passée durant le règne de Cheikh Al Bécaye, et que la deuxième a eu pendant que Cheikh Sidy Lamine était khalife.
BK : Je ne pense pas que Cheikh Sidy Lamine ait aidé Blaise Diagne dans son recrutement.
CSLT : Rappelez-vous de ce que je vous ai dit. Personne n'avait le courage d'aller demander à Cheikh Sidy Lamine de l'aider à recruter des combattants. Comme je vous l'avais dit, Sidy Lamine [Kounta] était craint de tous. Personne n'osait lui demander cela. Faire face à lui et lui demander des soldats ? Personne n'osait le faire !
BK : Je ne dis pas que cela ne s'est pas passé mais je n'en ai pas entendu parler.
04 : 58 : MH : Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter ou pas ?
BK : C'est tout ce que j'avais à dire.
CSLT : Ben, vous posez les questions…
04 :55 : Bon, c'est une question que j'ai posé à tout le monde. S'il y a des choses qu'il voudrait ajouter, ce serait très bien.
BK : C'est tout ce que j'avais à dire.
05 :15 : MH : Donc on revient à Monsieur Sidy Lamine.
Sixième Piste
00 :03 : MH : Parlons des dahiras. Nous savons que ces structures renforcent et agrandissent les confréries. Et nous aimerions savoir si votre père avait créé et installé un dahira ici. Comment est-ce qu'il organisait les disciples ? Est-ce que vous-même avait cherché à créer un dahira ou avez-vous simplement réorganisé un dahira que vous avez trouvé sur place ? S'il y en a eu, comment est-ce que vous vous organisé avec les disciples ici à Dakar ?
CSLT : Dieu a fait qu'il n'y avait aucun dahira quand mon père a été installé. Avec l'aide de son bras droit, Moussa Gindo, il convoquait tout le monde ici pour les réunions. C'est au cours des années 50 que nous avons créé le premier dahira ici à Dakar. C'est ici que nous avons créé le premier dahira khadres de Ndiassane. Toute autre dahira a connu son origine ici même. Toute personne qui voulait créer un dahira venait ici pour recevoir l'approbation auparavant. Quand lui-même (mon père) a voulu installer un dahira ici, il a envoyé deux de ces assistants – Baba Sidibé et Vieux Fall – pour en informer Baye Sidy. Ce dernier leur chargea de dire à mon père qu'il ne lui demandait pas faire cela et qu'il devait attendre un peu avant de fonder un dahira parce que fonder un dahira n'est pas une petite affaire. Ils revinrent et peu de temps après retournèrent auprès de Baye Sidy pour lui faire part de nouveau de leur désir de créer un dahira. Et c'est à la deuxième tentative qu'il lui donna l'autorisation de créer un dahira et lui dit qu'il était le guide du dahira, que rien ne soit fait dans le cadre du dahira sans que mon père ne l'accepte. Et toute personne qui allait à Ndiassane sans passer par mon père était renvoyé auprès de lui par Baye Sidy dès que la personne arrivait à Ndiassane. Beaucoup de gens ont cherché à combattre mon père et certaines amenaient beaucoup d'argent à Baye Sidy mais ils chassaient et refusaient de prendre leur argent dès qu'il apprenait qu'ils n'étaient pas venus voir mon père auparavant. Il fallait passer par mon père pour recevoir son autorisation. C'était un homme de vérité, Sidy Lamine. Grace à Dieu, les dahiras se sont multipliés. Bargny et toutes les autres localités avaient des dahiras. Mon frère ainé qui l'a succédé a suivi ses pas et j'en fais de même maintenant que je me trouve à leur place. Nous avons, par ailleurs, créé une association regroupant les disciples que Cheikh Bou a élevé à la position de Cheikh. Cette structure diffère du dahira. Nous avons des rencontres mensuelles à l'occasion desquelles on cotise et durant le Ramadan on achète plusieurs choses (sucre etc.) et on part donner tout au khalife. Voilà comment nous nous organisons ici.
05 :00 : MH : Donc c'est le dahira qui se trouve dans cette maison qui est celle des cheikhs ?
CSLT : C'est le plus ancien des dahiras mais chaque localité a des cheikhs.
05 :08 : MH : Est-ce qu'il ne regroupe que les cheikhs de Dakar ?
CSLT : Seuls les cheikhs de Dakar.
05 :13 : MH : Combien de cheikhs y a-t-il à Dakar ?
CSLT : Ah, je ne connais pas le nombre exact mais je sais qu'il y en a beaucoup. Je sais que le nombre dépasse 200. Voilà comment nous fonctionnons.
05 :32 : MH : Je vois des tabalas et autres quand je passe par ici parfois.
CSLT : Oui, c'est le dahira.
05 :37 : MH : Le dahira a son siège dans la maison jusqu'à présent ?
CSLT : Oui, le dahira est toujours basé ici.
05 : 39 : MH : Est-ce qu'il y a un dahira pour les hommes et un autre pour les femmes ?
CSLT : Les femmes et les hommes partagent le même dahira.
05 :48 : MH : Quel nom avez-vous donné au dahira ?
CSLT : Dahiratoul Mounirou Akhlou Kountiyou ! C'est Sidy Lamine Kounta qui nous a donné ce nom.
06 :01 : MH : C'est donc le dahira qu'il avait permis à votre père de créer qui marche jusqu'à présent ?
CSLT : Exactement. C'est ce dahira qui marche jusqu'à présent.
05 :06 : MH : C'est à partir de ce dahira que les autres dahiras ont été fondés ?
CSLT : Oui, ce dahira a été à la base de la création des autres dahiras. Le deuxième dahira à être fondé après celui-ci est Figmik. Il est basé à la Medina et était dirigé par Laye Ndiaye.
05 :25 MH : Est-ce que votre dahira est le seul qui existe en ce moment à la Médina pour les Akhlou Kountiwou ?
CSLT : Oui, c'est le seul dahira.
06 :33 : MH : Il me semble qu'il y a un dahira par quartier ?
CSLT : C'est comme cela que les choses étaient dans le passé mais les déplacements des gens ont fait que beaucoup de dahiras ne fonctionnent plus. Mais ce dahira marche depuis sa création. Ce dahira marche toujours comme nous le souhaitons.
07 :16 : MH : Nous aimerions savoir ce qui est arrivé aux nombreuses maisons que Cheikh Bou possédait à Dakar ? Nous savons qu'il avait une maison sur la rue Thiong et ailleurs. Qu'en est-il de ces maisons ?
CSLT : Les maisons étaient nombreuses, oui.
07 : 37 : MH : elles sont entre les mains de membres de la famille ou bien ?
Abdoulahi Kounta (AK) : Vous savez… je pense que vous avez déjà été à Ndiassane…
CSLT : Je pense que c'est les khalifes qui en savent quelque chose…
AK : Vous savez… je pense que vous avez déjà été à Ndiassane…
07 :55 : MH : Vous vous appelez comment ?...
AK : Abdoulahi Kounta !
07 : 58 : MH : Abdoulahi Kounta…
AK : Je m'appelle Abdoulahi Kounta. Je suis le fils de Abdou Bécaye Kounta qui était le fils de Cheikh Al Bécaye Kounta dont vous parliez tout à l'heure.
08 :06 : MH : Monsieur Abdou Kounta, le père de l'actuel imam ?
AK: Exactement. Abdou Bécaye est le père de l'actuel imam, ce dernier est mon grand frère.
08 :15 : MH : Oui, je le connais.
AK : Imam Sidy Omar ?
08 :19: MH: Oui
AK : C'est mon grand frère. Je ne vais pas beaucoup parler parce qu'il nous est difficile de parler à propos de cela. Il connait beaucoup de choses sur El Hadji Cheikh Thiam et Cheikh Bou Kounta mais il lui sera difficile de vous dire le sort qu'ont connu les maisons que Cheikh Bou Kounta possédait à Dakar.
08 :42 : MH : Mais il est très proche de la famille.
AK : C'est tout à fait vrai.
08 :45 : MH : Vous savez que je peux vous demander certaines choses parce que vous êtes les Kounta. Et la raison pour laquelle nous sommes venus ici aujourd'hui c'est parce que j'ai constaté qu'Ansou Thiam était très proche de la famille et que sa famille est très impliquée dans les affaires de la famille Kounta. Nous cherchons plusieurs points de vue…
CSLT : Il y a des évènements qui se sont passés entre Ansou Thiam et ton grand père, Cheikh Al Bécaye, dont j'ai oublié de parler…
09 : 30 : MH et AK : Oui, vous pourriez en parler après.
AK: Comme ils ont quitté Ndiassane, il leur sera difficile de parler de la maison de Cheikh Bou et de sa richesse même si tout le monde est d'accord qu'il était riche. Personnellement, je ne peux vous donnez de solides informations sur ces questions parce que je ne fais qu'écouter et apprendre en ce moment. Si vous posiez ces questions aux anciens qui sont à Ndiassane, ils pourraient vous donner des informations fiables. Comme vous aviez dit tout à l'heure, on dit que le terrain qui se trouve à la rue Carnot lui appartenait. Certains y rajoutent même le palais et l'assemblée nationale mais je ne pourrais vous donner de bonnes informations à ce propos. Comme c'est une affaire de succession, les papiers titres fonciers étaient détenus par Cheikh, après c'était Cheikh Al Bécaye, après Cheikh Sidy Lamine, après El Hadji Mamadou, après Cheikh Sidy Yakhya, après Cheikh Bou.
10 :25 : MH : Je posais la question pour en venir à celle-ci. Il parait que les phosphates de Taïba vous appartiennent et le titre foncier se trouvait dans la malle de Sidy Lamine ?
AK : Oui, c'est vrai…
10 :35 : MH : Nous voudrions savoir si ces papiers ont été sortis de la malle de Cheikh Sidy Lamine à sa mort. C'est pour cela que j'ai commencé avec cette question sur les biens pour voir comment vous les gérer au sein de la famille. Vous êtes jeune mais comme c'est vous qui avez été à l'école, c'est à vous que revient la tâche de s'occuper d'affaires pareilles. Les biens matériels ont plus d'importance de nos jours comparativement au temps des anciens et je me demandais si vous cherchiez à entretenir, maintenir et rechercher les biens laissés par les générations passées. C'était pour voir si vous vous occupez du patrimoine qu'ils ont laissé que je vous pose cette question.
AK : Je comprends. Mais comme je n'ai vu de document concernant les terrains attribués à la famille, je ne peux rien en dire. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, les sites de Taïba, du palais présidentiel et de l'assemblée nationale ont été attribués à la famille mais je n'ai vu de document attestant ces rumeurs jusqu'à présent. Mais, si vous allez à Ndiassane et que vous vous informiez auprès d'une personne déléguée par le khalife, vous pourriez accepter et croire en tout ce qu'il vous dira. C'est pour cela que je dis cela.
12 :12 : MH : Vous savez, que la plupart des générations passées n'ont pas été à l'école mais aujourd'hui tout le monde sait que les enfants des familles religieuses vont à l'école et les générations actuelles donnent de l'importance a certaines qui importaient pas beaucoup pour les anciens. La famille est beaucoup plus organisée maintenant. En 1984 et 1985 quand je faisais des recherches sur la famille de Cheikh Bou Kounta, il n'y avait pas autant de dahiras à l'époque. Je suis venue ici à maintes reprises quand le vieux vivait et c'est l'époque où j'ai débuté mes recherches. Donnez-lui le micro pour qu'il termine.
AK : C'est vrai. Oui, si vous avez des informations à partager, des propriétés qui appartiendraient à Cheikh Bou que vous pouvez citer, allez-y. Cette lampe est fonctionnelle ?
CSLT : Non, elle est détériorée… Pour parler de la relation entre Ansou Thiam et Cheikh Al Bécaye. Ansou Thiam avait une fois annoncé à Cheikh Al Bécaye qu'il allait retourner en Gambie. Il se prépara et se mit en route avec sa famille et c'est à ce moment que Cheikh Al Bécaye envoya des gens pour qu'ils lui disent de revenir. Il n'était pas loin de la Gambie quand les envoyés de Cheikh Al Bécaye le rattrapèrent et lui transmirent le message. Il rebroussa chemin à l'instant même. Quand il retourna à Ndiassane, Cheikh Al Bécaye fit un pacte avec lui. Il lui dit ceci : « retourne chez toi à Keur Serigne Thiam et ensemble nous allons élever les enfants. Si tu meurs avant moi, je vais prendre ta famille en charge et s'il arrive que je meure avant toi, tu prendras soin de mes enfants jusqu'à ceux qu'ils soient en mesure de diriger alors tu les laisseras gérer ». Voilà la raison pour laquelle nous sommes restés ici au Sénégal sinon nous serions en Gambie au moment ou je parle. Voilà ce que je voulais y ajouter...
15 :08 : MH : Ah c'est bien. Maria, on peut arrêter [en français] ? On vous remercie.
Première Piste [en Bambara (Bamanankan)]
00:00 – 02 :02 Madame Toba Diagne Haïdara (MH)
[Dans cette partie qui s'est faite en bamanankan, l'enquêtrice salue l'interviewé, explique le but du projet de recherche et demande la permission de mettre l'entrevue sur internet. En outre, elle demande à l'interlocuteur la langue dans laquelle il souhaiterait que l'entretien se fasse : en wolof ou en bamanankan.]
Deuxième Piste
[Vide]
Troisième Piste
00 :02 : MH : Nous passons au wolof à présent
Cheikh Sidy Lamine Thiam : Voilà.
00 :05 : MH : Je m'excuse d'avance parce qu'il n'est pas facile de parler [l'art oratoire n'est pas donné à tout le monde] (rires) ….
Il faudra lui dire… Ah, c'est vrai. Il n'est pas facile de parler mais tout rira bien. Nous vous dirons tout ce que nous en savons, ce que nous avons appris de nos ainés puisque nous n'avons pas été des témoins oculaires. (Rires)
00 : 23 : MH : Oui, c'est vrai…
Nous avons entendu les récits des anciens. (Rires)
00 : 33 : MH : tu as déjà allumé ? [en Français]
Maria Grosz-Ngaté : oui !
Quatrième Piste
00: 02: Bismilah. Bonjour!
Cheikh Sidy Lamine Thiam (CSLT): Bonjour!
00 :04 : MH : Nous sommes ici aujourd'hui voir les descendants d'Ansou Thiam, chez Ousmane Thiam.
CSLT : C'est cela.
02 :14 MH : Nous sommes juste des chercheurs, des enseignants et avons un projet de recherche sur les familles religieuses. Nous [elle], nous [ne] sommes [pas] des disciples de la famille Kounta. En faisant des recherches, nous avons appris que votre grand-père, Ansou Thiam, avait joué un rôle auprès Cheikh Bou Kounta.
CSLT: C'est exact!
00 : 44 : MH : Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Nous sommes venus pour que vous nous parliez de comment est-ce que ces deux personnalités…
CSLT : Leurs relations …
00 :52 : MH: … se sont rencontrées... Comment est-ce qu'ils ont vécu ensemble jusqu'à ce que vous, les descendants, puissiez représenter la famille Kounta ici à Dakar. Aussi faut-il préciser que ce travail rentre dans un cadre pédagogique. L'objectif est de trouver des réponses à un certain nombre de questions que nous mettrons sur internet. Tous ceux qui s'intéresseront à la tarikha ou à la famille [Kounta] pourront ainsi y accéder, quelle que soit la quantité…
CSLT: C'est vrai…
01 :34 : MH : Que ce soit un enseignant, un élève ou un étudiant. Ces sont des américains qui supervisent ce travail…
CSLT: C'est vrai.
01 :40 : MH : Celle-ci est professeur à l'université d'Indiana. Comme le professeur Robinson, elle travaille sur d'autres choses. C'est un travail à but non lucratif. La visée est purement éducative. C'est vraiment cela notre objectif.
CSLT: Tout à fait…
01 : 55 : MH : Pour cette raison, nous aimerions enregistrer la conversation, avec votre permission, pour que si nous devons vous citer en tant que Baye Sidy Thiam, fils de Ansou Thiam, qui fut un grand disciple de Cheikh Bou Kounta, nous pourrons le faire. Si l'assistance est d'accord nous pourrons procéder à l'enregistrement.
CSLT: D'accord.
02 : 35 : MH : Maintenant à vous de nous dire si vous êtes d'accord ou pas. (Rires)
CSLT: (Rires)
02 :38 : MH : C'est cela la procédure chez les blancs. (Rires) Il faut que la personne donne expressément son consentirent.
CSLT: Vous savez tout ce qui vous prends au dépourvu vous dépasse d'habitude.
Grace à nos parents et grands-parents, nous pouvons aujourd'hui nous présenter en digne héritiers des Kounta. Notre nom de famille Thiam nous est venu de notre relation avec les Kounta. Nous sommes originaires du Fouta, Fouta Alwaar, mais c'est notre grand-père qui est parti s'installer en Gambie. Il a habité en Gambie jusqu'à la naissance de nos arrière-grands-parents. Notre grand-père Ansou Thiam a émigré d'une ville gambienne appelée Sabidji pour aller vivre avec son oncle dans la ville de Kobo Koudiour. Il est resté dans cette ville auprès de son oncle. Cheikh Bou Kounta est parti de Ndankh à pied et s'est mis à prier jusqu'à son arrivée à la ville de Kégné Kégné Diamang où il est resté adorer Dieu. A cette époque, notre grand-père avait un éleveur qui, en allant dans la brousse en compagnie d'Abdoul Karim, a vu Cheikh Bou Kounta.
04 : 24 : MH : Il était dans la brousse ?
CSLT : Oui, Cheikh Bou était resté dans la brousse, non loin de la mer, et il se mettait à prier. Quand l'éleveur de l'oncle de mon grand-père vit Cheikh Bou Kounta, il partit dire à son maitre : « j'ai vu, dans la brousse, un marabout qui passe tout son temps à prier. Il m'intrigue ». En entendant cela, mon grand-père remit du miel et gâteau de mil à l'éleveur pour qu'il aille remettre cela à Cheikh Bou Kounta. Après quelques temps, mon grand-père s'enquérait auprès de son éleveur pour savoir si Cheikh Bou Kounta était toujours dans la brousse. Après avoir appris que Cheikh Bou Kounta était toujours dans la brousse, mon grand-père remis le gâteau de miel et du miel à l'éleveur pour qu'il aille le donner à Cheikh Bou Kounta. Mon grand-père dit à l'éleveur de demander à Cheikh Bou Kounta de passer dans le village dès qu'il aura fini ses travaux.
05 :45 : MH : A l'époque, c'est votre oncle qui était le chef du village ou bien ?
CSLT : Non, il s'agit de l'oncle de mon grand-père.
05 :57 : [Une personne de l'assistance] : Dites-lui le nom de cette ancêtre.
CSLT : Notre oncle, Ousmane Thiam, du moins, Ansou Thiam. Il était jeune à l'époque, il n'était pas encore marié. Après avoir terminé ses prières, Cheikh Bou Kounta alla habiter dans la ville avec l'oncle de mon grand-père Baye Ali Toure. C'est au terme de sa visite chez Baye Ali Toure que ce dernier demanda à notre grand-père Ansou Thiam et deux autres personnes d'accompagner Cheikh Bou Kounta à Ndankh. A leur arrivée à Ndankh, ils furent reçus par Cheikh Al Bécaye qui était le chef du village à cette époque. Cheikh Bou Kounta offrit mon grand-père et les deux autres personnes qui les accompagnaient à Cheikh Al Bécaye.
07 : 02 : MH : A l'époque, votre grand-père devait avoir quel âge
CSLT : (rires) Ah, ça je ne sais pas. Mon grand-père était jeune à cette époque. La différence d'âge entre lui et Cheikh Bou n'est pas grande. Cheikh Bou les laissait très souvent à Ndankh pour voyager. Il vint un temps ou Cheikh Bou fut soumis à l'hostilité de son ainé. Ce dernier le chassait de la ville à chaque fois qu'il y revenait. Consterné par la situation, ils posèrent à la mère de Cheikh Bou Kounta cette question : « mais ces gens sont du même père, pourquoi chassent-ils Cheikh Bou Kounta à chaque fois qu'il revient au village » ?
Quand le marabout prit connaissance des inquiétudes de mon grand-père Ansou Thiam et de ses compagnons, il répliqua en disant : « vous savez, je suis bien plus âgé que Cheikh Bou mais nos personnalités et auras ne sont pas compatibles. Nos deux auras ne peuvent pas cohabiter ensemble dans cette ville, et sachant que mon aura va détruire le sien s'il reste dans le village, je lui suggère de quitter la ville ».
La cohabitation fut négociée de cette manière jusqu'à ce qu'il fût temps pour Cheikh Bou d'aller créer son propre village. Alors, il quitta le village de Ndankh accompagné de notre grand-père Ansou Thiam, Abdou Karim et d'autres personnes pour aller créer la ville de Bagne. J'ai le papier [qui détaille cela] mais je ne le retrouve plus.
08 : 30 : MH : Ah, c'est lui qui a fondé le village de Bagne.
CSLT : Oui, c'est lui [Cheikh Bou] qui a fondé Bagne avant d'aller à Keur Yoro. Après avoir habité à Keur Yoro pendant longtemps, il a habité à Keur Yoro pendant un temps assez considérable aussi mais cette place ne lui satisfaisait pas non plus. Il parait que quand Cheikh Bou éprouva un désir fort de s'établir quelque part, il prit un oiseau, attacha une amulette au pied de l'oiseau et le laissa voler. Après avoir cela il demanda à mon grand-père de suivre l'oiseau au vol et de marquer l'endroit où il se posera car c'est à cet endroit qu'il (Cheikh Bou Kounta) allait s'établir. L'oiseau se posa sur un tamarinier, mon grand-père laissa une marque sur la place. L'oiseau retourna auprès de Cheikh Bou Kounta pour lui remettre l'amulette. Mon grand-père revint après l'oiseau pour dire à Cheikh Bou Kounta que le lieu où il devait habiter était trouvé – et ce lieu était Ndiassane.
Le texte que j'ai reçu du vieux Modou Traoré dit que les disciples qui étaient avec Cheikh Bou à cette époque était au nombre de cinq. Quand ils voulurent dégager un espace pour y habiter, le roi de cette époque s'y opposa. Mon grand-père répliqua en disant que l'ordre de Cheikh Bou prévalait pour lui et tous les autres disciples devaient se mettre à désherber la place avec lui. Voilà comment ils créèrent Ndiassane. C'est ce que j'ai appris de l'histoire orale. Je n'étais pas témoin, c'est juste ce que j'ai appris. Je ne sais si cela s'est passé exactement ainsi ou pas. (rires)
Babacar Kounta (BK) : l'histoire fonctionne ainsi en fait.
10 : 43 : MH : Il y a beaucoup de choses dont nous n'avons pas été témoin. Nous les apprenons de la tradition orale.
CSLT : Ce monsieur est mon grand-frère. Il pourra témoigner s'il a la même version des choses que je raconte.
10 :49 : MH : Après vous, nous pourrons donner le micro à quiconque veut s'exprimer. Là où il est assis, s'il s'exprime, la qualité de l'enregistrement ne sera pas bonne.
CSLT : D'accord…Voilà donc ce que j'ai appris de l'histoire orale.
11 :05 : MH : cela confirme le standing qu'il avait en tant que talibé qui a désherbé le lieu d'habitation. C'est ce rapport-là qui continue aujourd'hui ?
CSLT : C'est cela. S'il s'agit du khalifat de mon homonyme, Baye Sidy Lamine Kounta, nous pouvons en parler avec plus d'aisance. Nous avons été témoin de plusieures choses le concernant. D'ailleurs, c'est lui qui a amené mon père à Dakar. Mon père, El Hadji Cheikh Thiam.
11 :37 : MH : J'allais vous poser cette question d'ailleurs. Nous savions que Cheikh Bou avait beaucoup de maisons à Dakar. Quel est l'historique de cette maison ? Pourquoi Baye Sidy Lamine avait construit et installé votre père dans cette maison.
CSLT : Baye Sidy Lamine… Cette maison appartenait à Moussa, le douanier.
12 :05 : MH : Moussa… ?
CSLT : Moussa, le douanier.
12 : 09 : MH : Moussa Waly ?
CSLT : Moussa, le douanier.
12 :11 : Ah Moussa, le douanier.
CSLT : Il était douanier et on l'appelait Moussa.
BK : faudra préciser aussi que Ansou Thiam n'a pas été enterré à Ndiassane. Il avait fondé son propre village.
CSLT : Oui, c'est vrai. On en est pas encore arrivé à ce niveau, c'est pourquoi. Je lui dirai le parcours de Ndiassane après son départ de Ndiassane, le village qu'il a fondé jusqu'à cette maison dans laquelle nous sommes.
12 :39 : MH : Nous pouvons parler de cela…
CSLT : Quand Cheikh Bou donna un blanc seing à Ansou Thiam pour qu'il aille à son tour créer une communauté. Il quitta Ndiassane et alla séjourner d'abord à Ndoucoumane.
13 : 09 : Ndoucoumane se situe où ?
CSLT : C'est dans les environs de Tivaouane. Par la suite, il vint habiter à Bargny et séjourna dans la ville de Ndoukhoura.
13 :20 : MH : Ndoukhoura ? Ndoukhoura se situe où ?
CSLT : Ndoukhoura, oui. C'est près de Bargny et de Yène. Certaines de nos tantes paternelles sont nées là-bas. Quand nos tantes paternelles grandirent, Ansou Thiam, notre grand-père, quitta Ndoukhoura pour aller dans le village de Ngeurigne.
13 :45 : MH : Ngeurigne ? Ndeuri ?
CSLT : Ngeurigne. Ngeurigne !
13.52 : MH : ça se trouve où ?
CSLT : Un village appelé Ngeurigne, dans les environs du campement Nguékhokh…
13 :57 : MH : A côté de Nguékhokh, dans les environs du campement Nguékhokh…A côté de Somone…
CSLT : Oui ! Mais il n'a pas dure là-bas. Puis il quitta pour aller à Saly Coulang.
14 :11 : Saly Coulang ? C'est là où il y a l'hôtel aujourd'hui ?
CSLT : Oui ! C'est là-bas que mon père est né – El Hadji Cheikh Thiam. Après cela il vint créer le village près du campement Nguékhokh. La cité fut appelée Keur Serigne Thiam. Elle existe toujours. Nous avons des oncles, des tantes, des parents qui vivent jusqu'à présent là-bas.
14 :40 : MH : Il parait que c'est un grand foyer religieux.
CSLT : Oui ! On l'appelle Keur Serigne Thiam. Mon père est parti de là-bas pour venir informer Baye Sidy qu'il allait en Gambie pour étudier. Baye Sidy était le khalife à l'époque et mon père n'était pas encore venu ici. C'est quelqu'un dont j'oublie le nom qui occupait cette maison. [On lui souffle le nom]. C'est Alpha Drame, un fervent disciple, qui l'occupait.
15 : 07 : MH : Alpha Drame était un des disciples aussi…
CSLT : Oui, il faisait partie des disciples,
15 : 10 : Donc lui, Alpha Drame, et ton grand-père étaient auprès de Cheikh Bou à la même période.
BK : C'est le grand-père de Yacine et autres.
CSLT : Exactement, c'est le grand-père de Yacine. Donc c'est lui qui occupait la place que j'occupe maintenant mais quand Baye Sidy vint de Ndiassane, Alpha Drame était absent. Il avait voyagé. Baye Sidy était venu de Ndiassane et mon père était venu l'informer de son désir d'aller étudier en Gambie. Baye Sidy lui demanda de rester auprès de lui, et il est resté ici pendant longtemps. Un jour, il demanda à un de ces disciples, Moussa Guindo – en ce temps Dakar n'était pas grand - d'appeler les autres disciples. Après avoir rassemblé tous les disciples, il leur dit qu'à partir de cet instant-là, le nouveau guide était El Hadji Cheikh Thiam. Cette décision n'était bien pas approuvée par les disciples. Il y eut des contestations.
16 :22 : MH : A l'époque, il n'était pas âgé ?
CSLT : Mon père était jeune à cette époque. Mais c'est à partir de cet instant qu'il commença à représenter Sidy Lamine Kounta ici : de 1932 jusqu'à 1973, à la mort de Sidy Lamine Kounta. Il fut conforté dans sa position par El Hadji Mamadou qui succéda à Sidy Lamine Kounta. Baye Sidy Yakhya qui remplace El Hadji Mamadou au bout de deux ans et demi, je pense, maintint mon père comme guide. Dix ans après le mandat de mon père fut renouvelé par Baye Bou qui remplaça Sidy Yakhya. A la mort de mon père le 10 Aout 1990, mon grand frère Abdou Thiam fut choisi pour le remplacer. Ce dernier mourut en 1999, et je l'ai remplacé. Voilà ce que je connais (rires), et qui veut en rajouter quelque chose peut le faire.
18 :58 : MH : Est-ce que les autres disciples qui vivaient avec votre grand père à Ndiassane sont restés là-bas à la mort de Cheikh Bou ? Ou ils sont restés là-bas ?
CSLT : Je sais qu'Abdou Karim s'est installé à Ndey, Malamine Senghor s'est établi à Thiès et il y avait un autre qui s'était installé à Sébikotane mais je ne connais pas son nom.
19 :43 : MH : Est-ce qu'Ansou a été enterré chez lui au campement Nguékokh ?
CSLT : Oui, il a été enterré au campement Nguékokh, à Keur Serigne Thiam.
19 :52 : MH : Et si l'on revenait à Sidy Lamine. Nous savons qu'après le règne de Cheikh Bou, c'est Cheikh Bécaye qui a régné et que ce dernier fut succédé par Sidy Lamine. Nous savons que le khalifat de Sidy Lamine a duré…
CSLT : C'est vrai. Il a régné pendant quarante-cinq ans. Ce monsieur est son petit-fils…
20 :14 : MH : Nous avons entendu dire qu'il avait une forte personnalité et que Dieu lui avait confié une richesse. D'après nos informations, Sidy Lamine ne s'entendait pas bien avec le gouvernement et les blancs. Comme vous aviez été témoin de son règne, pourriez-vous nous dire pourquoi il ne s'entendait pas avec eux ?
CSLT : C'était un homme de vérité, qui connaissait Dieu, son prophète, sa famille et ses ancêtres. Voilà ce qu'il était. Tout le monde avait peur de lui et toute personne qui s'adressait à lui baissait les yeux quand Sidy Lamine le regardait. Lorsque quelqu'un médisait contre une personne, il ne disait rien. Il attendait que les personnes concernées se réunissent pour connaitre la vérité. Sidy Lamine avait de l'amour pour l'être humain et quiconque ne disait pas la vérité ne pouvait s'assembler avec lui. Il ne s'intéressait ni aux menteurs, ni a ceux qui n'étaient pas passionnés par la recherche de la connaissance. Je ne pense pas qu'il y ait une personne parmi les Kounta qui ait plus de connaissance que Sidy Lamine. Il pourrait qu'il y en ait mais ce sera difficile d'en trouver. Dieu avait fait de lui un homme de vérité, un homme saint lui avait donné une richesse et avait fait de lui une personne aimée de tous. Je pense qu'à regarder tout ce que Dieu lui a donné, on se rend compte que les dons qu'il avait reçu du Tout-Puissant étaient uniques. Il est rare qu'une personne reçoive autant de dons de Dieu. La grandeur d'une personne n'empêchait pas à Sidy Lamine de lui dire la vérité quand il en venait à cela.
23 :32 : MH : Et pourquoi est-ce qu'il ne s'entendait pas avec le gouvernement ?
CSLT : La vérité.
23 :36 : MH : Rien que la vérité.
CSLT : Tout à fait. (Rires)
23 :40 : MH : S'est-il disputé avec eux ?
CSLT : Non, non…
BK : Il n'aimait pas la politique...
23 : 43 : MH : Y a-t-il eu un malentendu ou un différend qui aurait pu les distancer ?
CSLT : Non, non ! Il y a eu rien.
BK : Vous savez, Sidy Lamine ne pouvait pas s'accommoder au mensonge. Sidy Lamine pouvait se mettre à la même table avec n'importe qui mais cela ne l'empêchait de dire la vérité quand il devait de le dire.
CSLT : Voilà la raison pour laquelle, il ne pouvait pas s'entendre avec eux.
24 :16 : MH : Il parait que Senghor a été à Ndiassane pour établir de bonnes relations avec lui mais il n'était pas disposé à entretenir de tels rapports avec lui. Nous posons cette question parce qu'il arrive que deux personnes deviennent des amis et cessent un jour d'être proches à cause d'un manque d'entente ou de conflit d'intérêt.
BK : Vous savez Sidy Lamine ne pouvait pas s'accommoder au mensonge. Et cet aspect de sa personnalité se manifestait même dans son rapport avec les autres chefs religieux. C'est avec le gouvernement qu'il a montré son mépris pour le mensonge le plus mais il ne le réservait pas aux politiciens seulement. L'autre aspect est que les politiques sont médiatisés ce qui fait s'il y a quelqu'un qui garde sa distance par rapport à eux, tout le remarque.
25 :01 : MH : C'est exact. Il parait aussi qu'il était riche.
CSLT : Très riche.
25 :06 : MH : J'ai entendu dire aussi qu'il était à Saint Louis en train de faire du commerce avant le décès du marabout.
Qui ?
25 :15 : MH : Sidy Lamine
CSLT : Avant quoi ?
25 :16 : MH : A la disparition de son père.
CSLT : Il était en Mauritanie. A l'époque du décès de son père, il était en Mauritanie…
25 :23 : MH : En train de poursuivre ses études…
CSLT : … en train de poursuivre ses études. Quand Cheikh Al Bécaye mourut, Sidy Lamine était à Saint Louis mais quand la mort de son père survint, il étudiait en Mauritanie. Il parait qu'il était en train de prier quand son père a quitté ce monde et c'est pendant qu'il priait qu'on lui informa de la mort de son père. Et il parait que ce n'est pas un être humain qui lui fit part de l'information. C'est un tourbillon qui lui appris la nouvelle. Quand son maitre prit connaissance de ce qui était arrivé, il demanda à un ami de Sidy Lamine, d'aller informer ce dernier. Voilà ce que j'ai entendu les gens dire et je ne puis dire si c'est vrai ou pas. Et son ami s'approcha de lui et lui toucha l'épaule, il repoussa le bras et lui dit : « es –tu venu me dire que mon père est mort ? J'en ai déjà été informé ».
26 :46 : MH : Donc quand Cheikh Al Bécaye mourut, il était à Saint Louis en train de faire du commerce ?
CSLT : Exact.
26 : 52 MH : Et en quoi consistait son commerce ? Qu'est-ce qu'il vendait ?
CSLT : Je pense qu'il faisait comme tout autre commerçant, c'est à dire acheter et revendre.
27 :01 : MH : Vous savez qu'il y a certains qui faisaient le commerce de l'arachide, d'autres le commerce de la gomme arabique, d'autres achetaient et vendaient autre chose. C'est pour cela que j'aimerais savoir ce qu'il faisait en tant que commerçant.
BK : Vous savez, le commerce à St Louis… Il vendait des tissues, des parfums, etc. Voilà ce qu'il faisait.
27 :19 : MH : Et toute sa richesse provient de ce commerce ?
CSLT : Non, non.
BK : En fait ce qu'il obtenait du commerce constitue une partie insignifiante de sa richesse. D'ailleurs il n'y a que peu de gens qui savaient qu'il faisait du commerce. Comme on dit, c'était un don de Dieu. Il parait qu'il avait des disciples djinns et ces derniers aussi lui donnaient du hadiya [un don pieux].
CSLT : Mon père m'a une fois envoyé là-bas pour remettre un hadiya de 30,000 FCFA à Sidy Lamine. A mon arrivée à Ndiassane, j'ai vu son secrétaire, Adiouma, et j'ai dit à ce dernier que je venais de la part de mon père.
28 :04 : MH : Est-ce que Adiouma vit toujours ?
CSLT : Non, il est mort. A mon arrivée donc, Adiouma informa le khalife qui lui demanda de me laisser entrer. Une fois ensemble, le khalife me demanda le montant de l'argent que je lui amenais. Je lui dis que c'était 30,000 fcfa. Le khalife demanda à Adiouma de sortir les lettres et j'avoue que j'ai eu une grande stupéfaction ce jour à voir le tas énorme que constituaient les lettres. On se mit à ouvrir les lettres et chacune d'elle contenait beaucoup d'argent. Il me dit alors ceci : « tu sais, Sidy, je n'ai jamais eu à puiser dans mes économies pour construire le bâtiment que tu vois ici. Chaque jour, Dieu me donne assez d'argent pour la construction de ce bâtiment. Vous voyez donc que seul Dieu et lui connaissaient la provenance de sa richesse.
29 :14 : MH : J'ai lu une fois que son héritage n'a pas été complètement fait. Il parait que certaines des malles qu'il avait laissées n'ont pas été ouvertes.
CSLT : Aah, je ne sais rien par rapport à cela. Rires.
29 :30 : MH : Mais vous faites partie des enfants de la maison ?
CSLT : Oui, mais vous savez que moi je suis ici, pas à Ndiassane.
BK : Une simple explication est quand une personne riche meurt, il devient difficile de retrouver toute sa richesse…
29 : 43 : MH : Après il vous donne le micro.
BK : Comme vous voulez.
29 : 45 : MH : Vous savez quand on se met à la quête d'information par rapport à un évènement ancien, on demande aux anciens, à ceux qui ont été témoins. On essaie de rassembler les bribes fournies par chacun d'eux afin de mettre tout ensemble et de voir ce qu'il en est. En se basant sur les informations répétées par plusieurs personnes, on peut sa rapprocher ou trouver la vérité. C'est une méthode de travail. Le travail de l'historien consiste à requérir beaucoup d'informations de plusieurs personnes. Voila son petit fils, je peux lui demander des informations. Je devrais aussi pouvoir poser des questions à vous-même qui êtes son disciple parce que votre père était proche de lui et il se pourrait qu'il vous ait donne des informations sur lui.
CSLT : Mon père était très proche de lui. Quand l'heure de sa mort s'approcha, Baye Sidy Lamine a appelé ici pour avertir mon père et lui demander de venir le retrouver à Ndiassane sur le champ. C'est moi-même qui aie décroché l'appareil et parle avec lui. Et aussitôt j'informai mon père de l'appel, aussitôt il mit ses habits et alla à Ndiassane. Mon père est resté là-bas jusqu'à la mort de Baye Sidy. Je fus témoin de cela.
31 :12 : MH : Nous savons que les règnes de Cheikh Sidy Lamine et Cheikh Sidy Bécaye ont coïncidé avec des évènements mondiaux qui ont affecté même le Sénégal. Ce sont les deux guerres mondiales. Le règne de Cheikh Sidy Bécaye a coïncidé avec la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale a coïncidé avec le règne de Cheikh Sidy Lamine. Et nous aimerions savoir s'il y a eu des Khadres qui ont combattu durant une de ces deux guerres sous l'ordre de ces deux khalifes.
CSLT : Peut être que ce monsieur peut en parler. J'ai entendu dire que Sidy Mokhtar est allé combattre sous l'ordre de son grand frère, Cheikh Al Bécaye.
32 :25 : Qui ça ? Cheikh al Bécaye. C'est à la première guerre mondiale qu'il a participé ? Il s'appelait comment ?
CSLT : Ce n'est pas Sidy Mokhtar. Je pense…
BK : C'est lui.
CSLT : C'est lui ? C'est Sidy Mokhtar, oui !
BK : Lui et Cheikh Al Bécaye sont de même père et de même mère.
CSLT : Ils sont de même père et de même mère.
32 :36 :MH : C'est un fils de Cheikh Bou.
CSLT : Oui, il est fils de Cheikh Bou.
32 : 40 : MH : Dites-moi, ce sont les blancs qui avaient demandé que Ndiassane envoie quelqu'un, sinon comment est-ce les choses se sont passées ? Dans quel cadre était-il parti ?
BK : C'est dans le cadre…
CSLT : Il était soldat…
32 :50 : MH : Il était soldat ?
CSLT : Oui, vous savez….
BK : Non, il n''était pas soldat…
CSLT : Oui, allez-y…
BK : Donnez le micro.
[Tous les trois] Non, continuez…
Cinquième Piste
00:01 : MH : Vous vous appelez comment ?
BK : Je m'appelle Babacar Kounta…
00 :03 : MH : fils de qui ?
BK : Je suis le fils de Mamadou Lamine Kounta mais il ne s'agit pas du Sidy Lamine Kounta dont nous parlions tout à l'heure.
00 :16 : MH : Ce Sidy Lamine Kounta est un petit-fils de Cheikh Bou ?
BK : C'est exact. Mon père est l'arrière petit fils du frère ainé de Cheikh Bou.
00 : 25 : MH : Il est originaire de Ndankh donc ? Vous êtes de Ndankh donc ?
BK : Effectivement, je suis originaire de Ndankh.
00 :32 : MH : Je vais vous reposer la question sur les deux guerres mondiales. Cheikh Sidy Bécaye a régné durant la première guerre et Cheikh Sidy Lamine durant la deuxième guerre. Nous savons que certaines familles religieuses avaient envoyé des disciples ou des membres de leur famille en guerre et je voudrais savoir comment et pourquoi ils s'y étaient rendus.
BK : Ils n'ont pas été envoyé pour combattre parce qu'ils étaient militaires ou soldats mais parce que les recruteurs se disaient que leur tâche serait facilitée si des proches des familles religieuses étaient envoyés en premier lieu. Les recruteurs se sont rendus chez toutes les familles religieuses pour en parler avec eux et c'est dans ce cadre que Cheikh Al Bécaye a envoyé son frère cadet, Cheikh Sidy Mokhtar au front. Il parait que Dieu lui a permis de faire des miracles dès sa jeunesse. Beaucoup de gens ont par ailleurs dit que la fin de la guerre a pris fin à son arrivée. Il n'a pas eu à combattre. Dieu lui avait donné beaucoup de dons et il pouvait arrêter un train, un bâteau, grâce à ses dons.
02 :41 : MH : Vous savez qu'il y a eu un recrutement. Blaise Diagne a participé à cela afin d'aider les français. Et nous voudrons savoir si Ndiassane a eu à donner un mot d'ordre religieux, un ndigueul, pour envoyer des disciples de Ndiassane ?
BK : Si c'est le cas, je ne suis pas au courant d'un des disciples de la famille Kounta qui s'est fait recruter sur ordre du marabout.
03 :09 : MH : Peut-être des gens qui ont été recruté et qui habitaient à Ndiassane tout simplement, des gens qui étaient des disciples de Ndiassane ou d'autres familles religieuses sachant qu'on avait donné un ndigueul.
BK : Oui, je connais des disciples Kounta qui ont été enrôlés, ils sont devenus des soldats. Je connais aussi deux anciens combattants qui habitent à Ndankh, qui sont des khadres, qui étaient à la guerre.
03 :33 : MH : Ont-ils participé à la guerre de leur propre gré ou c'était un ndigueul ?
BK : Ils n'avaient pas le choix. Tous les jeunes qui étaient physiquement aptes étaient sujets à ce recrutement.
03 :49 : MH : Je pose cette question parce que durant la guerre, quand Blaise Diagne fut nommé député et qu'il fut chargé de recruter, beaucoup de gens l'ont aidé et ainsi il a pu recruter plus qu'il n'en fallait. C'est pour cela que nous voulons savoir si les marabouts y ont joué un rôle.
BK : Cette époque a coïncidé avec le règne de Cheikh Sidy Lamine. C'est plus récent.
04 :11 : MH : Oui, je sais que la première guerre s'est passée durant le règne de Cheikh Al Bécaye, et que la deuxième a eu pendant que Cheikh Sidy Lamine était khalife.
BK : Je ne pense pas que Cheikh Sidy Lamine ait aidé Blaise Diagne dans son recrutement.
CSLT : Rappelez-vous de ce que je vous ai dit. Personne n'avait le courage d'aller demander à Cheikh Sidy Lamine de l'aider à recruter des combattants. Comme je vous l'avais dit, Sidy Lamine [Kounta] était craint de tous. Personne n'osait lui demander cela. Faire face à lui et lui demander des soldats ? Personne n'osait le faire !
BK : Je ne dis pas que cela ne s'est pas passé mais je n'en ai pas entendu parler.
04 : 58 : MH : Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter ou pas ?
BK : C'est tout ce que j'avais à dire.
CSLT : Ben, vous posez les questions…
04 :55 : Bon, c'est une question que j'ai posé à tout le monde. S'il y a des choses qu'il voudrait ajouter, ce serait très bien.
BK : C'est tout ce que j'avais à dire.
05 :15 : MH : Donc on revient à Monsieur Sidy Lamine.
Sixième Piste
00 :03 : MH : Parlons des dahiras. Nous savons que ces structures renforcent et agrandissent les confréries. Et nous aimerions savoir si votre père avait créé et installé un dahira ici. Comment est-ce qu'il organisait les disciples ? Est-ce que vous-même avait cherché à créer un dahira ou avez-vous simplement réorganisé un dahira que vous avez trouvé sur place ? S'il y en a eu, comment est-ce que vous vous organisé avec les disciples ici à Dakar ?
CSLT : Dieu a fait qu'il n'y avait aucun dahira quand mon père a été installé. Avec l'aide de son bras droit, Moussa Gindo, il convoquait tout le monde ici pour les réunions. C'est au cours des années 50 que nous avons créé le premier dahira ici à Dakar. C'est ici que nous avons créé le premier dahira khadres de Ndiassane. Toute autre dahira a connu son origine ici même. Toute personne qui voulait créer un dahira venait ici pour recevoir l'approbation auparavant. Quand lui-même (mon père) a voulu installer un dahira ici, il a envoyé deux de ces assistants – Baba Sidibé et Vieux Fall – pour en informer Baye Sidy. Ce dernier leur chargea de dire à mon père qu'il ne lui demandait pas faire cela et qu'il devait attendre un peu avant de fonder un dahira parce que fonder un dahira n'est pas une petite affaire. Ils revinrent et peu de temps après retournèrent auprès de Baye Sidy pour lui faire part de nouveau de leur désir de créer un dahira. Et c'est à la deuxième tentative qu'il lui donna l'autorisation de créer un dahira et lui dit qu'il était le guide du dahira, que rien ne soit fait dans le cadre du dahira sans que mon père ne l'accepte. Et toute personne qui allait à Ndiassane sans passer par mon père était renvoyé auprès de lui par Baye Sidy dès que la personne arrivait à Ndiassane. Beaucoup de gens ont cherché à combattre mon père et certaines amenaient beaucoup d'argent à Baye Sidy mais ils chassaient et refusaient de prendre leur argent dès qu'il apprenait qu'ils n'étaient pas venus voir mon père auparavant. Il fallait passer par mon père pour recevoir son autorisation. C'était un homme de vérité, Sidy Lamine. Grace à Dieu, les dahiras se sont multipliés. Bargny et toutes les autres localités avaient des dahiras. Mon frère ainé qui l'a succédé a suivi ses pas et j'en fais de même maintenant que je me trouve à leur place. Nous avons, par ailleurs, créé une association regroupant les disciples que Cheikh Bou a élevé à la position de Cheikh. Cette structure diffère du dahira. Nous avons des rencontres mensuelles à l'occasion desquelles on cotise et durant le Ramadan on achète plusieurs choses (sucre etc.) et on part donner tout au khalife. Voilà comment nous nous organisons ici.
05 :00 : MH : Donc c'est le dahira qui se trouve dans cette maison qui est celle des cheikhs ?
CSLT : C'est le plus ancien des dahiras mais chaque localité a des cheikhs.
05 :08 : MH : Est-ce qu'il ne regroupe que les cheikhs de Dakar ?
CSLT : Seuls les cheikhs de Dakar.
05 :13 : MH : Combien de cheikhs y a-t-il à Dakar ?
CSLT : Ah, je ne connais pas le nombre exact mais je sais qu'il y en a beaucoup. Je sais que le nombre dépasse 200. Voilà comment nous fonctionnons.
05 :32 : MH : Je vois des tabalas et autres quand je passe par ici parfois.
CSLT : Oui, c'est le dahira.
05 :37 : MH : Le dahira a son siège dans la maison jusqu'à présent ?
CSLT : Oui, le dahira est toujours basé ici.
05 : 39 : MH : Est-ce qu'il y a un dahira pour les hommes et un autre pour les femmes ?
CSLT : Les femmes et les hommes partagent le même dahira.
05 :48 : MH : Quel nom avez-vous donné au dahira ?
CSLT : Dahiratoul Mounirou Akhlou Kountiyou ! C'est Sidy Lamine Kounta qui nous a donné ce nom.
06 :01 : MH : C'est donc le dahira qu'il avait permis à votre père de créer qui marche jusqu'à présent ?
CSLT : Exactement. C'est ce dahira qui marche jusqu'à présent.
05 :06 : MH : C'est à partir de ce dahira que les autres dahiras ont été fondés ?
CSLT : Oui, ce dahira a été à la base de la création des autres dahiras. Le deuxième dahira à être fondé après celui-ci est Figmik. Il est basé à la Medina et était dirigé par Laye Ndiaye.
05 :25 MH : Est-ce que votre dahira est le seul qui existe en ce moment à la Médina pour les Akhlou Kountiwou ?
CSLT : Oui, c'est le seul dahira.
06 :33 : MH : Il me semble qu'il y a un dahira par quartier ?
CSLT : C'est comme cela que les choses étaient dans le passé mais les déplacements des gens ont fait que beaucoup de dahiras ne fonctionnent plus. Mais ce dahira marche depuis sa création. Ce dahira marche toujours comme nous le souhaitons.
07 :16 : MH : Nous aimerions savoir ce qui est arrivé aux nombreuses maisons que Cheikh Bou possédait à Dakar ? Nous savons qu'il avait une maison sur la rue Thiong et ailleurs. Qu'en est-il de ces maisons ?
CSLT : Les maisons étaient nombreuses, oui.
07 : 37 : MH : elles sont entre les mains de membres de la famille ou bien ?
Abdoulahi Kounta (AK) : Vous savez… je pense que vous avez déjà été à Ndiassane…
CSLT : Je pense que c'est les khalifes qui en savent quelque chose…
AK : Vous savez… je pense que vous avez déjà été à Ndiassane…
07 :55 : MH : Vous vous appelez comment ?...
AK : Abdoulahi Kounta !
07 : 58 : MH : Abdoulahi Kounta…
AK : Je m'appelle Abdoulahi Kounta. Je suis le fils de Abdou Bécaye Kounta qui était le fils de Cheikh Al Bécaye Kounta dont vous parliez tout à l'heure.
08 :06 : MH : Monsieur Abdou Kounta, le père de l'actuel imam ?
AK: Exactement. Abdou Bécaye est le père de l'actuel imam, ce dernier est mon grand frère.
08 :15 : MH : Oui, je le connais.
AK : Imam Sidy Omar ?
08 :19: MH: Oui
AK : C'est mon grand frère. Je ne vais pas beaucoup parler parce qu'il nous est difficile de parler à propos de cela. Il connait beaucoup de choses sur El Hadji Cheikh Thiam et Cheikh Bou Kounta mais il lui sera difficile de vous dire le sort qu'ont connu les maisons que Cheikh Bou Kounta possédait à Dakar.
08 :42 : MH : Mais il est très proche de la famille.
AK : C'est tout à fait vrai.
08 :45 : MH : Vous savez que je peux vous demander certaines choses parce que vous êtes les Kounta. Et la raison pour laquelle nous sommes venus ici aujourd'hui c'est parce que j'ai constaté qu'Ansou Thiam était très proche de la famille et que sa famille est très impliquée dans les affaires de la famille Kounta. Nous cherchons plusieurs points de vue…
CSLT : Il y a des évènements qui se sont passés entre Ansou Thiam et ton grand père, Cheikh Al Bécaye, dont j'ai oublié de parler…
09 : 30 : MH et AK : Oui, vous pourriez en parler après.
AK: Comme ils ont quitté Ndiassane, il leur sera difficile de parler de la maison de Cheikh Bou et de sa richesse même si tout le monde est d'accord qu'il était riche. Personnellement, je ne peux vous donnez de solides informations sur ces questions parce que je ne fais qu'écouter et apprendre en ce moment. Si vous posiez ces questions aux anciens qui sont à Ndiassane, ils pourraient vous donner des informations fiables. Comme vous aviez dit tout à l'heure, on dit que le terrain qui se trouve à la rue Carnot lui appartenait. Certains y rajoutent même le palais et l'assemblée nationale mais je ne pourrais vous donner de bonnes informations à ce propos. Comme c'est une affaire de succession, les papiers titres fonciers étaient détenus par Cheikh, après c'était Cheikh Al Bécaye, après Cheikh Sidy Lamine, après El Hadji Mamadou, après Cheikh Sidy Yakhya, après Cheikh Bou.
10 :25 : MH : Je posais la question pour en venir à celle-ci. Il parait que les phosphates de Taïba vous appartiennent et le titre foncier se trouvait dans la malle de Sidy Lamine ?
AK : Oui, c'est vrai…
10 :35 : MH : Nous voudrions savoir si ces papiers ont été sortis de la malle de Cheikh Sidy Lamine à sa mort. C'est pour cela que j'ai commencé avec cette question sur les biens pour voir comment vous les gérer au sein de la famille. Vous êtes jeune mais comme c'est vous qui avez été à l'école, c'est à vous que revient la tâche de s'occuper d'affaires pareilles. Les biens matériels ont plus d'importance de nos jours comparativement au temps des anciens et je me demandais si vous cherchiez à entretenir, maintenir et rechercher les biens laissés par les générations passées. C'était pour voir si vous vous occupez du patrimoine qu'ils ont laissé que je vous pose cette question.
AK : Je comprends. Mais comme je n'ai vu de document concernant les terrains attribués à la famille, je ne peux rien en dire. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, les sites de Taïba, du palais présidentiel et de l'assemblée nationale ont été attribués à la famille mais je n'ai vu de document attestant ces rumeurs jusqu'à présent. Mais, si vous allez à Ndiassane et que vous vous informiez auprès d'une personne déléguée par le khalife, vous pourriez accepter et croire en tout ce qu'il vous dira. C'est pour cela que je dis cela.
12 :12 : MH : Vous savez, que la plupart des générations passées n'ont pas été à l'école mais aujourd'hui tout le monde sait que les enfants des familles religieuses vont à l'école et les générations actuelles donnent de l'importance a certaines qui importaient pas beaucoup pour les anciens. La famille est beaucoup plus organisée maintenant. En 1984 et 1985 quand je faisais des recherches sur la famille de Cheikh Bou Kounta, il n'y avait pas autant de dahiras à l'époque. Je suis venue ici à maintes reprises quand le vieux vivait et c'est l'époque où j'ai débuté mes recherches. Donnez-lui le micro pour qu'il termine.
AK : C'est vrai. Oui, si vous avez des informations à partager, des propriétés qui appartiendraient à Cheikh Bou que vous pouvez citer, allez-y. Cette lampe est fonctionnelle ?
CSLT : Non, elle est détériorée… Pour parler de la relation entre Ansou Thiam et Cheikh Al Bécaye. Ansou Thiam avait une fois annoncé à Cheikh Al Bécaye qu'il allait retourner en Gambie. Il se prépara et se mit en route avec sa famille et c'est à ce moment que Cheikh Al Bécaye envoya des gens pour qu'ils lui disent de revenir. Il n'était pas loin de la Gambie quand les envoyés de Cheikh Al Bécaye le rattrapèrent et lui transmirent le message. Il rebroussa chemin à l'instant même. Quand il retourna à Ndiassane, Cheikh Al Bécaye fit un pacte avec lui. Il lui dit ceci : « retourne chez toi à Keur Serigne Thiam et ensemble nous allons élever les enfants. Si tu meurs avant moi, je vais prendre ta famille en charge et s'il arrive que je meure avant toi, tu prendras soin de mes enfants jusqu'à ceux qu'ils soient en mesure de diriger alors tu les laisseras gérer ». Voilà la raison pour laquelle nous sommes restés ici au Sénégal sinon nous serions en Gambie au moment ou je parle. Voilà ce que je voulais y ajouter...
15 :08 : MH : Ah c'est bien. Maria, on peut arrêter [en français] ? On vous remercie.
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Courtesy of Maria Grosz-Ngaté
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Interview conducted in Wolof by Toba Diagne Haïdara. Translated into French by Gana Ndiaye and Adrien Pouille.
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Date: December 14, 2007
Date Range: 2000-2009
Location: Dakar, Senegal
Format: Audio/mp3
Language: Wolof
Rights Management: For educational use only.
Contributing Institution: Maria Grosz-Ngate; MATRIX: Center for Digital Humanities and Social Sciences at Michigan State University
Contributor: Gana Ndiaye; Adrien Pouille
Digitizer: Maria Grosz-Ngaté